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Super-héros Noirs, masques Blancs :
Le mirage du film Black Panther

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Figurant parmi les 15 plus grands succès financiers de tous les temps, le film Black Panther sorti en 2018 fit une irruption remarquable dans le cinéma de science-fiction et de super-héros. Empochant plus de 1,3 milliard de dollars de profit, il fut nominé à 7 oscars en 2019, dont celui de meilleur film, et en remporta trois (meilleure musique, meilleur design de costumes et meilleure production), une première pour un film de super-héros. Cependant, son originalité tient surtout à la présence majoritaire de protagonistes masculins et féminins Noirs, la peinture d’une Afrique puissante aux beaux paysages musicaux et culturels, et les lueurs de critiques politiques d’une condition mondiale des Noirs. Originalité aussi par le choix d’un réalisateur Noir, Ryan Coogler, et une distribution remarquable avec des acteurs connus tels que Danai Gurira, Michael B. Jordan, Chadwick Boseman, Angela Basset, Lupita Nyong’o et Forest Whitaker. Ce film adapte au cinéma les aventures du super-héros de comics Black Panthers, nom qui évoque le mouvement politique des Black Panthers aux États-Unis. Si ce film propose un travail fantastique de l’imaginaire de l’Atlantique Noir, ici, je m’intéresse surtout à la portée politique de ce geste (Gilroy, 2017). Quelle est la signification politique de l’irruption de super-héros Noirs au sein d’un genre de films où les personnages non-Blancs sont historiquement absents ? Quelles sont les conséquences de cette représentation sur le genre ? Enfin, quel sens politique est proposé du concept de super-héros Noirs ?

L’intrigue

Le Marvel Cinematic Universe (MCU) fait référence à un imaginaire cinématographique commun créé par les studios Marvel où coexistent plusieurs super-héros et groupes de super-héros. Depuis 2008, le MCU a produit 24 films autour des personnages tels que Iron-Man, Thor, Hulk, Spider-man ou Captain America. Si ces héros sont représentés à l’écran par des films différents, des ponts sont établis dans chaque film avec cet univers commun, et certains films -la série Avengers– sont consacrés aux regroupements de ces super-héros. Black Panther est le premier film du MCU consacré à un super-héros Noir. Ce personnage de comics fut créé en 1966 par les célèbres dessinateurs Stan Lee et Jack Kirby. Black Panther est le roi d’un pays africain nommé Wakanda, pays qui s’est caché du reste du monde et qui n’a jamais été colonisé par les Européens. Le Wakanda montre un avancement technologique qui surpasse les grandes puissances occidentales et possède la plus grande réserve d’un minerai rare sur Terre appelé « vibranium ». Ce minerai fournit l’énergie nécessaire au fonctionnement de la société et alimente le costume du super-héros Black Panther. Inspiré de l’afrofuturisme, le Wakanda incarne un pays utopique mélangeant traditions et modernité, où des habits et habitats traditionnels voisinent des gratte-ciel et des voitures volantes. L’intrigue du film tourne autour d’une lutte entre le héros, Black Panther (T’Challa), et le vilain, Érik Killmonger, qui se trouve être le cousin de T’Challa. Issu lui aussi du Wakanda, Killmonger est né aux États-Unis dans la ville d’Oakland. Il déplore l’abandon dont fait preuve le Wakanda à l’égard des Noirs des États-Unis et du reste du monde, et souhaite conquérir le trône de Wakanda afin d’organiser une lutte armée à la faveur des Noirs du monde, faisant écho au panafricanisme (Boukari-Yabara, 2014). Deux pratiques de l’utopie se rencontrent : d’un côté, une vision qui souhaite maintenir le Wakanda comme ce refuge en-dehors du monde, quitte à abandonner ceux qui ne peuvent s’y réfugier ; d’un autre, une vision souhaitant faire du Wakanda le flambeau grâce auquel une lutte émancipatrice au sein même du monde est menée. Au bout du film, Black Panther empêchera Killmonger de mener à bien son projet de révolution armée en le tuant. Tenant compte de la revendication de Killmonger, Black Panther décide d’accorder une aide humanitaire et technologique aux Noirs des États-Unis à travers une sorte d’ambassade à Oakland.

