Archives par mot-clé : foucault

Philosophie et philosophie des normes chez Kant, par

Luc Vincenti part de la question de l’applicabilité qui, en matière de comportement humain, spécifie la normativité dans le champ plus large de la régularité. La philosophie pratique de Kant permet d’enraciner cette applicabilité, au-delà d’un simple sentiment de soi, dans la connaissance de sa liberté. Mais que devient ce fondement de l’obligation hors du champ moral, dans le champ juridique, où Kant se rapproche du positivisme kelsénien ? La philosophie politique kantienne est en fait à double face : mettant en question la fondation contractualiste dans le champ propre du droit, Kant retrouve la légitimité dans le rapport, finalisé, du droit à la morale : dans la capacité du droit à produire la paix en préservant la liberté. La notion kantienne d’usage public de la raison est alors tout à la fois ce qui manifeste cette fin du droit, par la liberté d’expression, et ce qui apparaît comme déploiement public d’une connaissance de la liberté par elle-même.

Luc Vincenti starts from the question of applicability which, as regards human behaviour, specifies normativity within the wider field of regularity. Kant’s practical philosophy enables this applicability to be located, beyond the mere feeling of self, in the knowledge of one’s freedom. But what happens to this foundation of obligation outside of the moral realm, in the legal realm, where Kant is closer to Kelsenian positivism ? In fact, Kant’s political philosophy is two-sided : while he questions the contractualist foundation within the properly legal realm, he returns to the idea of legitimacy in the purposive relation law has to morals, i.e., in the capacity of the law to produce peace by preserving peace. Kant’s notion of the public usage of reason then exhibits this purpose of law, through freedom of expression, and is also the public display of freedom’s knowledge of itself.

Un cavalier schizoanalytique sur le plateau du jeu d’échecs politique, par

Lévia Tot(h) (À propos de Leviathan Toth d Ernesto Neto), par et

Leviathan Toth, la contre-“installation” que Ernesto Neto a suspendue aux voûtes du Panthéon à l’automne 2006 n’exploite pas l’espace de ce lieu de mémoire national pour s’exposer («art environnemental»). Il affronte toutes ses coordonnées physiques, esthétiques, politiques, métaphysiques, pour s’en prendre à l’Art de la représentation dont le frontispice du Léviathan montrait, au dire même de Hobbes, le rôle constitutif-constitutionnel pour la République. Mettant en scène une manière de Critique et Clinique de la Représentation dans toutes les acceptions du terme à partir du court-circuit (qui est aussi le circuit le plus court) entre politique et esthétique, l’Opération-Neto vise à la dés-organisation expansive de la multitude vivant sous le régime «démocratique» de la représentation contractuelle dont le Panthéon est le temple. Elle donne corps à la perversion rhizomatique-bioénergétique de l’Image de l’État-Machine, de la Forme-État, en projetant un nouveau type de réalité, infra- et supra-organique, qui tire son «énergie» des forces de la multitudo dissoluta (Hobbes) dont elle propose une radicale re-composition vitale. Cette œuvre/non-œuvre qui relève d’un constructivisme politico-esthétique brésilien que l’on s’attache à redéfinir, ne peut dès lors faire l’«objet» que d’une pratique de déplacement incorporante et constituante du spectateur-participant.

Leviathan-Toth, Ernesto Neto’s anti/counter-installation which could be seen hanging from the vaults of the Panthéon in autumn 2006 does not seek to exploit this national memorial as a space in which to stand as an exhibition (environmental art). It responds to all of its surrounding factors – physical, aesthetic, political, and metaphysical, to attack the representative art whose constitutive-constitutional role in the republic, according to Hobbes, can be seen in Leviathan’s frontispiece. Setting up a sort of Critique et Clinique of Representation in all senses of the term beginning with the short-circuit (which is also the shortest circuit) between politics and aesthetics, Neto’s operation sets its sights on the expansive dis- organisation of the multitude living under the «democratic» regime of contractual representation of which the Panthéon is the temple. It provides a body for the rhizomatic-bioenergetic perversion of the Image of the State-Machine, of the Form-State, by projecting a new infra and supra-organic type of reality which draws its «energy» from the forces of the multitudo dissoluta (Hobbes) whose radical and vital recomposition it advocates. This work or non-work, derived from a Brazilian political-aesthetic constructivism which is undergoing redefinition, can now only take place in the context of a practice of displacement which incorporates and is constituted of the spectator-participant.

