Perrine Lacroix est responsable de La BF15, Espace d’art contemporain à Lyon où a eu lieu la première exposition de Ludovic Chemarin© du 31 mars au 21 mai 2011. Elle a réalisé l’entretien qui suit à cette occasion.
P. Lacroix : Ensemble, vous avez décidé de réactiver le travail de Ludovic Chemarin et de prolonger sa carrière artistique. Quel a été le cheminement de ce projet singulier ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Nous nous connaissons depuis longtemps et avons beaucoup discuté sur la disparition au sens propre et figuré des artistes, de cette zone trouble et malsaine de la fin d’une œuvre ou d’une pratique. Nous nous sommes aussi posé la question d’arrêter dans les moments de doute, de solitude et de difficultés financières. C’est une décision quasi impossible à prendre, très difficile à partager. Nous en avons parlé ensemble et cela nous a donné envie de travailler sur ce sujet. Quand cela arrive chez un artiste, même quand on le connaît bien, on ne sait que très rarement ce qui se passe réellement – ce n’est jamais documenté ni revendiqué – sans doute par pudeur et par douleur de la part des artistes, ou par peur de la réalité et de ses conséquences de la part des institutions, des médias ou du marché. Notre société n’aime pas l’échec, surtout de la part des artistes. Seule la mort pour l’histoire de l’art semble acceptable comme fin possible d’un travail. Cette fin « naturelle » échappe à l’artiste et revient aux héritiers, aux historiens, aux collectionneurs, à l’économie de l’art. La production artistique est un flux permanent – toujours pointé vers le futur, l’innovation, la nouveauté et dans une logique de croissance. Tout ce qui peut stopper cette machine infernale est suspect, dangereux. L’artiste ne peut et ne doit connaître la faillite.
D. Beguet : C’était pour moi, dans ma logique d’appropriation du modèle de l’entreprise, une façon d’acheter une activité en faillite. Dans le domaine des affaires, c’est plutôt un geste positif car cela sauve une activité, mais dans le domaine artistique, c’est bien plus douloureux.
P. N. Ledoux : Je suis proche des artistes simulationnistes et appropriationnistes. Je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est autour de l’œuvre, ce que l’on nomme le paratexte. Et dans ce cas précis, celui d’une cessation d’activité artistique, il y a très peu de choses. Donc cela m’intéresse beaucoup, que ce soit d’un point de vue historique, symbolique ou financier.
D. Beguet & P. N. Ledoux : Notre approche conceptuelle de l’art butait sur la matérialité à donner à notre production. Nous avions donc envie de nous confronter au problème de la forme et de la production d’objet d’art mainstream, sans pour autant perdre la radicalité de nos positions conceptuelles. « Faire art sans faire de l’art ». Nous « sous-traitions » déjà, par exemple, à des peintres nos peintures respectives. Mais nous avions besoin d’aller plus loin dans la mise en place d’un protocole qui répond à cette double exigence paradoxale : produire sans se trahir – dépasser la simple posture théorique du refus du système de l’art. Nous avons imaginé beaucoup de scénarios, écrit des cahiers des charges, testé des situations avant de conclure qu’il nous fallait poursuivre l’œuvre d’un artiste qui aurait sciemment cessé sa production – production de qualité et relativement reconnue et qui accepterait – en résumé – de se déclarer en quelque sorte en « faillite » afin que nous en soyons les repreneurs. Une fois cela posé, nous avons cherché, cherché et encore cherché – sans trouver. Nous étions face à un casting impossible ; la dureté de notre projet ne pouvait s’incarner à la réalité d’un artiste. Certains ne produisent plus, ne montrent plus leur travail, mais restent attachés à l’idée d’être artiste – ce que nous acceptons d’un point de vue théorique. Mais de fait économiquement et « réputationnellement », ils ne le sont plus. Aujourd’hui, ces deux critères sont dominants dans la validation d’un travail artistique – nous le déplorons bien évidemment. Il nous fallait donc trouver un artiste qui a été présent et crédible sur la scène artistique contemporaine. Et là, nous avons pensé à Ludovic Chemarin.
