80. Multitudes 80. Automne 2020
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Design aéroclimatique

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D’après Bulles de Peter Sloterdijk

L’étude des nuages toxiques éclaire l’identité du XIXe et du XXe siècle.
Gaz moutarde, gaz sarin – tous toxiques, mortels, en temps de guerre.
L’air irrespirable, les miasmes mortels, définissent notre existence
comme au XVIIIe siècle, dans les villes, avec les physiocrates.

Quelle place pour la climatologie des nuages toxiques,
alors que la Première Guerre mondiale a consacré le début
de l’ère climatique – et respiratoire ?
Les points de faiblesse biologique étaient le couplage de l’air et du climat ;
de l’atmosphère et du bien-être ;
d’où les notions d’isolat, de découpage, de séparation, de refuge.

Les substances majeures – le dyphényle chlorure d’arsenic,
Croix bleue ou Clarck 1, Gaz moutarde et Yperin –
ont mené à la chambre à gaz – la sphère parfaite.

Conscience environnementale, concept du design et terreur qui l’accompagne :
un masque.
Un voile de coton, de nylon : l’air est irrespirable – et ce jusqu’en l’an 1 000.
Soufflage et bonbonnes de gaz – cornues
et chambres respiratoires – la théorie de l’air n’a de cesse d’évoluer !
Jusqu’à aujourd’hui, sur la burqa, avec des têtes de morts dessinées,
un virus frétillant au-dessus.

Il faut – disent les médecins, les pneumologues, les adeptes du souffle primordial –
s’abriter de tout malaise. À l’abri, à jamais, de l’air premier !
Surveillance dans les domaines de l’aérotechnique, de la médecine, du droit, de la politique.

De là, en temps de paix, naît l’ère de l’extermination animale :
poux, punaises de lit, cafards.
En temps irrespiratoires,
ils meurent assiégés
de leurs conditions de vie irrespirables.
Le zyklon était recommandé pour la désinsectisation d’espaces d’habitation
envahis par la vermine.
La teigne et le rat complètent cet harmonieux tableau.
C’est l’empreinte de l’élimination radicale,
la table rase étant l’obsession majeure de notre époque.

C’est après, bien après, que l’inversion eut lieu : la zone gazée
devint la zone climatisée,
l’espoir du tampon.
La ville comme zone climatique – après avoir été miasmatique –
grandit et devint irrespirable.
Nous sommes sous cloche, une zone
créée de toutes pièces, approximativement sans air.

L’espace urbain, en 3D : de l’existence des serres,
pour confinés et pressurisés.
Nos révoltes seront climatiques :
pression de l’air, humidité, vents, nuées et tensions.

Nous sommes sous cloche.
Voici le design aéroclimatique.

[voir Respiration]