La santé est un bien commun. Au début de l’automne 2020, cette phrase trotte encore, dans ma tête de linotte, comme un mantra souriant. À la mi-mai, lorsqu’un sbire de Sanofi a osé affirmer qu’en termes de vaccin, les payeurs états-uniens seraient les premiers servis, de l’Élysée à la rue de Solferino en passant par les crieurs de la place de la République, ils ont toutes et tous affirmé leur credo indéfectible : selon les mots sur Twitter du Premier ministre, on ne transige pas sur le principe de « l’égal accès de tous au vaccin ». Car désormais, la santé est un bien commun. Même ceux qui semblaient lui préférer l’Armée, les industries polluantes, la start-up Nation, l’équilibre budgétaire, la Divine croissance ou les Saints bénéfices le clament ou l’induisent par le flot d’argent qu’ils envoient comme par hélicoptère : oui, qu’on se le dise et qu’on se le redise, la santé est un bien commun !

Mais ça veut dire quoi, bien commun ? Sa différence par rapport à un bien privé, c’est facile : la santé ne concerne pas que l’individu bien assuré qui paye beaucoup, pour lui et lui seul ; elle est l’affaire de toute la communauté – quelle que soit celle-ci. L’homo œconomicus, qui se contrefout de la santé de son voisin, du concierge d’en bas et de la vieille d’en haut, se plante. Ne serait-ce que parce que le coronavirus, lui, adore se balader du concierge à l’enfant du deuxième étage, et de la vieille des toits au bunker calfeutré de notre homo œconomicus – d’où, d’ailleurs, le masque, que l’on porte moins pour soi que pour protéger l’autre. Parce que la bonne ou mauvaise santé de l’une rejaillit sur celle de ma voisine, la santé appartient à toutes et tous sans exclusive : aux patients et à leurs proches, au monde soignant cela va de soi, et puis à tous les citoyens, du bébé qui vient de naître à l’ancêtre en soins palliatifs. La santé, me semble-t-il, est un bien collectif, propre à chaque individu sans être pour autant réductible à un bien individuel, donc à un droit – même si ce droit justifie d’une indispensable « protection sociale ».

Un bien commun, dès lors, est-il un bien public ? Dans le sens : qui appartient à un public, voire à tous les publics concernés, oui. Ce qu’on appelle un « commun », d’ailleurs, à l’instar de la connaissance pour Wikipédia ou des forêts dans le cadre des affouages, est une ressource, dont s’occupe une communauté, selon des règles de gouvernance claires, comprises et partagées par toutes et tous. Sauf que si « public » signifie appartenant au « service public » et à son administration d’État, sans moyens et avec plein de paperasse, un bien commun n’a pas à être forcément « public ». C’est le problème que me pose cette phrase de deux responsables de Médecins du monde dans une tribune d’avril 2020 : « La santé doit être considérée comme un bien commun essentiel et devenir une priorité des dépenses publiques. » La première partie de la sentence souligne un effet de cliquet, du moins en principe : la santé est un « bien commun essentiel », qui mérite qu’on suspende pour elle l’économie. Excellente nouvelle. La deuxième partie du plaidoyer, quant à elle, souligne certes un déficit de « l’avant » : l’hôpital public et les métiers du soin n’ont guère été jusqu’ici « soignés » par l’État, chiche dans ses financements. Mais elle réduit l’enjeu de ce bien commun à une dépense de budget, qui plus est de l’État français. C’est réaliste. Mais c’est triste. Rêvons un peu. Et si la santé devait plutôt être un bien commun, non de l’État, mais des citoyens ? Et si cet enjeu, de remise de la santé entre les mains de tous et toutes, nous permettait enfin de prendre soin d’elle : de notre santé ? Donc de la santé des jeunes et des vieux, mais aussi des animaux, des végétaux, de l’air, du sol et des océans ? De la planète qui arrêterait de chauffer ? De tousser ? Là, pour le coup, la santé serait vraiment un bien commun. Et pas que pour les homo œconomicus.

[voir Argent, Bio puissance / Bio pouvoir, Chôra]