P. Lacroix : Pourquoi avez-vous pensé à lui en particulier ?
D. Beguet : Je le connaissais depuis de nombreuses années et lui avais même acheté une œuvre. Quand j’ai appris en 2005 qu’il avait décidé d’arrêter de façon définitive sa carrière d’artiste, cela m’a dans un premier temps profondément touché. En tant qu’artiste, l’effet miroir est violent. Mais à travers ce geste radical, il s’est libéré de quelque chose et j’ai fini par comprendre sa décision.
D. Beguet & P. N. Ledoux : Ludovic Chemarin était le seul artiste que nous connaissions qui assumait autant cette sécession et bien sûr, il avait un travail de qualité, très plastique : essentiellement des installations, très 1990-2000, avec une conscience politique et une logique forme/fond intéressante pour nous, car matérialisée dans des œuvres d’art/objets d’art. C’était parfait. Son travail cristallise aujourd’hui d’une certaine façon les excès et l’impasse de l’art contemporain actuel face au marché.
P. N. Ledoux : En 2010, avec Damien, nous l’avons rencontré par hasard à la Biennale de Rennes. En quelques mots, nous sommes tombés d’accord tous les trois ; nous étions dans le bon timing ; c’était fascinant, très excitant. Ludovic a de suite compris le sens de notre projet.
P. Lacroix : S’est-il laissé convaincre facilement ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Oui, et immédiatement. Il a un discours lucide et intelligent vis-à-vis de son ancienne vie, dur et sans concession, et, plus rare encore, sans amertume. Notre proposition est sûrement arrivée au bon moment pour lui. Nous lui offrons quelque part une réelle disparition – une forme de cérémonial, d’enterrement de sa pratique d’artiste – tout en réactivant paradoxalement son œuvre. Nous pensons qu’il a été sensible au fait que nous ne cherchions pas à le manipuler, et que nous respections ce qu’il a fait et le fait d’avoir arrêté. Ce qui lui a certainement plu aussi, c’est que nous projetions son travail dans le contexte d’une démarche expérimentale et contemporaine.
P. N. Ledoux : J’ai lu que Bernar Venet avait déposé des dessins et des études d’œuvres à réaliser après sa mort et assuré ainsi une actualité à son travail, en plus d’une source de financement à sa fondation – fondation chargée de valoriser son œuvre passée et à venir… Cela m’avait troublé ; j’avais trouvé l’idée très dérangeante. Son passé conceptuel remontant à la surface de ses sculptures pour en assurer la pérennité. Mais ce qui me gênait le plus, c’est l’arrogance qu’il puisse croire que dans dix, vingt, cinquante, cent ans, on puisse encore s’intéresser à son travail. Comme si le contexte de l’époque n’avait pas d’interférence avec son œuvre. Je pense qu’il se trompe complètement et qu’il devrait plutôt envisager de céder son nom à des sculpteurs contemporains qui se succéderaient au fil du temps et continueraient son œuvre. À la fondation de faire le bon casting. Nous travaillons un peu dans cette optique avec Ludovic Chemarin. Dans un autre registre, par exemple, les maisons de couture ne se posent pas autant de questions et enchaînent les « créateurs » et directeurs artistiques (fonction galvaudée par la publicité, mais très juste et adaptée à la professionnalisation et à l’industrie créative contemporaine).
P. Lacroix : Il vous a cédé toutes ses œuvres ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Oui, il nous a vendu tout ce qui était cessible, c’est-à-dire les droits patrimoniaux et son nom. Pour cela nous avons travaillé très sérieusement le côté juridique et nous avons consulté des avocats pour rentrer parfaitement dans le droit français. C’est un point déterminant pour nous d’être fiables dans ce que nous mettons en place sur le plan conceptuel. Nous avons travaillé longuement ensemble pour affiner notre projet avant de faire une proposition claire à Ludovic Chemarin. Nous lui avons proposé de nous céder les droits patrimoniaux (droits de reproduction et de représentation) de toutes ses œuvres. Nous ne sommes pas propriétaires de ses œuvres sur le plan matériel, mais sur une partie de ce qui est immatériel.
