L’ eau de notre planète, qui représente environ 1 385 millions de km3, est répartie dans les cinq réservoirs interconnectés que sont les océans (97,4 %), les glaciers (2 %), les eaux douces terrestres (0,6 %), la vapeur d’eau atmosphérique (moins de 0,001 %) et les cellules des êtres vivants (moins de 0,0001 %). Le rassemblement de 30 000 personnes qui a eu lieu les 24 et 25 mars derniers autour de Sainte-Soline marque un tournant dans ce que les médias nomment déjà la guerre de l’eau1. L’ ampleur de l’action collective qui a réuni des militant·es, des agriculteur·ices, des familles, des syndicats et des partis politiques, de France mais aussi de toute l’Europe, et au-delà, rappelle les mobilisations internationales anticapitalistes en marge des G20. En parallèle, le défoulement de la violence étatique à travers son bras armé policier a été sans précédent au niveau national, ayant mobilisé plus de 5 000 policiers et gendarmes et couté plus de 5 millions d’euros, ne laissant aucun doute sur la volonté du gouvernement de briser le mouvement populaire en usant de manière non proportionnée d’une répression qu’il semble de plus en plus impossible de légitimer.
Un déferlement de violence
Le déchaînement médiatique a immédiatement suivi les événements de Sainte-Soline. Les images des affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestant·es ont largement tourné sur les chaînes d’informations nationales, illustrant les débats sur la violence des groupuscules de « l’ultra-gauche ». Si elles sont certainement choquantes, ces images ont aussi une grande potentialité symbolique. La fumée des lacrymogènes et les flammes des camions de gendarmerie en train de s’embraser ont fait le tour des télévisions, constituant une imagerie insurrectionnelle dont il serait crédule de ne pas voir la dimension esthétisante et fascinatoire. Rien à voir ici avec les propos d’un journaliste quant à la fascination pour le feu des manifestant·es contre la réforme des retraites, d’ordre selon lui « préhistorique ». Ces images participent bien à la construction du récit d’un État attaqué et d’une opposition entre les bon∙nes citoyen·nes, se tenant dans la loi (du marché), même lorsque celle-ci est utilisée contre elleux, et les « terroristes », masse mouvante regroupant toutes celles et ceux qui la contestent, des militant·es aux intellectuel·les ou aux scientifiques. Un dedans qui se tient sage et un dehors dangereux en somme.
Or à Sainte-Soline, s’il y a bien eu des camions en feu et des jets de projectiles, des militant·es prêt·es à retarder le projet de construction d’une méga-bassine recouvrant 16 hectares de terre en s’attaquant aux infrastructures (en l’occurrence un grillage), ce sont bien 5 000 grenades qui ont plu sur les manifestant·es – dont la plupart se tenaient en retrait, peu mobiles et abasourdis au milieu d’une étendue de terre. Les explosions continues des projectiles lancés au milieu de la foule n’ont pas été vécues en plan large, mais individuellement, une telle perdant un doigt, une autre l’audition, toutes restant profondément choquées des semaines après encore. Multiples vécus d’une rare violence au regard de la menace (inexistante) que ces personnes constituaient.
Pas d’eau dans les bassines
Le dernier rapport du GIEC paru en mars 2023 informe que, dans un contexte de stress hydrique généralisé, la moitié de la population mondiale subit actuellement une grave pénurie d’eau douce. Les eaux douces terrestres, transitant ponctuellement dans les glaciers, fleuves, lacs et nappes phréatiques, avant d’être évaporées ou de retourner à l’Océan global, sont aujourd’hui largement appropriées par de grands groupes privés.
Le projet de 16 méga-bassines approuvé par les instances de l’État sur le bassin versant de la Sèvre Niortaise est porté par une société anonyme, la Coop de l’eau 79, tout en étant financé à hauteur de 70 % (pour un total de 60 millions d’euros) par les établissements publics que sont les Agences de l’eau. La France compte des dizaines de milliers de retenues d’eau, qui, pour la plupart de faible contenance et constituées d’eau de pluie ou issue des rivières, fonctionnent sur le principe d’un bien partagé. Les méga-bassines, apparues au début des années 2000, sont d’un autre ordre. De grande emprise au sol, elles fonctionnent exclusivement par pompage des nappes phréatiques en hiver, à un moment où les précipitations sont censées être plus abondantes, pour permettre l’irrigation, durant les périodes de sécheresse estivales, des cultures gourmandes en eau (en l’occurrence, le maïs). C’est ainsi que le projet est défendu par le gouvernement, Élisabeth Borne réitérant début avril encore sa certitude, sans aucun fondement scientifique, que « c’est un bon projet ». On fait semblant d’oublier que le projet a été validé à partir de relevés des nappes phréatiques entre 2008 et 2011 et que, depuis, les années de sécheresse hivernales n’ont cessé de se multiplier.
