LE MONDE | 27.04.06 |Dans leur local, au premier étage d’une HLM, les neuf “femmes-relais” tentent, avec leurs petits moyens, d’éviter que leur quartier ne coule, plombé par les tensions et les misères. Pas de grands discours, d’ambition démesurée mais un patient travail de fourmi pour aider les habitants de la cité de la Rose-des-Vents à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), tous issus de l’immigration, à s’intégrer dans la société française.
Elles le faisaient avant les émeutes urbaines d’octobre-novembre 2005, elles le font toujours, six mois après, comme les autres médiatrices de Seine-Saint- Denis réunies, à Bobigny, par le centre de ressources “Profession banlieue”, jeudi 27 avril, pour défendre l’idée qu’il s’agit d’un “vrai métier”, pas seulement d’une “activité passagère”.
L’association des Femmes-relais d’Aulnay est née en 2000. “On était plusieurs femmes, de plusieurs origines, à faire de la médiation, sans se connaître. Ça nous a paru intéressant de nous rassembler dans une association. D’abord en étant bénévoles, puis, lorsqu’un statut a été créé, d’en faire notre métier”, raconte Ayse Baris, 31 ans, turque et française, mère de trois enfants. Passées par l’épreuve du chômage ou n’ayant jamais travaillé auparavant, ces femmes sont devenues des professionnelles de la médiation, comme les 3 300 autres “adultes-relais” recensés en France. Un dispositif que le gouvernement a promis de relancer après la crise des banlieues : M. de Villepin s’est engagé à doubler le nombre de postes d’ici à la fin 2006.
Dans un quartier d’où sont partis presque tous les “Blancs” (Le Monde du 18 novembre 2005), la tâche des médiatrices est immense. “On touche tous les domaines de la vie quotidienne”, raconte Aissa Diawara, 34 ans, directrice de l’association, mère de cinq enfants.
Les “femmes-relais” accompagnent les habitants dans leurs démarches à la caisse d’allocations familiales, à la Sécurité sociale, à la mairie, elles interviennent en cas de conflits entre particuliers, elles font le lien entre le collège et les familles. Un métier qui mélange les fonctions de traductrice, d’écrivain public, de conseillère d’orientation, de psychologue…
Favzya Mohamed, Indienne de 32 ans, trois enfants, “femme relais” depuis six ans : “Je suis intervenue auprès d’une famille qui venait de découvrir que leur fille de 12 ans était enceinte de six mois de son oncle. La mère était désespérée, sa fille a dû avorter et être placée un an par le juge des enfants. Mon travail a été de rencontrer les parents, discuter, pour éviter qu’ils rejettent leur fille. Aujourd’hui, elle habite à nouveau chez eux.”
Profil et origine complètement différents, Kounady Sakiliba, Malienne de 53 ans, mère de quatre enfants, intervient, elle, au collège. Les familles se tournent vers elle, qui maîtrise six dialectes africains, lors des conseils de discipline, des rencontres parents-profs, ou pour la remise des bulletins scolaires. A elle d’expliquer aux familles, dont un grand nombre n’a jamais été scolarisé, le fonctionnement de l’école. “On fait tout pour que les familles n’aient plus peur d’y aller”, ajoute-t-elle. Des cours d’alphabétisation sont organisés sur place pour inciter les immigrés à franchir la porte.
Les interventions peuvent concerner le logement, les impôts, les relations avec une banque ou un bailleur social. Mais leur mission dépasse la simple assistance ponctuelle. Aissa Diawara fait le lien avec les émeutes de 2005 : “Je vois des enfants partir à la dérive. Ces jeunes-là ont pris le pouvoir dans leur famille. Ils font tout à la place des parents, qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive en France. Si on aide les parents, si on leur permet de tenir leur rôle, on remet les enfants à leurs places d’enfants.”
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