Représentation des Noirs et de l’Afrique 

Le film Black Panther est politiquement significatif par au moins trois aspects. D’abord, par sa composition, ce film propose un renversement rare dans ce genre cinématographique en plaçant la perspective d’une minorité racisée, les Noirs Américains et les Noirs Africains, hommes et femmes, au centre d’une scène destinée à un public majoritairement non Noir. Par ce renversement, Black Panther produit deux effets remarquables. D’une part, il propose aux Noirs Américains et Noirs Africains de faire l’expérience d’une représentation plus centrale qu’aucun autre film de super héros n’a su mettre en œuvre. La mise en scène de musiques, d’habits, de tatouages et d’accoutrements de plusieurs pays d’Afrique dessine une esthétique politique à laquelle Noirs Américains et Noirs Africains peuvent s’identifier. Les scènes de célébration dans certains pays africains tels que le Kenya – pays de citoyenneté de l’actrice Lupita Nyong’o – attestent de l’enthousiasme des minorités à être représentées ainsi dans ce genre de film. Des Noirs Américains ont adopté le signe des bras croisés en « X » pour se saluer comme le font les ressortissants du Wakanda. Avec humour, des comédiens tels que Judi Love ont poussé l’enthousiasme en tentant véritablement de réserver un billet d’avion pour se rendre au Wakanda tel un pays rêvé1. Le 20 février 2018, le temps d’une journée, l’aéroport de la ville d’Atlanta a joué le jeu en affichant sur un de ses panneaux un vol à destination de Wakanda. D’autre part, le film a permis à une majorité Blanche de faire l’expérience d’une marginalisation de leurs histoires, de leurs rôles et de leurs actions dans un genre de film où d’habitude ils sont assurés de jouer les premiers rôles. En effet, les deux seuls acteurs Blancs (Martin Freeman et Andy Serkis) sont cantonnés à des rôles mineurs, rappelant des rôles habituellement réservés aux minorités.

Les thèmes de la domination des Noirs dans le monde occidental, les brèves évocations de l’histoire coloniale et de l’esclavage, et les questionnements au sujet d’une émancipation mondiale des Noirs peignent l’univers politique dans lequel se déroule l’intrigue du film. Aussi ne s’agit-il pas uniquement de montrer des superhéros Noirs, mais de rappeler l’envers d’une modernité qui s’est appuyée sur la prédation des corps Noirs, de leurs cultures et de leurs terres. Killmonger, incarné par Michael B. Jordan, récupère au British National Museum un masque qui a été volé par les Britanniques, à l’image des objets d’arts et restes humains encore dans des musées européens qui furent acquis lors des différentes colonisations ( Sarr et Savoi, 2018). Il entend ainsi porter la voix de ceux qui furent lésés par l’enrichissement des nations européennes après la conférence de Berlin de 1885 où quelques hommes se répartirent un continent entier. Outre la quête du pouvoir au Wakanda, Killmonger incarne l’esprit du mouvement politique des Black Panthers né à Oakland, celui d’une défense des Noirs à travers une lutte armée.

Enfin, le film est aussi politique par le déplacement géographique qu’il opère. Les studios Marvel et DC Comics ont souvent fait des grandes villes des États-Unis les centres géographiques de l’intrigue. Batman, Superman, Spider-Man ou encore Iron Man résident tous dans des métropoles états-uniennes réelles ou fictives (Gotham, Metropolis et New York). En faisant d’un pays africain le centre du film, Black Panther renverse l’americano-centrisme un instant.

Le refus de l’antiracisme

Si Black Panther est bien politiquement significatif par sa composition, ses thématiques et sa « provincialisation » des États-Unis, le film passe pourtant à côté de la question politique (Chakrabarty, 2009). Le subterfuge du genre super-héros est de présenter le monde à défendre comme étant en soit bon et juste face à la menace extérieure du vilain. Dès lors, le super-héros, tel Superman, incarne l’allégorie de l’armée venant préserver les finances des classes bourgeoises et capitalistes des États-Unis (Ecco, 1978). Ce genre fabrique l’alternative suivante : soit le monde tel qu’il est, avec ses inégalités, soit sa destruction et la destruction de la vie. Or, le seul souci pour la vie au détriment d’une réflexion sur les manières de vivre ensemble et de faire monde, consacre l’absence de politique (Arendt, 1995, p. 44). En adoptant le registre guerrier comme unique mode de relation à l’autre, les films de super-héros partent du principe que la politique n’est pas nécessaire.