Constituées de fonds hermétiques et ouvertes en plein ciel, ces méga-bassines artificialisent et imperméabilisent les sols, empêchant les transferts nécessaires au maintien, aux alentours, d’un sol riche et humide. Surtout, avec l’irrigation des cultures comme unique usage, elles conduiront à empêcher les autres usagers agricoles et non-agricoles d’avoir accès à une eau protégée en qualité et en quantité. Dans la Sèvre Niortaise (comme presque partout en France), seul 7 % à 10 % de la surface agricole utile est irriguée, les 90 % restant de terres cultivées l’étant à partir des précipitations. Les méga-bassines sont entièrement dédiées à une agriculture intensive, souvent destinée à l’exportation, associée à un usage massif d’intrants chimiques, destructrice du milieu vivant et néfaste à la santé des sols comme des humains. L’ eau des nappes phréatiques n’a pas vocation à n’être qu’au service de l’agro-industrie, elle est essentielle à l’ensemble de la biosphère qui souffre de plus en plus de sa raréfaction.
L’ eau, un bien commun ?
Il est pourtant communément admis que l’eau est un bien commun. Comme l’air, il s’agit d’un volume de matière défini dont, si l’on veut assurer le bien-être de l’ensemble des humains et non-humains, on se doit de partager les usages. Mais il est encore couramment pensé, en dépit des innombrables alertes des scientifiques, que l’eau est une ressource inépuisable, puisque renouvelable. Pourtant l’eau douce vient à manquer. Et ce qui devrait être considéré comme appartenant à la communauté et à personne en particulier, est souvent soumis à la propriété privée des individus ou des entreprises.
Depuis la loi de 1964, l’eau est gérée en France par douze « agences de l’eau », une par bassin versant, qui ont une mission de préservation du système d’acheminement de l’eau et de collecte de redevance sur les usages. Les Comités de bassins versants sont des instances dédiées aux usages de l’eau qui réunissent les représentants des collectivités, de l’État, des industriels, des agriculteurs et des consommateurs. Accessoirement, des associations de défense des entités naturelles sont parfois présentes, en fonction de leur importance médiatique et de leur validation étatique. À cette gestion étatique s’associe plus qu’elle ne s’oppose une marchandisation croissante depuis le début du XXe siècle de l’accès aux ressources naturelles. Même si ce mouvement est en train de s’inverser avec la reprise en régie dans plusieurs villes de France, la distribution de l’eau a été rattrapée par les logiques de marchés. La construction des méga-bassines s’inscrit dans cette logique obsolète de complaisance étatique à l’égard de grandes entreprises privées, ici celles de l’agro-industrie.
Les mouvements écologistes et citoyens comme BASSINES NON MERCI ! et LES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE militent pour un arrêt des chantiers des bassines et une concertation entre tous les habitants du territoire, ce qui inclut les 90 % d’agriculteurs non irriguants, mais aussi les associations de défense des autres qu’humains. L’ enjeu est de repenser les usages de l’eau. « Nous voulons arracher des terres à l’exploitation capitaliste pour reconstituer des espaces libérés, propices à une multiplicité d’usages communs, de relations et d’attachements. Nous voulons défendre le monde vivant grâce à une agro-écologie paysanne et solidaire, à la protection des milieux de vie et à une foresterie respectueuse ». Telle est l’ambition de la centaine de milliers de signataires de l’appel des Soulèvements de la terre.