D. Beguet : J’ai signé avec lui 26 contrats de cession (un pour chaque œuvre). Et j’ai signé immédiatement avec Nicolas 26 autres contrats de cession pour lui revendre la moitié des droits qui étaient alors en ma possession. La logique était que j’achète un artiste en fin d’activité.
P. N. Ledoux : Donc, j’ai acheté à Damien le droit d’exploiter Ludovic Chemarin©. Damien est plutôt dans une logique entrepreneuriale et moi dans une logique fictionnelle et d’un travail plastique sur tout ce qui fait une Œuvre en dehors des œuvres.
D. Beguet & P. N. Ledoux : Mais pour exploiter l’œuvre de Ludovic, nous avions besoin de son nom. Nous lui avons demandé de le déposer à l’INPI sous la forme d’une marque : Ludovic Chemarin©. Puis nous lui avons fait signer un contrat de cession de marque afin d’être « propriétaire » de Ludovic Chemarin©. Ludovic a accepté toutes ces conditions et les assume pleinement.
P. Lacroix : Pouvez-vous décrire le protocole que vous avez mis en place pour la signature des contrats ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Nous avons voulu organiser cette signature de façon solennelle. Nous avons demandé à « l’agent d’art » Ghislain Mollet-Viéville de nous accueillir chez lui. Nous l’avions déjà un peu sollicité pour avoir son avis sur le projet. Il connaît et apprécie nos pratiques artistiques. GMV est une figure en France pour avoir été parmi les premiers à défendre l’art minimal et conceptuel, mais aussi pour avoir été très proche d’artistes dont nous nous sentons proches comme Philippe Thomas et Gilles Mahé, qu’il a aidés dans leur pratique. Il est aussi expert-conseil et expert honoraire près la Cour d’Appel de Paris. Il était l’homme de la situation : une caution bienveillante et un ami. Le 22 février 2011, nous avons donc signé avec Ludovic Chemarin tous les contrats de cession en présence de témoins : Ghislain Mollet-Viéville comme expert ; Caroline Cros, conservateur du patrimoine, direction des arts plastiques ; Jacques Salomon, et toi Perrine.
P. Lacroix : Qu’avez-vous le droit d’en faire, concrètement ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Tout, avec l’accord de Ludovic Chemarin sur ce qu’il a produit, car il est toujours propriétaire des droits moraux de son œuvre. En revanche, nous sommes libres de faire ce que nous voulons sous le nom de Ludovic Chemarin©.
P. Lacroix : Vous allez prolonger sa création sous quelle forme ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : L’idée est de continuer son travail et d’exploiter cet artiste que nous avons acheté à la fois dans une démarche conceptuelle, mais aussi plastique, à la manière d’artistes comme Xavier Veilhan ou Daniel Firman qui travaillent en designers d’objets d’art. Nous aimons l’idée d’intervenir sur deux niveaux artistiques opposés et de jouer avec ces deux aimants/amants – allier radicalité conceptuelle et design artistique ; critiquer le devenir marchandise de l’art tout en y opérant. Nous assumons parfaitement des filiations comme avec Philippe Thomas, Yoon Ja et Paul Devautour, Philippe Parreno et Pierre Huygue dans l’activation d’AnnLee.
P. Lacroix : Sous quels critères déciderez-vous de signer vos œuvres à venir en tant que Ludovic Chemarin© plutôt qu’en votre nom propre ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Les œuvres de Ludovic Chemarin© seront signées Ludovic Chemarin© et nous continuerons nos travaux individuels et respectifs.
D. Beguet : Pour moi, c’est une filiale de la maison mère Damien Beguet microclimat. Je suis actionnaire à 50 % de Ludovic Chemarin© qui doit fonctionner d’une façon autonome et en lien constant avec P. Nicolas Ledoux qui possède l’autre partie des parts.
P. N. Ledoux : Ce projet s’inscrit dans un dispositif très large que je mets en place depuis une dizaine d’années et qui superpose tout une série de travaux que je réalise seul ou en collaboration avec d’autres artistes – Damien bien sûr, mais aussi Pierre Beloüin ou le collectif Ultralab™ dont je fais partie. Ludovic Chemarin© est un artiste à inventer, une fiction à écrire – un autre P. Nicolas Ledoux, fiction de Nicolas Ledoux.