Il serait possible de considérer l’absence de la question politique dans Black Panther comme la simple adhésion aux codes du genre. Mais là réside sinon la triche à tout le moins l’aporie du film qui fit un effort remarquable pour contourner une critique du capitalisme, du militarisme et du racisme structurel. Certes, Black Panther prend pour point de départ l’impensé des autres films de super-héros : la présence d’inégalités et d’injustices au sein du social avant même l’arrivée du super-vilain ou de la menace extra-terrestre. Cependant, le film s’enferme dans une querelle entre deux cousins qui cherchent chacun à conquérir le trône du Wakanda. La colère de Killmonger est déversée contre son cousin T’Challa et non contre les institutions porteuses du racisme structurel états-unien. Héritant de l’esclavage colonial, il est transformé en une figure monstrueuse, un mal absolu qu’il faut faire taire et exclure du monde. Il est donc tué à la fin du film.

Si des critiques du racisme et de l’histoire coloniale sont évoquées, si les désaccords sur la nécessité d’une révolution armée pour l’émancipation des Noirs sont exprimés, ces thèmes restent annexes à l’intrigue. Les violences policières, les inégalités sociales, les injustices qui ont entraîné les dominations des Noirs ne sont pas travaillées. Black Panther s’est refusé à mettre en scène des super-héros antiracistes luttant pour la justice sociale. L’envers contradictoire de ce refus est le maintien de la norme capitaliste, inégale et raciste de la société états-unienne. Le dénouement du film qui s’achève sur le pays du Wakanda apportant une aide humanitaire et technologique aux Noirs de Oakland aux États-Unis consacre cette dépolitisation. L’émancipation des Noirs aux États-Unis viendra d’une charité extérieure au pays et non d’une lutte pour la justice au sein des États-Unis.

Ce refus de mettre en scène l’antiracisme dans Black Panther s’accompagne d’une invisibilisation des expériences de vie des Noirs aux États-Unis. Sur 134 minutes de film, seules 3 minutes montrent des paysages des quartiers populaires de Oakland aux États-Unis : un terrain de basket au milieu d’une cité. Des Noirs-Américains réalisent un film de super-héros Noirs tout en masquant les réalités sociopolitiques des Noirs-Américains. On sort avec l’idée que les Noirs n’appartiennent pas au continent des Amériques. Or, comme le rappelle James Baldwin, « l’histoire des Noirs aux États-Unis est l’histoire des États-Unis » (Baldwin, 1955,p. 24). Paradoxalement, Black Panther invisibilise les luttes des Noirs aux États-Unis et dans les Amériques qui, des révoltes anti-esclavagistes aux mouvements des droits civiques en passant par le marronnage, n’ont cessé d’affirmer la dignité des Noirs depuis les Amériques. En se parant des thèmes du racisme et de l’histoire coloniale sans pour autant en faire des nœuds politiques de son intrigue, le film Black Panther se révèle inconséquent. En résulte une marchandisation des histoires et souffrances des communautés Noires qui sont mises au service de l’hégémonie culturelle états-unienne, de son capitalisme et son militarisme.

Il eut pourtant été possible de faire autrement. Sur les planches, des récits du comics Black Panther ont déjà mis en scène l’antiracisme opposant T’Challa au Klu Kux Klan en 1976 et à des « super-héros » suprémacistes Blancs d’un pays africain pratiquant l’apartheid en 1988 (Blanc, 2018, 180-2). À l’écran, les films de la série X-men exposent des oppositions complexes au sein même des États-Unis entre des personnes considérés comme des humains « normaux » et des personnes humaines appelées « mutants » car elles possèdent une différence génétique qui leur confère des caractéristiques phénotypiques et physiologiques particulières. Certains de ces mutants auront des apparences étranges tandis que d’autres, tout en ne présentant aucune différence physique visible auront des super-pouvoirs. Toute l’intrigue des films X-men porte sur la conflictualité du vivre-ensemble. Des opinions divergentes au sein de chaque groupe sont présentées et, chose remarquable, une place conséquente est accordée aux arènes politiques. Ici, la menace du monde contre laquelle des héros se soulèvent n’est pas celle (à quelques exceptions près) d’un vilain alien qui veut détruire la vie mais celle, interne, des politiques et mesures publiques qui, sous couvert de xénophobie vont opprimer ceux qui sont dits différents à travers une biopolitique raciste. Ces films mettent en scène de manière remarquable les risques du racisme sur le vivre-ensemble, avec pour seul bémol que cette enquête politique du racisme anti-mutant se fait sur le fond d’une invisibilisation du racisme anti-noir, des inégalités hommes-femmes et de la question sociale.