Cette résistance s’appuie sur la réflexion conduite depuis plusieurs dizaines d’années sur la gestion des communs, à partir des travaux d’Elinor Ostrom2, et sur les recherches anthropologiques menées dans des territoires où les communautés organisent les règles d’usage de l’eau en dehors de l’État comme des marchés. Il ressort de ces recherches que les communs doivent se penser en pratique à travers leurs usages et la possibilité d’une coopération entre les acteurs. La distribution de l’eau repose sur un principe de partage temporel, chacun·e disposant d’un temps d’accès à l’eau, et lorsque l’eau manque, c’est la quantité d’eau de tou·tes qui diminue.
L’ obsolescence du droit de propriété
Pour justifier la mobilisation parfaitement disproportionnée de forces policières contre les manifestant·es anti-méga-bassines, Gérald Darmanin a invoqué la nécessité supérieure de défendre le sacro-saint « droit de propriété ». Il démontre en cela parfaitement à quel point l’agenda gouvernemental est complétement déconnecté des réalités de notre époque – exactement comme si, en 1793, on implorait « les droits immémoriaux de la noblesse » pour défendre l’Ancien Régime. La répression par les grenades, aussi nombreuses soient-elles, ne parviendra ni à éteindre la contestation, ni à refouler un problème qui, depuis des milliers d’années, est éco-symbiotique (et non seulement juridique ou politique). Bien sûr, il est interdit de polluer l’eau, celle destinée aux usages humains depuis 1964, et la loi de 2006 prévoit de tenir compte du changement climatique dans l’ensemble des décisions relatives à la gestion de l’eau. Mais ces mesures ne sont prévues, sans d’ailleurs être vraiment appliquées, que dans une perspective anthropocentrée de préservation de la « ressource » (approchée en termes très étroits de besoins humains quantifiables en termes de PIB).
L’ eau est pourtant bien davantage que ce que nos calculs économico-politiques peuvent compter. Prenons une molécule d’eau, situons-la au moment présent dans une méga-bassine quelque part en France. Elle a dans sa vie déjà connu le grand Océan, elle a voyager avec un nombre inimaginable d’autres molécules comme elle, elle a connu le froid des glaciers qui l’ont fait changer d’apparence et d’être au monde, qui l’ont fait devenir cristal, quitter l’état liquide, la condensation la faisant devenir plus légère que l’air, peupler les nuages, se faire pluie, nourrir les rivières et les sols, connaître l’expérience du singulier dans un corps vivant, pour finir, il y a quelques dizaines ou centaines d’années dans une nappe phréatique. Par une bassine, elle s’est faite extirpée du milieu chaud et peuplé de ses co-vivantes, les bactéries, les insectes, et s’est trouvé là sur la bâche plastique et face au ciel. Elle a créé alors de nouvelles associations, en raison de la chaleur du soleil. Les cyanobactéries se sont développées en masse, lui ont donné une teinte verte. Trop exposée, elle a perdu le lien avec le sol, tandis que la plupart des autres compagnes ont disparu ou peinent à survivre. Ce n’est pas la fin pour autant, elle va reconstruire de nouvelles associations, s’échapper en s’évaporant, gagner par un moyen ou un autre le sol, les rivières, les fleuves, l’océan, les nuages, les glaciers, les corps, humains et non humains.
Pour reprendre les mots d’Astrida Neimanis, « l’eau a d’autres logiques que celle des corps stables, d’autres motifs et d’autres moyens pour exister sur notre monde terrestre3 » L’ eau est reliée à tout et relie tout, elle se vit à la fois comme une entité et comme mode de connexion. Le « droit à l’eau », institué dans la loi française et nommé par les Nations-Unies, le « principe fondamental » pour nous tou·tes d’avoir accès à l’eau, pourrait alors prendre une tout autre ampleur que ce que la loi envisage aujourd’hui. Qui est ce « nous » qui a tant besoin d’eau ? Il est grand temps pour les communautés humaines de ne plus se croire seules au-dessus de tou·tes les autres, en dehors d’une nature qui leur serait étrangère. « Nous » ne pouvons exister sans l’ensemble des holobiontes terrestres reliés entre elleux : il faut changer d’échelle de temps comme d’espace, voir à la fois plus grand et plus petit, plus loin et plus près – au lieu de garder le nez collé sur les droits de propriété de l’individualisme possessif, à la fois bien trop vieux par rapport aux évidences de l’Anthropocène, et bien trop jeune par rapport aux usages communs de l’eau élaborés depuis des milliers d’années.
