Loi DADVSI

Encore une loi à revoir

Partagez —> /

LE MONDE | 24.03.06 Le projet de loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société d’information (DADVSI) vient d’être voté, mais cela fait plusieurs années que les jeunes et les internautes en général ont commencé à s’y intéresser.
Dès juin 2004, des centaines d’internautes s’étaient mobilisés contre une campagne publicitaire de l’industrie culturelle où on prévenait les téléchargeurs qu’ils risquaient 300 000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement : le sort réservé aux “pirates”.
Peu après, 50 poursuites judiciaires étaient lancées à l’encontre des “gros” téléchargeurs. Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 200 internautes poursuivis en justice. Pourtant presque aucun d’entre eux n’est un “gros” téléchargeur. Alors que la majorité des baladeurs MP3 permettent d’écouter de 15 000 à 20 000 morceaux, beaucoup de gens ont été poursuivis alors qu’ils avaient moins de 1 000 morceaux de musique. Heureusement, si les premiers poursuivis perdaient souvent leurs procès, ils arrivent désormais à faire valoir les règles de la copie privée : selon le code de propriété intellectuelle, une fois l’oeuvre divulguée, “l’auteur ne peut interdire les copies ou reproductions réservées à l’usage privé du copiste”. Cette exception de copie privée était méconnue, mais existait. Elle est réduite à néant par le texte de la loi DADVSI. En tant que jeunes de la “génération MP3”, nous sommes des usagers réguliers des gigantesques capacités des réseaux. On nous a traités de “pirates” voire de “bandits”, et accusés d’entraîner la baisse de ventes de disques. Pourquoi pas aussi le réchauffement de la planète, la disparition des espèces menacées et même les mauvaises performances des marchés financiers ?

Qu’on ne s’y trompe pas. La copie privée n’est pas la copie gratuite et illimitée. Une commission existe pour décider s’il faut taxer ou non les supports numériques : aujourd’hui, les CD vierges, les DVD vierges et les baladeurs MP3… pas les abonnements Internet. Nous n’y sommes pas défavorables, car il faut que les auteurs, interprètes et producteurs soient payés pour leur labeur. Et nous sommes fiers d’appartenir à un pays qui refuse de faire de la culture un simple “produit”, à un pays qui a créé le concept d’exception culturelle et s’en est fait le champion.

Mais les jeunes ont un budget très limité. Pour ma part, je dépense déjà beaucoup d’argent pour mes loisirs culturels : mon téléphone portable et les sonneries qui vont avec, ma connexion Internet haut débit, les livres, les BD, les CD, DVD et jeux vidéo… On se retrouve donc très souvent face à des choix difficiles : télécharger la dernière sonnerie polyphonique ou aller au cinéma ? Un coffret d’Obispo ou celui de Lanfeust ?

Des solutions auraient dû être trouvées pour nous qui téléchargeons et échangeons de la musique. Nos parents ont bien eu le droit d’échanger de la musique en K7, ou d’enregistrer des films sur VHS. Faut-il considérer que nous sommes des sous-citoyens du numérique ? Les seules solutions viennent de groupes alternatifs qui proposent par exemple la licence globale, ou plus récemment la taxation des fournisseurs d’accès à Internet. Des idées reprises par plusieurs députés, de droite comme de gauche, et acteurs de la société civile.

Hélas, le projet de loi sur les droits d’auteur du ministre Renaud Donnedieu de Vabres n’a pas répondu à ces questions. Pas la peine d’être très expérimenté en politique pour être scandalisé de la gestion calamiteuse de ce dossier. Et ce malgré la mobilisation massive des Français à travers des pétitions, des organisations (de familles, de consommateurs, d’éducation populaire, d’internautes), et plus simplement par l’envoi de courriels à son député. Rien n’y a fait.

On nous disait pourtant que la loi DADVSI devait être une loi de la réconciliation des droits des auteurs avec les pratiques des usagers du XXIe siècle. Ce devait être un texte qui aurait dû faire l’objet de longs débats (trois ans pour la loi Lang en 1985). Un texte qui, au final, devrait être voté à l’unanimité des parlementaires pour satisfaire artistes et citoyens. Hélas, nous avons eu tout le contraire. Le résultat de ce fiasco : les jeunes et les internautes ont massivement suivi les débats en direct sur le site de l’Assemblée, ils ont participé à des forums de discussion, ils sont aujourd’hui unanimes contre ce texte et sont majoritairement déçus du système démocratique parlementaire.

Déçus des manipulations d’abord. Un ministre nous explique avec entrain qu’il n’y aura plus d’internautes en prison, mais nous répondons qu’il n’y en a jamais eu. Au contraire, les audionautes ont regroupé et soutenu les boucs émissaires du Net jusqu’à obtenir leur relaxe. Nous passons donc d’une jurisprudence relaxant les citoyens-téléchargeurs à un système organisant leur répression massive.

Déçus par le recul des libertés fondamentales. La copie privée est réduite à néant sur Internet. Des mesures techniques de protection (DRM) seront installées sur tous les fichiers numériques pour contrôler et enregistrer les utilisations du public. Cette intrusion dans les foyers et la vie privée est une menace pour les libertés des citoyens.

Déçus par le manque d’envergure de la loi. Les enjeux du texte de loi dépassent le simple droit d’auteur pour toucher à la défense nationale, aux libertés, à l’économie numérique et à la citoyenneté en ligne. Il sera préférable que le ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres revienne sur ses positions et renonce à une loi répressive faisant de l’Internet français un nouveau ghetto numérique.

On veut donc nous empêcher de lire nos CD ou morceaux téléchargés sur les appareils de notre choix. Il nous faudra bientôt choisir entre la peste Microsoft et le choléra Apple, prendre parti pour une marque et nous y tenir, puisque les techniques qu’elles utilisent nous rendront otages de leur technologie.

La loi rend les jeunes Français dépendants des technologies américaines. Elle nous criminalise quand nous avons été capables de faire ce que les maisons de disques n’ont jamais réussi à faire : créer un système d’échange culturel collaboratif, non commercial et pertinent. Il est inutile de dire que nous nous battrons devant les tribunaux pour faire ressortir ses failles de la loi et la combattre jusqu’au bout.

Nous attendons désormais qu’elle soit un jour retravaillée dans le sens de l’intérêt général. Espérons que l’approche de la présidentielle permettra de hâter cette échéance.