P. Lacroix : Ce projet incarne le travail de trois artistes et pourtant il s’agit d’une exposition individuelle. Comment vous répartissez-vous les tâches dans cette entreprise artistique triangulaire ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Ludovic Chemarin n’intervient plus dans le travail de Ludovic Chemarin©, mais il se peut que nous fassions appel à lui si lui et nous en avons envie ! Sinon, c’est comme deux associés : nous validons réciproquement toute décision importante ; chacun exploite les compétences spécifiques de l’autre, ses connaissances et ses réseaux.
P. N. Ledoux : Damien s’occupe par exemple plus du cadre juridique qu’il connaît bien, moi de la communication. Il s’occupe des conférences, moi des textes. Nous sommes très complémentaires et nous nous connaissons suffisamment bien pour être exigeants et critiques l’un envers l’autre.
P. Lacroix : Dans la mesure où la propriété artistique est juridiquement inaliénable, Ludovic Chemarin peut se retourner contre toute utilisation qui, par exemple, le dérangerait ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Nous jouons sur des ambiguïtés et avec les limites du cadre juridique. C’est ce qui fait aussi l’intérêt de ce travail. Nous exposons le travail de Ludovic Chemarin en revisitant les modes de monstrations (présentations augmentées) et sous le nom de Ludovic Chemarin©. En même temps, nous réalisons de nouvelles œuvres dans la continuité de son travail. C’est une façon de contourner l’inaliénabilité de l’œuvre et de jouer le rôle « d’exploitant », d’endosser ouvertement un rôle d’« d’exploiteur » ou de « profiteur », ce qui n’est pas du tout courant dans le monde de l’art – très hypocrite et politiquement très correct vis-à-vis de ce genre de sujet. Cela soulève évidemment des questions morales et idéologiques. Si nous rencontrons des problèmes avec Ludovic Chemarin, cela nourrira notre démarche. Il peut faire exercer son droit de repentir, mais devra alors nous dédommager à la hauteur du préjudice. Pourquoi pas nous intenter un procès qui pourrait aboutir sur une bonne jurisprudence !
P. Lacroix : Si Ludovic Chemarin décide de reprendre son activité artistique, pourra-t-il le faire sous son nom propre ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Tout à fait, mais pas sous le nom de Ludovic Chemarin©. Ce serait une situation très intéressante – une sorte de compétition entre son travail et le nôtre. Le public se trouverait alors face à deux œuvres issues d’une même source. Un peu à la façon des artistes après une séparation de collectif. L’individu est souvent moins pertinent et visible que le groupe dont il est issu et dont il doit se séparer d’un point de vue artistique ou réputationnel, comme l’histoire de l’art le montre avec beaucoup de violence. Difficile à chaque membre de survivre à Présence Panchounette, I.F.P., etc. La situation est ici différente : la concurrence ne se jouerait pas dans la même temporalité et sur les mêmes territoires. En revanche, nous pourrions imaginer que Ludovic Chemarin rejoigne Ludovic Chemarin© et devienne un actionnaire actif.
P. Lacroix : C’est une véritable entreprise que vous engagez là avec cette première exposition qui n’a de sens que si elle perdure. Avez-vous déjà envisagé les suites ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Tu as parfaitement raison : c’est un projet qui doit et qui va se poursuivre. Notre artiste au fil du temps s’éloignera de plus en plus de son clone originel. L’exposition à La BF15 est un point de départ et montrera des œuvres de Ludovic avec quelques nouveautés, mais dans l’avenir nous aurons de moins en moins de pièces réalisées par lui. Nous avons envie de développer des pièces que nous qualifions d’« intermédiaires », comme par exemple des documents, des études ou des dessins réalisés par Ludovic Chemarin© à propos de travaux de Ludovic Chemarin. Nous aimons aussi l’idée de revisiter les œuvres qu’il a imaginées et de les projeter dans l’actualité artistique et ainsi s’infiltrer dans la réalité du marché et du phénomène de la « tendance », pour en dénoncer les mécanismes.