Changer d’échelle
À la gestion de l’eau à l’échelle des villes, des communautés de communes, des régions des bassins versants ou mêmes des États que l’on ne pourra pas contourner dans l’immédiat, nous aimerions donner de la voix à deux autres points de vue, aux extrémités de notre perception humaine. Nous voudrions d’abord penser une gestion de l’eau intime, de notre transpiration, de nos échanges de fluides et de ce que nous ingérons. Chaque microcosme vivant est à l’image du cycle global de l’eau, un récit de changements d’état, d’irrigation et de gestation. Repenser notre rapport intime à l’eau momentanément dans nos corps, c’est aussi se connecter à ce qui en nous est précieux, fécond, en mouvement et en lien avec nos co-existantes. C’est ce qui résonne avec une gestion de l’eau qui se fait sans nous humains, ou plutôt en dehors de notre volonté mortifère, à l’échelle de la planète.
Les scientifiques sont unanimes, la planète va devenir invivable pour une grande partie des espèces dans les années à venir. Pourtant, on documente aussi l’incroyable résilience planétaire et la capacité de la vie à s’adapter à des conditions extrêmes. En l’absence d’eau, la plupart des plantes ferment les stomates qui se trouvent sous leurs feuilles pour éviter la transpiration, les racines poussent plus vite et plus profondément pour aller chercher de l’humidité. Au fil des générations, certaines plantes se sont déjà adaptées en abandonnant leurs stomates et en augmentant leur masse racinaire. Les bactéries, championnes de la vie sur Terre, ont développé des capacités métaboliques et morphologiques qui leur permettent de survivre dans des environnements hostiles, notamment en quasi absence d’eau. De l’infiniment petit à la planète comme système ouvert, les exemples sont nombreux d’une gestion de l’eau en boucle de rétroaction positive qui tend à faire passer les projets humains de bassines pour de fols errements mégalomaniaques.
À l’autre extrême de cette échelle intime et sous-cutanée, l’eau n’est pas non plus extérieure à « nous » dans ses circulations les plus larges, elle n’est ni un milieu ni une ressource, elle traverse les corps et la Terre. Envisageons que l’eau puisse être ce qui, à l’origine de la vie sur Terre, porte la vie et « nous » constitue comme un unique holobionte planétaire, sans distinction de genre, de race, d’espèce.
Or, derrière la référence au droit de propriété, la stratégie de communication gouvernementale suite aux événements de Sainte-Soline est de chercher à imposer une dichotomie entre un dedans, un corps populaire qui accepterait de se plier au jeu des décisions politiques, et un dehors, tenu par une petite frange de « terroristes » de tous poils, écolos ou intellectuels par qui ne viendrait que le chaos. Chacun est sommé de se positionner par rapport à la violence de ce dehors. Mais du point de vue de l’eau, ces dedans et ces dehors ne font aucun sens. Le dehors déborde, envahit le dedans, le pénètre dans une relation socio-bio-symbiotique.
Astrida Neimanis, s’appuyant sur le réalisme agenciel de Karen Barad, propose de repenser la corporéité à partir de l’eau, ce qui a pour effet de remettre en cause la vision du corps comme entité finie héritée de la tradition métaphysique occidentale. Si on accepte de ne pas dissocier les réalités ontologiques et phénoménologiques de l’eau, la matière et les agencements, on ouvre la voie à une contamination de toutes les relations sujets/objets. On pourrait alors repenser notre rapport à l’eau comme un cycle hydrosocial 4 élargi, où les intra-relations entre l’eau et les vivants sont dépendantes des individus tout en modifiant leurs comportements. En acceptant de prendre en considération les connaissances de la biologie et de l’hydrologie, il s’agirait alors de repenser l’agencement social en intégrant à notre gestion de l’eau l’ensemble du vivant, non pas seulement comme un milieu à défendre, mais comme bien commun à un ensemble de coexistences. Dès lors, la notion de propriété privée ne semble plus pouvoir se penser sans tenir compte de ce qui ne peut et ne doit être soustrait de nos communs planétaires.
Quelles guerres de l’eau ?
