Archives par mot-clé : modernité

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention, par

Revenu inconditionnel d’existence et économie générale de l’attention

Un revenu inconditionnel d’existence devrait être envisagé au sein d’une pluralité de formes de revenus, basés sur des logiques hétérogènes. Parmi ces justifications, la prise en compte des dynamiques de l’économie de l’attention (dont Google et Facebook tirent d’ores et déjà des revenus énormes) pourrait jouer un rôle central. Un revenu d’existence apparaîtrait alors comme un investissement social permettant à chacun(e) de diriger son attention vers ce qui lui semble le plus important. Mais cela impliquerait de passer d’une économie restreinte à une économie générale, dans laquelle le moment de l’attention réflexive ne serait pas considéré comme un luxe inutile, mais comme un besoin d’avenir.

Universal Basic Income within a General Attention Economy

A Basic Universal Income (UBI) should be considered among a plurality of heterogeneous logics for rewards and incentives. Taking into consideration the attention economy (which already provides enormous incomes to Google and Facebook) could play a central role in such argu-ments. The UBI would then be seen as a form of investment allowing each recipient to direct his or her attention where
s/he judges would be more needed. This would require us, however, to evolve from a restricted economy to a general economy, where reflexive attention would no longer be considered as a wasteful luxury, but as a growing need for the future.

Subjectivations computationnelles à l’erre numérique, par

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées, par

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées

Cet article revient sur la notion de « subjectivité computationnelle » formulée par David M. Berry visant à développer une approche critique des technologies numériques. Afin de comprendre les implications philosophiques d’un tel rapprochement entre « subjectivation » et « computation », nous revenons tout d’abord, via Leibniz et Hannah Arendt, sur l’émergence des sciences modernes qui visent à faire du « sujet » classique une entité calculante. Nous voyons ensuite comment les sciences « comportementales » ont influencé la conception des ordinateurs en substituant à la raison humaine des modélisations rationnelles déléguées à des machines. Pour sortir de l’impasse d’une déshumanisation annoncée dès la fin des années 1970 par des auteurs comme Ivan Illich ou Gilles Deleuze, nous envisageons enfin la « subjectivation » comme un processus qui ne nécessite pas qu’il y ait sujet. Le concept d’« appareil », tel que le propose Pierre-Damien Huyghe à propos de la photographie et du cinéma, peut ainsi être étendu aux machines computationnelles pour penser de possibles « consciences appareillées ».

Computational Subjectivities and Apparatus-Consciousness

In continuation with David M. Berry’s considerations on “computational subjectivities”, this paper goes back to the emergence of modern science, via Leibniz to Arendt, questioning the attempt to see the classical “subject” as a calculating machine. After behaviorism had greatly influenced computer science, after Ivan Illich or Gilles Deleuze’s redefinition of the subject, we can now envisage processes of subjectivation without a subject. The concept of apparatus, as theorized by Pierre-Damien Huyghe’s analysis of the photographic camera, can be extended to computation and help us conceive of “apparatus-consciousness”.

« Doit-on réformer l’islam ? ». Brève histoire d’une injonction, par

Penser le sécularisme, par

Penser le sécularisme

Ce texte, écrit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, tente de redéfinir les notions de laïcité et de sécularisme en marge des grands récits de sécularisation. La modernité laïque n’est ni la simple séparation du politique et du religieux, ni ce qui reste lorsque la religion décline ou s’efface. Dès lors que le concept de « religion » renvoie lui-même à une construction historique qui diffère selon les espaces politiques, l’on doit affirmer que la modernité laïque est la production d’un nouveau partage entre le religieux et le politique, d’une redéfinition de ce qu’est censé être la « religion » et, avec elle, l’éthique et la politique. Le texte discute ensuite le libéralisme politique de Charles Taylor de façon critique. L’unité de la modernité politique n’est pas factuelle, c’est l’unité d’un projet moderne : elle a un but politique dont l’hégémonie se lit dans le fait que les peuples extra-européens sont perpétuellement invités à s’y mesurer. Cette analyse dessine enfin la voie d’une anthropologie du sécularisme défini comme une doctrine qui cherche à émanciper la sphère publique d’un religieux oppressif, mais aussi et surtout comme une forme de vie laïque : un ensemble d’attitudes spécifiques, un certain rapport au corps et à la souffrance ainsi qu’un modèle de subjectivité.