Vu l’intention de visibilisation des Noirs annoncée dans Black Panther, vu les modèles existants au sein même du genre de super-héros pour aborder la question politique et les enjeux de racisme, on aurait pu s’attendre à un engagement plus conséquent de l’antiracisme dans Black Panther. C’est une manière de dire : « nous ne parlerons des Noirs qu’à la condition expresse que l’on cache leurs luttes politiques au sein même des États-Unis, que l’on taise leurs demandes de justice et de réparation ». Black Panther se refuse à mettre en scène l’antiracisme. Pire encore, ce film suggère que l’antiracisme n’a pas sa place dans le genre film de super-héros Noirs.

Super-héros Noirs et masques Blancs

En passant à côté de la question de l’antiracisme et du vivre ensemble, le film Black Panther rend inoffensif le concept de super-héros Noir. L’adjectif « Noir » ne fait plus référence à la construction d’une hiérarchie socio-raciale par l’Occident qui cantonne les Noirs à des zones de non-être (Fanon, 1952, p. 6) mais à une simple couleur, un masque qui ne change aucunement le principe apolitique du super-héros. C’est à la condition de cet effacement de la question raciale que les films Marvel et DC comics ont commencé depuis une vingtaine d’années à remplacer des super-héros incarnés par des hommes et des femmes blanches, par des personnes racisées. Le super-héros Black Panther prolonge cet effacement. Le super-héros Black Panther (T’Challa) tue celui qui, ayant grandi à Oakland, porte la critique la plus proche de celle du mouvement politique des Black Panthers !

Par ailleurs, la place des femmes noires dans ce film de super-héros mérite aussi toute notre attention. Si des femmes incarnent des personnages physiquement forts comme les membres de la garde rapprochée du roi T’Challa et sa cheffe Okoyé (jouée par Danai Gurira) ou de l’espionne Nakia (jouée par Lupita Nyong’o), si elles incarnent des personnages dotés de savoirs technologiques avancés tels que Shuri, la petite sœur de T’Challa (jouée par Letitia Wright) ou des reines comme Ramonda (jouée par Angela Bassett), ce film ne montre aucune super-héroïne noire. Elles sont fortes, elles sont intelligentes, elles sont belles, mais elles ne sont jamais portées à égalité avec les hommes dans le statut de super-héros. Black Panther est véritablement une affaire d’hommes, une lutte entre deux cousins. Les femmes sont importantes dans l’assistance qu’elles portent aux hommes, assistance cérémonielle, guerrière, politique, technologique ou affectueuse. Le moment le plus marquant de cette inégalité est celui où Nakia a en main la fleur-en-forme-de-cœur qui lui permettrait d’avoir les super-pouvoirs de Black Panther. T’Challa est porté disparu et le Wakanda est sous contrôle de Killmonger. Nakia se refuse à la prendre, elle préfère la garder pour un autre homme, M’Baku, le chef du clan Jabari. Elle refuse le statut de super-héroïne pour laisser sa place à un autre homme. Il existe pourtant au sein même de l’univers Marvel des super-héroïnes noires. En particulier Tornade, une femme Noire qui contrôle les éléments naturels, et qui fut déjà montrée au cinéma dans la série de films X-men (incarnée par Halle Berry et Alexandra Shipp). De même, en 2010, une série animée Black Panther portée à la télévision par la chaine Black Entertainment Television (BET) avait mis en scène une alliance entre Black Panther et Tornade.

Enfin, en examinant les sources du superpouvoir de Black Panther, l’on y repère une alliance inexcusable : celle de l’extraction de minerai à haute charge énergétique. En effet, outre l’esprit du Dieu de la Panther, Bast, qui donne au Black Panther une force et une vitesse surhumaine, toute la puissance du super-héros Black Panther provient de l’extraction du minerai vibranium. Extraction qui sert également à fabriquer des armes ! Ce minerai fait explicitement référence à l’uranium, matière essentielle pour la fabrication de bombe nucléaire (Hecht, 2016). Or, vu les formes d’esclavages qui ont eu cours et qui sont encore à l’œuvre dans les mines de par le monde, vu cette géologie qui assigne terres, écosystèmes et corps racisés à de la matière fongible (Yusoff, 2018), vu les prédations dont fut l’objet le continent africain et particulièrement le Congo pour l’obtention de minerais rares, vu la dépendance contemporaine des outils informatiques, téléphones, ordinateurs portables, batteries électriques sur l’exploitation de jeunes Noirs africains dans des conditions exécrables à l’intérieur de ces mines de cobalt et de coltan, vu les souffrances engendrées par l’extraction de l’uranium et du radon en Afrique pour la fabrication des armes et de l’énergie nucléaires, représenter un super-héros Noir qui tire une partie de son pouvoir de cette exploitation s’apparente à une perversion inexcusable des réalités sociales des Noirs sur Terre. L’aporie est patente : le super-héros Noir africain Black Panther véhicule par ses pouvoirs le même rapport colonial et raciste à la Terre qui a asservi et asservit encore les Noirs, notamment en Afrique. Super-héros Noir, masque Blanc.

