Les semaines de confinement auront été bruissantes d’images, de sons et de paroles, dans une remarquable continuité assurée par tout un attirail de technologies médiatiques.

On ne se voit plus, du moins pas sans écran interposé, mais on échange des lectures, on entretient le bourdonnement d’une urgence qui exige de penser ce qui nous arrive, et plus vite que cela.

On ne se touche plus, mais on s’efforce de tirer parti, ou même profit, de cette situation exceptionnelle, de se saisir de la chance offerte, d’en accueillir l’opportunité – tout en sachant, bien sûr, que c’est un privilège de classe. On s’en targue quand même et c’est vrai, c’est tellement pire pour tant d’autres.

On annule toutes les rencontres prévues, mais on les maintient en ligne, ou alors on se dit « à bientôt ». On tente d’entretenir au moins l’écho du tumulte des révoltes qui reflue depuis les piquets de grève en berne. On est nombreuses à partager notre inquiétante incapacité à lire, à écrire, à réfléchir.

On se préoccupe davantage encore des cris qui ne résonnent nulle part, des voix qu’on n’entend pas, ou si faiblement, aux marges, celles des exilées expulsées, des taulardes entassées, des estomacs vides des étudiants, des violences accrues de promiscuité.

Parfois, au milieu de tout ce bruit : une échancrure, comme un accès à d’autres fréquences, une brèche vers une partie de l’audible qui ne nous est pas destinée et qu’on capte par surprise. Là, il me semble entendre quelque chose d’autre. Quelque chose qui ne recouvre rien du reste. Quelque chose qui n’est pas un autre bruit, une autre voix, un autre cri. Quelque chose qui n’est pas non plus une absence de bruit, ou de voix, ou de cri – la condition minimale pour, de nouveau, entendre les oiseaux. Quelque chose de si proche, de si vibrant, de si intense que c’en est palpable. Quelque chose où l’urgence aussi bien que l’impossibilité à penser se déposent – sans se dénouer, sans se résoudre, sans apporter de réponse. Quelque chose qui n’est pas une chose, puisqu’elle les contient toutes à force de s’élargir, de se faire assez vaste pour n’en exclure aucune. Je laisse faire. L’écoute s’ouvre encore.

J’entends : le silence.

C’est tout.

C’est Tout.

Pour l’heure, rien n’est plus précieux que cette écoute – sans visée, sans parole, sans pensée, sans acte. Qui sait ce qui pourra en émerger.

[voir Oiseaux et drones]