Thinking about secularism

The text was written at the aftermath of 9/11. It tries to redefine secularism without presupposing any narrative of the decline of religion. Secular modernity is neither the mere separation of politics and religion nor what remains after religion has withered away. Insofar that the concept of “religion” is itself a historical construction, secularism can be seen as the production of a new binary division between the secular and the religious, as a redefinition of what religion, ethics and politics are supposed to be. The text critically engages with Charles Taylor’s political liberalism. It then asserts that modernity is a hegemonic political project forcing non-European people to measure themselves to it. It eventually paves the way for an anthropology of secularism defined as both a political doctrine and a form of life – a set of attitudes, a specific relationship to the body and pain, and a mode of subjectivity.

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?, par

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?

Pour mieux analyser les implications et conséquences des événements de janvier 2015, il faut parler du regard public sur l’islam et les musulmans, ce qui renvoie à l’idée d’une scène publique sur laquelle controverses, discussions polémiques et délibérations collectives se déploient, où émergent et se constituent des problèmes publics. L’irruption de la violence politique accélère potentiellement l’institutionnalisation de politiques du soupçon et de la méfiance vis-à-vis des populations musulmanes de France en convoquant des répertoires juridico-administratifs inadaptés. Les réactions politiques françaises, en particulier le choix de répondre aux attentats par une injection de laïcité dans l’école publique, sont préoccupantes en ce qu’elles contribuent à instituer un espace public dont le « monolinguisme » nationalo-laïque menace de s’avérer délétère.

After January 7, 2015, What Is the Place for Muslim Citizens in a Liberal Secular Context?

In order to understand the stakes and consequences of the Jan 2015 events in Paris, it is important to observe how public attention on Islam and Muslims generates a certain stage and a certain construction of public issues identified with religion. The irruption of political violence accelerates the institutionalization of suspicion towards Muslim populations in France. So far, political, legal and administrative reactions attempted to inject a more rigorous laicism in the French schools and public spaces have reinforced a tendency towards a mono-linguistic national-secularist public space, which doesn’t bode well for the future.

L’intangible et l’inestimable Les biens immatériels, le marché et le sans prix, par

L’intangible et l’inestimable
Les biens immatériels,
le marché et le sans prix
Tandis que les biens matériels sont relativement aisés à évaluer parce qu’ils sont tangibles et quantifiables, les biens immatériels (ou « intangibles ») demandent une méthode plus complexe d’évaluation. Ainsi en va-t-il des savoirs, des services, des productions de l’esprit et de la culture en général. Il existe en effet un marché de tels biens et cela depuis qu’il existe des échanges marchands. Trois opérations le permettent : l’évaluation par unités mesure, le formatage des activités, l’échange ou le partage de ces biens. Mais au-delà de ces biens immatériels évaluables sur un marché, il y a des biens ou plutôt des valeurs qui ne le sont pas et ne le seront jamais ; ils ont rapport au talent, au don, à la confiance, à la dignité – bref à l’inestimable.

The Intangible and the Priceless
Immaterial Goods, Market and the Beyond-Pricing
Whereas the value of physical goods is relatively easy to assess, because they are tangible and quantifiable, intangible goods require a more complex mode of assessment. This is the case of forms of knowledge, services, intellectual products, and culture in general. There is a market for such goods, one as old as are commercial exchanges. Three operations make this possible: assessment through the use of units of measurement, the formatting of activities, and the exchange or sharing of the goods involved. Yet, beyond those intangible goods whose valued can be assessed in a marketplace, there are other goods−or rather values−that can never be assessed. They have to do with talent, giving, trust, dignity−that which is priceless.

Multitudes