Puissances de la samba, clichés de la samba, par

La samba est la plus puissante des expressions artistiques et en même temps l’un des plus grands clichés de Rio de Janeiro. Cliché de l’« identité nationale », du peuple et de l’État-Nation. Mais avant d’être capturée et rendue impuissante dans un cliché, la samba est une ligne de fuite, ou mieux, plusieurs lignes de fuite selon les différentes formes selon lesquelles elle s’est réinventée au long du XXe siècle. Elle dessine la carte, avec ses divisions et occupations territoriales, de la ville même de Rio : la samba qui démarque des territoires en même temps qu’elle se fait démarquer par le territoire, la samba qui réinvente des corps selon ses performances. Performances contre l’asepsie, la discipline physique et la séparation qu’on veut leur infliger : enfin, un jeu permanent de résistance biopolitique et d’action du biopouvoir.

Samba is Rio de Janeiro’s most powerful form of artistic expression, but also one of the city’s main clichés. It is a cliché of”national identity”, cliché for the people and for the Nation State. However, more fundamental than its capture in these clichés, making it powerless, samba is a line of flight or – even better than that – it is a series of lines of flight, according to the different modes by which it has been reinvented throughout the 20th century. Samba draws Rio’s map, with its sections and territorial occupations: shaping territories and being shaped by them, inventing bodies according to their performances. The performances go against asepsis, physical disciplines, and the separation that one tries to inflict on the city’s territories. In short: samba is a permanent interplay between biopolitical resistance and the action of biopower.

Rente salariale et production de subjectivité, par

Au cœur de cet article : l’émergence de la figure du « salarié rentier ». Cette figure n’a rien de nouveau en soi si l’on songe aux différentiels de salaire liés aux hiérarchies socialement déterminées des métiers. Ou bien, si l’on songe aux rentes salariales obtenues par des pans du salariat aux dépens du salariat féminin, précaire, immigré. Ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui la rente salariale ressort d’un processus double, d’individualisation du salaire et de « socialisation du capital ». Elle est donc d’une nature nouvelle, par ailleurs, son émergence rend encore plus floues les frontières qui séparent les grandes catégories des revenus : salaire, rente et profit. Dans cet article, il s’agit moins de rendre compte de la figure du salarié rentier d’un point de vue strictement économique que de saisir dans le processus double qui lui donne naissance le fonctionnement propre d’une machine de production de subjectivité qui soude la liaison dangereuse entre capitalisme cognitif et néolibéralisme.

The central concern of this essay : the emergence of the figure of the « wage shareholder ». There is nothing new about this figure in and of itself if one thinks of wage differentials linked to social hierarchies determined by the professions. Or again if one thinks of wage-earning shares obtained by sections of the wage-earning system at the expense of feminine, precarious, and immigrant wage earners. What is new is that today the wage share results from a double process of wage individualization and « socialization of capital ». It is thus of a new nature, and its emergence therefore renders more indistinct the boundaries that separate the main categories of revenue : wage, annuity and profit. In this article, it is less a question of accounting for the figure of the wage-earning shareholder from a strictly economic point of view as to see it in terms of a double process that gives to it the functions proper to a machine producing subjectivity that unite the dangerous link between cognitive capitalism and neoliberalism.

