Nous ne nous annulerons pas. [We will not cancel us1.]

Nous avons blessé et nous blessons des gens.

Bien sûr que nous les avons blessé·es, nous sommes humain·es. Nous avons été traumatisé·es/socialisé·es loin de l’interdépendance. Nous avons appris à cacher tout ce qui est réel, tout ce qui est foutraque, faible, complexe. Nous avons appris que la merde factice fait mal, mais qu’elle est acceptable.

La douleur que nous avons avalée a fait de nous des moins que rien, nous a rendu·es dépressi·ves, ou indignes de confiance, ou paranoïaques, ou impuissant·es, ou égocentriques. Nous avons suivi le troupeau, ou sommes devenu·es isolationnistes et oppositionnel·les, peut-être même avides de controverses. Nous nous sommes déçu·es les un·es les autres, au niveau de la race, du sexe, de l’espèce… d’une façon plus générale, nous avons désiré davantage de nous.

Mais nous ne nous annulerons pas.

L’annulation est une punition, et la punition n’arrête pas le cycle des blessures, pas à long terme. L’annulation peut même être un contre-abolitionnisme… au lieu des barreaux de prison, nous nous plaçons les un·es les autres dans une boîte débordant d’intouchables – souvent sans procès – et nous nous dépouillons du passé et de l’avenir, de la complexité d’être doué·es et troublé·es, brillant·es et brisé·es. Nous allons renoncer à cette mesure punitive et nous relever les un·es les autres, en ne laissant aucune personne traumatisée derrière.

Nous ne nous annulerons pas. Mais nous devons gagner notre place sur cette terre.

Nous nous dirons mutuellement que nous avons blessé des gens, et qui. Nous nous dirons pourquoi, qui nous a fait du mal, et comment. Nous nous dirons les un·es aux autres ce que nous ferons pour nous guérir nous-mêmes, et pour guérir les blessures dans notre éveil. Nous serons responsables, rigoureu·ses dans notre prise en compte, nous désapprendrons toustes, nous ramperons toustes vers la dignité. Nous apprendrons à fixer et à maintenir des limites, à communiquer sans manipulation, à donner et à recevoir le consentement, à demander de l’aide, à aimer nos ombres sans les laisser régir nos relations, et à nous rappeler que nous sommes de la terre, du miracle, d’un tout, d’un fleuve immense – amour, vie, vie, amour.

Nous avons toustes du travail à faire. Notre travail est dans la lumière. Nous n’avons aucune base morale parfaite sur laquelle nous appuyer, façonné·es comme nous le sommes par cette époque complexe et toxique. Nous n’avons peut-être pas le temps, ni la capacité émotionnelle, de parcourir chaque chemin ensemble. Nous nous débattons toustes dans l’inconnu en ce moment, terrifié·es, dépassé·es, honteu·ses, réalisant que l’avenir est entre nos mains. Nous devons toustes faire notre travail. Rendre des comptes, être responsables et aller guérir, simultanément, continuellement. Il n’est jamais trop tard.

Nous ne nous annulerons pas. Si nous abandonnons cette stratégie, nous apprendrons ensemble les autres stratégies, qui nous aideront finalement à briser ces cycles, à libérer les générations futures du fardeau de notre douleur partagée et privée, en ne laissant rien d’indicible dans nos os, aucune honte dans notre terre.

Chacun·e d’entre nous est précieu·se. Nous, ensemble, devons briser tous les cycles qui nous font oublier cela.

Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Yves Citton

1« We will not cancel us » est un poème paru sur adriennemareebrown.net et repris dans We Will Not Cancel Us And Other Dreams of Transformative Justice, Chico (CA), AK Press, 2021.