Politiquement, la déception devant Black Panther est d’autant plus grande que d’autres super-héros avaient déjà montré des chemins prometteurs. Il eut été possible de faire advenir des super-héros antiracistes dont la fonction principale fut de lutter contre le racisme structurel et de protéger les corps Noirs de la prédation capitaliste et des violences policières. Je pense par exemple au super-héros nommé Luke Cage. Créé dans les années 1970, il s’agit d’un homme Noir doté d’une force surhumaine qui a été injustement emprisonné aux États-Unis et qui a la particularité d’avoir une peau résistante aux balles de pistolet ! Un héros qui porte l’histoire des injustices faites aux Noirs face au système judicaire états-unien et incarcérations de masse (Davis, 2014 ; Stevenson, 2006). Le réalisateur de Black Panther Ryan Coogler fut aussi le réalisateur du film Fruitvale Station qui racontre l’assassinat d’Oscar Grant dans le métro de Oakland par un policier Blanc. Coogler sait bien d’où vient la misère sociale des Noirs aux États-Unis. Il sait bien que le véritable super-héros Noir n’est pas celui qui se transforme en panthère et porte un costume alimenté par la puissance nucléaire de l’uranium, mais celle ou celui qui aurait pu empêcher les nombreux lynchages d’hommes et de femmes Noirs aux États-Unis, celle ou celui qui aurait pu sauver Emmett Till des mains de ses assaillants, celle ou celui qui aurait pu arrêter les nombreuses balles des pistolets de policiers. Quel sera donc le héros des Sandra Bland, d’Éric Garner, de Trayvon Martin ou de Michael Brown ? Quel sera le héros de Adama Traoré ou Oury Jalloh ? Quel héros portera les réparations pour l’esclavage des Noirs aux États-Unis et en Europe ? Quel sera le héros-panseur des blessures coloniales et impériales, des génocides des peuples autochtones et des écocides en cours ? Black Panther s’est refusé à répondre. Super-héros Noirs, masques Blancs. Les véritables super-héros Noirs restent encore à imaginer.

Bibliographie

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Baldwin, James, Notes of a native son, Boston, Beacon Press, 1955.

Blanc, William, Super-Héros: Une histoire politique, Montreuil, Libertalia, 2018.

Boukari-Yabara, Amzat, Africa unite ! Une histoire du panafricanisme, Paris, La Découverte, 2014.

Chakrabarty, Dipesh, Provincialiser l’Europe :la pensée postcoloniale et la différence historique, trad. O. Ruchet, Paris, La Découverte, 2009.

Davis, Angela, La prison est-elle obsolète ?, trad. N. Perronny, Vauvert, Au diable vauvert, 2014.

Ecco, Umberto, De superman au surhomme, trad. M. Bouzaher, Paris, Grasset, 1978.

Fanon, Frantz, Peau noire, masques Blancs, paris, Seuil, 1952.

Gilroy, Paul, L’Atlantique Noir: modernité et double conscience, Paris, trad. C. Nordmann, Éditions Amsterdam, 2017.

Hecht, Gabrielle, Uranium africain, une histoire globale, trad. C. Nordmann, Paris, Seuil, 2016.

Sarr, Felwin & Savoy, Benedict, Restituer le Patrimoine Africain, Paris, Philippe Rey & le Seuil, 2018.

Stevenson, Bryan, “Confronting mass imprisonment and restoring fairness to collateral review of criminal cases”, Harvard Civil Right, Civil Liberty Law Review, vol. 41, 339, 2006.

Yusoff, Kathryn, A billion black Anthropocenes or none, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2018.

1 Love, Judi « Black Panther : Booking flights to Wakanda”, 1er mars 2018, https://www.youtube.com/watch?v=xrwLs1r4AH8