Entre l’échelle intime et l’échelle planétaire, un important ouvrage récent invite à resituer les violences liées à l’eau au sein d’un cadre éco-politique porteur à la fois de menaces et d’espoirs. Dans Divided Environments, Jan Selby, Gabrielle Daoust et Clemens Hoffmann prennent le contrepied de « l’éco-déterminisme » malthusien qui prédit une recrudescence de conflits nationaux et internationaux liés aux probables pénuries d’eau entraînées par le dérèglement climatique5. Non qu’ils nient la réalité de ce dernier, ni ses conséquences dramatiques (et potentiellement génocidaires) pour de nombreuses populations humaines en situation de stress hydrique. Mais les causalités sur lesquelles se fondent les avertissements onusiens sur « les guerres de l’eau » ne correspondent pas aux observations empiriques que ces trois chercheur·es ont menées pendant une dizaine d’années en cinq points de conflits internationaux (Soudan, Chypre, Israël, Lac Tchad et Syrie).
Les conflits dus à l’eau existe(ro)nt bel et bien, mais ils ne s(er)ont jamais véritablement dus à une pénurie de la ressource, comme les fausses évidences éco-déterministes nous invitent à le penser. Ces conflits sont politico-juridiques bien avant d’être écologiques. Ce sont des systèmes militaro-juridiques d’appropriation de la ressource qui constituent le facteur décisif des guerres de l’eau, bien davantage que sa pénurie en termes absolus. Même dans ces régions pourtant arides, il y aurait et il y aura largement assez d’eau pour que tou·tes les habitant·es trouvent de quoi satisfaire leurs besoins. Le problème principal ne tient pas au climat (aussi déréglé soit-il), mais aux régimes de propriété (privée, capitalistique) ainsi qu’aux violences policières et militaires.
La source première des violences n’est pas la pénurie absolue, mais les logiques de circulation du pouvoir et du capital. Contrairement à ce que nous fait croire notre bon sens naïf, l’eau ne s’écoule pas du haut vers le bas en suivant les lois physiques de la gravité. En réalité, elle est captée vers le haut – là où le capital ou le pouvoir de coercition politique l’attirent avec le plus de moyens.
Les résonances entre les analyses de Selby, Daoust et Hoffmann et les événements de Sainte-Soline sont frappantes. Les méga-bassines
illustrent de façon paradigmatique cette eau qui remonte là où l’attire le capital et où la défend le pouvoir militarisé. Oui, les sécheresses à répétitions vont certainement imposer un stress hydrique à de nombreuses régions, en France comme ailleurs. Mais les déchaînements de violence qui risquent d’accompagner cette situation viendront principalement des régimes de propriété par lesquels une minorité (pour Sainte-Soline : l’agro-business, ses actionnaires, ses agents) s’accapare une eau largement suffisante pour couvrir les besoins de tou·tes, si la complicité active de pouvoirs militaires n’imposait pas par la force des règles de partage injustes, obsolètes et oppressives.
Au-delà de cette illustration préoccupante et révoltante, Divided Environments est toutefois porteur d’un message d’espoir qui résonne avec celui de la biologie. Oui, le dérèglement climatique va bouleverser les habitudes humaines de consommation et les logiques de répartition de l’élément le plus immédiatement nécessaire aux vivant·es. Mais oui aussi, il y aura toujours assez d’eau à se partager, dès lors qu’on mettra la question politique d’une juste répartition au-dessus des systèmes économiques, juridiques et policiers qui la font aujourd’hui circuler contre le bon sens et l’intérêt communs.
1« La guerre de l’eau n’est pas un mirage », article de Paul Quinio, paru dans Libération le 28 février 2023.
2Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs, Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boek Supérieur, 2010. Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d’Économie en 2009. Ce livre a été révisé par Laurent Baechler.
3Astrida Neimanis, Hydroféminisme. Devenir un corps d’eau, traduite de l’australien par Emma Bigé et Ambre Petitcolas, 2021
4Jamie Linton & Jessica Budds, « The Hydrosocial Cycle: Defining and Mobilizing a Relational-Dialectical Approach to Water », Geoforum, 2014.
5Jan Selby, Gabrielle Daoust et Clemens Hoffmann, Divided Environments. An International Political Ecology of Climate Change, Water and Security, Cambridge University Press, 2022.
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