La monnaie et la finance globale, par

Les différentes réformes institutionnelles qui, depuis la fin des années 1970, ont conduit à une « privatisation de la monnaie » ont été l’une des assises principales sur lesquelles a été bâti le pouvoir de la finance et, dans le même temps, la déstabilisation du Welfare. À cet égard, un tournant essentiel a été l’institutionnalisation de la soi-disant autonomie des banques centrales. L’une des mesures phares de cette réforme fut la coupure du « cordon ombilical » qui, dans le mode de régulation keynésien, liait le trésor public à la banque centrale, ce qui permettait de financer par création monétaire le déficit du budget de l’État et, sous la poussée des conflits, l’expansion des dépenses sociales et du salaire socialisé. En ce sens, l’affirmation de l’autonomie de la banque centrale par rapport au pouvoir politique a été aussi, et surtout, un changement institutionnel effectué dans le but de soustraire la création monétaire à la pression des conflits sociaux, et par là, de la subordonner progressivement à la logique de la rente et de l’accumulation financière. Ce n’est pas un hasard si, à la suite de l’interdiction de financer le déficit par émission monétaire, la pierre angulaire de la première phase de la financiarisation a justement reposé sur la titrisation de la dette publique, c’est-à-dire sur l’adjudication des bons du Trésor sur un marché libéralisé. Le résultat en est non la réduction mais la croissance exceptionnelle de la dette publique et des revenus rentiers. Dans le même temps, le service de la dette représente désormais l’un des principaux postes de dépenses de l’État et son poids « excessif » est souvent invoqué pour stigmatiser les gaspillages et donc le « nécessaire » démantèlement de l’État-providence. C’est toujours dans ce contexte que l’objectif principal de la politique monétaire devient la stabilité des prix et la garantie des revenus rentiers, alors que les bulles spéculatives constituent désormais la forme essentielle et nouvelle de l’inflation dans les pays développés. De plus, pour soutenir la demande malgré le creusement des inégalités et la déstabilisation des garanties du Welfare, le deficit spending public de type keynésien a été remplacé par une sorte de deficit spending privé, incitant, comme dans le cas exemplaire des subprimes, à un formidable endettement des ménages. Cette évolution signifie aussi que nous passons de plus en plus, comme pour le droit au logement, d’une logique fondée sur des droits de propriété sociale, à une logique de droits de propriété privés, soumis aux cycles d’accumulation du capital. Pour inverser cette spirale, un processus de resocialisation de la monnaie (impliquant la remise en cause du statut d’autonomie de la Banque centrale) se présente ainsi, conjointement à une réforme fiscale radicale, comme l’un des piliers d’un projet de société capable de s’attaquer au pouvoir de la rente et de permettre la mise en place d’un revenu social garanti.

The various institutional reforms which have led since the end of the 70s to the « privatisation of currency » have formed the main base on which the subsequent power of (international) finance has been built, and, concurently, the dismantling of Welfare could take place. Core of this was the so-called autonomy of central banks, as their « umbilical cord » to national treasuries was severed. From then on, deficit financing and « keynesian » social expenditures became near-impossible. Emphasizing the autonomy of central banks from politics was mostly an institutional mutation meant to free monetary policies from social pressure and make it totally subordinate to rent creation and financial accumulation. No wonder then that « securitisation » of the public debt closely followed on the prohibition to deficit financing social expenditures. And then the outcome was not a reduction, but an explosion of public debt! And as debt servicing becomes a principal item on the budget, the « excessive costs » of welfare provisions is blamed, and a further break-down of social services is called for. It is in the same vein that price inflation is controlled, but assets inflation and speculative bubbles dominate « developped » economies. Meanwhile, in order to compensate for increasing income inequalities and diminishing welfare benefits, an exacerbated form of « private households deficit spending »has come into its own, as witnessed by the subprime crisis and mounting credit card defaults. So we are moving from an entitlements-based provision of social goods (housing, education, health etc) to one based on the pure logic of capital and its cycles. The only way out lies in the resocialisation of currency (and an end to the « independence » of central banks), profound fiscal reforms, the demise of rent-seeking, and the institution of an universal « basic income ».

Multitudes