Ils sont plus d’une centaine à faire la queue devant la sortie du terminus de la ligne 13. En face, de l’autre côté de la rue, il y a l’université Paris 8 et ses portes closes. Si ces étudiants sont à Saint-Denis ce jour-là, ce n’est pas pour suivre des cours, mais pour récupérer des colis alimentaires, distribués par l’antenne locale du Secours populaire, des étudiants et personnels de la fac ainsi que certains militants. Des milliers d’étudiants, étrangers pour beaucoup, bloqués dans les logements exigus des résidences universitaires, n’ont pas eu les moyens ou la chance de rejoindre leurs familles avant le confinement.

« Je n’ai plus rien sur mon compte. Je ne sais même pas comment payer mon loyer du mois prochain. Je faisais du baby-sitting, et bah, là chacun reste chez soi. Sans bourse et sans aide, c’est compliqué. Je souhaite vraiment qu’on retourne à la vie normale pour que chacun reprenne ses activités. »

Pour certains, la situation est pire encore. Ils sont privés d’internet, n’ont pas d’ordinateur. Abdelkader, 25 ans, me raconte : « J’ai l’impression de vivre dans un autre monde, c’est inexplicable. Je vis ici, dans cette résidence en face de toi, dans une petite chambre. Je n’ai rien. Et je ne peux pas m’inscrire parce que je n’ai pas d’ordinateur et avec mon portable je n’ai plus d’internet parce que je ne peux pas payer la facture. » Éloigné de tout, Abdelkader n’a pas beaucoup hésité quand il a su qu’une action de solidarité se montait en bas de chez lui : « J’ai vu la foule par la fenêtre et les affiches du Secours populaire, je suis descendu, dit-il. Depuis la première semaine du confinement et jusqu’à aujourd’hui, je ne mange que des pâtes et du riz. Je ne mange rien d’autre. Je ne parle même pas d’équilibrer mes repas. »

Considérable tout au long de l’année, la précarité économique des étudiants en France a été dangereusement aggravée par la crise sanitaire. Pour ces étudiants, l’équation est simple : plus de travail, pas d’argent, pas de nourriture et peut-être le risque de perdre son logement dans les prochains mois. Car la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé que les étudiants restés dans leurs logements pendant le confinement devaient continuer à payer leur loyer.

Parmi ces étudiants, beaucoup sont étrangers et certains ne disposent même pas des papiers donnant droit aux quelques aides promises par le gouvernement. « J’avais la boule au ventre avant de venir récupérer ce colis, car j’ai peur d’être contrôlé par la police. Mais il fallait que je choisisse : soit je restais dans mon studio à mourir de faim, soit je venais ici et je pouvais rentrer avec un colis alimentaire. »

L’université Paris 8, elle aussi, vient de mettre en place une plateforme pour aider les étudiants en proie à des difficultés dans cette période de pandémie et d’angoisse. Elle distribue des bons alimentaires et des aides financières. Tous marqués par la détresse de certains, enseignants et étudiants se retroussent les manches pour élargir le dispositif de solidarité avec l’antenne du Secours pop’.

« Avec une étudiante militante et quatre collègues enseignantes, nous nous sommes réunis en visio-conférence pour voir ce que l’on pouvait faire, m’explique une professeur. Le Secours populaire proposait de faire une distribution de colis alimentaires pour les étudiants et les étudiantes de la fac. On s’est dit que l’on pourrait aussi monter une caisse de solidarité pour aider les étudiants et étudiantes à payer leur loyer, leurs factures, les dépenses de santé. Mais les colis alimentaires ont pris le dessus. »

Le cas de Paris 8 n’est pas isolé : à Nantes, par exemple, dès le 22 avril une toute nouvelle association, la SurpreNantes Épicerie, s’est liée avec InterAsso Nantes, fédération des associations étudiantes nantaises, pour organiser avec les Restos du Cœur une distribution gratuite de nourriture et de produits d’hygiène féminine pour les étudiantes et les étudiants dans la dèche. Que ce soit à Paris 8, face au restaurant universitaire du Campus du Tertre à Nantes ou dans bien d’autres universités, la mobilisation d’urgence a été cruciale. Mais ne faudrait-il pas aller plus loin et faire perdurer ce type d’initiatives pour lutter contre la précarité de tant d’étudiants et étudiantes ? À l’université de Rennes 2, par exemple, l’épicerie solidaire montée par des jeunes avec l’association Cœurs résistants dès janvier 2019 a montré la voie. Mais je crois qu’il faudrait aller plus loin, et instaurer un revenu universel d’un montant suffisant pour tous et toutes, étudiantes ou non, françaises et étrangères… Je rêve ? Sauf que ce rêve, avec ce qui se passe dans l’Union européenne, il n’est pas si fou !

[voir Europe, Revenu universel]