Libération mardi 20 décembre 2005Examiné aujourd’hui à l’Assemblée, le texte du ministre de la Culture consacre juridiquement le principe du verrouillage des fichiers.
Pour Noël, c’est la fête à Renaud Donnedieu de Vabres. Des associations de consommateurs aux bibliothécaires, et même sur les bancs de la majorité, nombre de voix accusent le ministre de la Culture de pousser une réforme du droit d’auteur qualifiée au choix de «liberticide» (Alain Suguenot, UMP) ou d’«aveugle et sourde aux échanges sur l’Internet» (la société civile d’artistes-interprètes Spedidam). Comme d’avoir «cédé à toutes les demandes des industries de la culture et des logiciels», pour le député (PS) Didier Mathus. Autant de «caricatures» que RDDV s’est «pris dans la gueule», a-t-il déclaré hier en présentant son projet de loi, examiné par l’Assemblée dès ce soir. Le texte vise à adapter les «droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information». Si l’objectif affiché de «concilier la pérennité de la création et l’accès le plus large à la culture» est consensuel, à un moment où l’Internet chahute les équilibres des filières culturelles, le mode choisi pour l’atteindre l’est moins.
Innovation. Obéissant à une directive européenne de 2001, votée dans la droite ligne d’un traité international conclu en 1996 sous l’égide de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), le texte introduit une innovation majeure dans le code la propriété intellectuelle : la légitimation des technologies anticopie destinées à juguler la reproduction numérique. Ces systèmes, baptisés «mesures techniques de protection» ou DRM (digital rights management, lire ci-dessous) existent déjà sur nombre de CD. Ils empêchent la duplication des chansons sur le disque dur d’un ordinateur. Ils sont aussi en place sur les services de ventes de musique en ligne, comme l’iTunes Music Store d’Apple. Ils y limitent le nombre de copies qu’on peut faire, et obligent à utiliser pour cela certains logiciels de lectures spécifiques.
«Illusion de la gratuité». Avec le projet de loi, ces DRM sont protégés juridiquement : tout contournement sera passible de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. Selon Donnedieu de Vabres, il s’agit de mettre fin à «l’illusion de la gratuité» et d’encourager les «offres légales sécurisées, enjeux de ce texte». Mais si les DRM ont pour ambition de remettre de l’ordre dans la pampa du Net, ils mettent aussi à l’épreuve les exceptions au droit d’auteur dont bénéficiait le public, la copie privée en premier, jusque-là légale pour un usage personnel. Ils inquiètent aussi les bibliothécaires, inquiets de l’avenir de la «lecture publique» si de tels verrous sont placés sur les oeuvres.
Dans le principe, les DRM fonctionnent comme des flics automatiques greffés sur chaque fichier d’oeuvre, autorisant uniquement des usages validés a priori par les détenteurs de droits. «Les droits de propriété intellectuelle entrent dans la sphère privée, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Les DRM dictent au consommateur ce qu’il peut faire d’une oeuvre chez lui, pour son usage propre», estime Frédérique Pfrunder, de la Confédération du logement et du cadre de vie (CLCV), qui pointe leur «côté intrusif». Une logique sans équivalent dans le domaine par exemple du livre papier où un ouvrage acheté peut être donné à un ami, photocopié ou emprunté en bibliothèque.
«Equilibre». Soutenus par une bonne part de l’industrie informatique ? qui voit dans ces technologies un marché colossal (lire ci-dessous) ?, la majorité des ayants droit estime que le verrouillage est la condition sine qua non à la sauvegarde de la création. Position reprise par le ministre, qui voit dans cette loi un «bon point d’équilibre… Ce texte n’est pas le choix entre la jungle, la dérégulation ultralibérale, et la geôle, la taule, comme élément de régulation de l’activité culturelle et artistique sur le Net», a-t-il plaidé hier. Il a argué de la mise en place d’un Collège de médiateurs (lire page 6) chargé d’arbitrer les futurs conflits entre DRM et copie privée. Et a donné toutes garanties sur les «libertés individuelles». Une myriade d’amendements (lire ci-contre), venus de droite comme de gauche, a d’ores et déjà été déposée pour rogner le texte, voire proposer des modes alternatifs de financement de la création.
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