P. Lacroix : Jusqu’où vous mènera le projet Ludovic Chemarin© ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Nous avons commencé à présenter le projet depuis que nous avons signé les contrats et nous sommes très agréablement surpris par l’enthousiasme et l’intérêt suscités, et pas seulement auprès d’un public initié. Il touche un tabou – celui de la mort d’une œuvre et quelque part du suicide artistique (pas au sens d’une manière artistique de se suicider, mais de suicider sa pratique artistique). Cela fait mouche, car l’art est très critiqué et discuté, mais aussi très respecté. C’est dans notre culture nourri d’exemples et d’icônes très fortement historisés, érotisés (Picasso, Jeff Koons, Mattew Barney, etc.). On nous vend une forme d’éternité dans l’art – liée à la spéculation et à la notion de valeur qui ne peut décroître. Nous appuyons, je crois, là où cela fait mal. Le grand public respecte bien plus l’art que les acteurs de cette activité. Par exemple, c’est dans les vernissages que les œuvres sont endommagées. Nous ressentons une forme d’empathie et de tendresse avec la création de Ludovic Chemarin©. Peut-être en opposition à la trop forte exploitation, souvent uniquement mercantile du travail des artistes disparus dont l’image ou ce qu’il en reste sert à vendre des voitures ou des chocolats. Nous interrogeons le concept discutable de signature originale qui dans le cadre de production quasi hollywoodienne de certains artistes ne veut plus rien dire. Nous sommes bien loin des feuilles blanches uniquement signées que Dali a laissées avant de mourir. Nous interrogeons ici la valeur du geste de l’artiste et quelles en sont les composantes – artistiques, théoriques – face à son inscription dans l’histoire et dans l’économie.
P. Lacroix : C’est une bonne nouvelle pour les collectionneurs de Ludovic Chemarin. S’ils achètent désormais ce seront les œuvres de Ludovic Chemarin et/ou celles de Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : Elles seront de Ludovic Chemarin© et auront beaucoup plus de valeur. Tu as raison, c’est une bonne nouvelle pour eux, mais pour en être bien persuadés, ils devraient acheter du Ludovic Chemarin© pour faire monter la cote des œuvres déjà acquises. Ce n’est pas à nous de leur apprendre leur métier, ils le font très bien.
P. Lacroix : Votre proposition fait-elle écho aux questionnements actuels des artistes sur la propriété intellectuelle de leurs œuvres, face au téléchargement légal ou illégal sur Internet, face à la mondialisation ?
D. Beguet & P. N. Ledoux : C’est vrai que cela fait écho à la dématérialisation de l’art, mais pour être honnête, ce sont des questionnements qui datent des années 1960, avec Fluxus et l’art conceptuel. Nous en sommes les héritiers (l’héritage était immatériel bien sûr). Nous pensons que nous sommes arrivés à une saturation d’œuvres d’art et la question permanente est : pourquoi une de plus ? Nous produisons des œuvres et donc, nous sommes complices de cette situation, mais nous les réalisons pour des raisons bien autres. Le débat continue.
P. Lacroix : Comment vous positionnez-vous face à votre propre travail ? Vous sentiriez-vous apte à recevoir une telle proposition ?
P. N. Ledoux : Si je devais arrêter, tout à fait, j’adorerais l’idée. Et quelque part, ce projet est peut-être une manière de l’anticiper.
D. Beguet : Mon travail n’est pas à vendre. Je ressens un trop grand attachement pour m’en séparer, mais par petit bout et si ça paye bien, pourquoi pas.
D. Beguet & P. N. Ledoux : Nous pourrions tout à fait vendre un jour à une société anonyme d’artistes réunis, riches et malins Ludovic Chemarin© afin qu’elle continue sa carrière et que nous puissions finir notre vie tranquillement sur la côte ouest, dans une villa de luxe, bien gardée, où toutes les images du monde extérieur seraient interdites et où nous pourrions peindre de beaux couchers de soleil.
Un dossier Icônes Ludovic Chemarin© se trouve aux pages 177-195.