Airborne, on dit en anglais. En français, ça peut se traduire par « aéroporté ». Quelle que soit la langue qu’on utilise cependant, cela reste une question : vole-t-il, ce virus ? Dit comme ça, ça paraît un peu ridicule, mais cela reste quand même une question.
D’abord, on ne devrait pas parler de virus ici, mais plutôt de virions. Le « virion », c’est le nom que l’on donne au virus quand il n’a pas encore infecté un hôte, c’est sa forme « libre », ou sa forme de transport. Ensuite, on n’attrape jamais un virus ; il en faut des multitudes pour tomber malade. Avec le Covid 19, on ne sait pas combien il faut en inhaler pour être réellement infecté, mais pour les autres virus, ceux que l’on connaît déjà, c’est souvent plusieurs dizaines de milliers de virions qui sont nécessaires. C’est tout petit un virion ; minuscule même. Les virions du SARS CoV 2, l’agent viral du Covid 19, mesurent entre 50 à 200 nanomètres, soit entre 0,00000005 et 0,0000002 mètre, en gros mille fois plus petits qu’un cheveu ou qu’un pixel. Cela fait quand même d’eux des plutôt gros virions. Delta, le virus de l’hépatite D, est un des plus petits virus connus : ces virions mesurent en moyenne 10 nm. Donc, « un » virus, c’est une légion de toutes petites choses.
Ensuite se pose donc la question : comment ça voyage, ces petits machins ? Là, il y a plusieurs réponses. On pensait d’abord que le Covid 19, c’était comme une forme de SARS (severe acute respiratory syndrome en anglais, ou SRAS en français, syndrome respiratoire aigu sévère), donc un virus affectant principalement les voies respiratoires – aujourd’hui on n’en est plus totalement sûr, mais faisons comme si en considérant que c’est le cas la plupart du temps. Donc, dans ce cas, les virions rentrent et sortent par les voies respiratoires, dans et par ce que l’on appelle des événements expiratoires, violents (toux, éternuements), ou non (respiration normale, parole).
On serait donc tenté de penser qu’ils sont forcément aérotransportés ces virions. Mais c’est un peu plus compliqué que ça. En fait, c’est une affaire de gouttelettes et ça dépend de leur taille, parce que les virologues distinguent différents modes de transmission en fonction de la taille des gouttelettes qui sont produites lors d’un événement expiratoire. Les plus grosses gouttelettes voyagent comme des postillons : leur trajectoire est balistique, elle décrit une parabole sous l’effet de la gravité et de la résistance de l’air. Bref, elles ne volent pas, elles tombent. Dans ces cas-là, la transmission de l’infection est considérée se faire par contact indirect : les grosses gouttelettes tombent sur une personne ou un objet, cette personne touche la région de son corps ou l’objet où sont tombées les gouttelettes, puis se touche le visage à proximité des muqueuses (bouche, nez, yeux), et s’auto-inocule.
Ce n’est que si les gouttelettes émises sont plus petites que l’on peut parler de transmission « vraiment aéroportée » (truly or really airborne) et de transmission sans contact : la taille des gouttelettes doit être suffisamment petite pour que leur masse soit si faible qu’elles puissent être portées par l’air expulsé plus ou moins violemment par la personne infectée : on parle alors de microgouttelettes. Oui, mais quelle est cette taille ? La réponse à cette question est plus ou moins arbitraire : certains disent 5 microns, d’autres 10 microns (5-10. 10-6m). En dessous de ce palier, les gouttelettes sont émises dans un nuage, une sorte de brouillard que les spécialistes appellent un « aérosol ». Bref, elles sont réellement aérotransportées, elles volent, ou plutôt elles planent, puisqu’elles ne sont pas pourvues d’un quelconque système de propulsion.
Donc la question devient : est-ce que ça plane pour le SARS CoV-2 ? Pour l’instant, la réponse semble être que personne ne sait. L’hypothèse d’une transmission sans contact, par des nuages de microgouttelettes, est plausible mais pas avérée à l’heure actuelle. Elle est plausible sur la base de la comparaison de ce nouveau virus avec d’autres qui lui ressemblent (SARS, MERS, influenza). Mais elle n’est pas démontrée explicitement dans son cas, certains disent même que c’est une question controversée.
Cette indécision est très problématique, car de la réponse à cette question découlent des conséquences importantes : faut-il ou non porter un masque ? À quelle distance devons-nous nous tenir les unes des autres ? On ne se protège pas de la même façon d’une transmission avec ou sans contact. A priori, on pourrait s’attendre qu’à ce niveau aussi, le principe de précaution s’applique : si nous ne savons pas, faisons comme si le pire était avéré. Or ce n’est pas du tout ce qui se passe ! À peu près partout, les autorités sanitaires recommandent de respecter une distance de séparation physique variant entre trois pieds (91,44 cm) et deux mètres. Ces distances supposent une transmission par contact – et négligent donc la possibilité d’une transmission réellement aéroportée.
Quelle distance faudrait-il alors respecter si nous voulions tenir compte d’une telle forme de transmission ? Ici encore, la réponse est que nous ne savons pas. En fait, nous ne savons vraiment pas. Les virologues ne savent pas, les épidémiologistes ne savent pas non plus. La seule réponse actuellement disponible est fournie par des ingénieures, sur la base de simulations. Comme souvent, la question des conditions de validité de ces modélisations reste ouverte. Les spécialistes en aérosol, ingénieurs systèmes, experts en mécanique des fluides et autres, ne se gênent pourtant pas pour participer au débat – ou pour alimenter la paranoïa ambiante, cela dépend comment on se situe par rapport à la question.
Si vous suivez tout cela, vous avez déjà probablement rencontré les résultats d’une de ces « études » sur la toile. En général, elles sont présentées autour d’une image ou d’une séquence vidéo représentant un nuage. Parfois, elles s’en tiennent même à ça. Les nuages de microgouttelettes (généralement colorés en rouge) envahissent ainsi l’éther en tentant de nous convaincre de nous méfier des allées de supermarché ou des couloirs d’avion, d’éternuer ou de tousser dans notre coude, ou de comment nous tenir dans une réunion dans un espace de bureau conditionné, etc. Parfois, elles donnent des indications chiffrées selon les tailles possibles des nuages émis : un éternuement dans une pièce fermée pourrait créer un nuage de microgouttelettes de 8 mètres de long, etc. Il en découle alors des indications plus ou moins précises quant aux distances à respecter : en marchant, 4-5 mètres ; en courant ou en roulant lentement à vélo, 10 mètres ; en roulant rapidement à vélo, 20 mètres.
Que valent ces mesures, et qui croire ? Le problème le plus grave est bien évidemment que, comme toutes simulations, celles concernant le caractère réellement aérotransporté de la transmission de ce virus dépendent des hypothèses et des méthodologies qui les sous-tendent. Même lorsque les deux sont explicitement données, c’est une affaire de spécialistes. Il faut une publication sérieuse et une évaluation par les pairs pour les garantir. La plupart du temps, cela fait défaut. Mais dans les deux cas, cela reste des modélisations : des approximations et des spéculations mises en chiffres et en images.
À l’époque où « la science » se diffuse à grands coups de manuscrits « prépublication », d’opinions sous formes éditoriales variées mais généralement brèves, de lettres aux éditeurs, de commentaires et autres correspondances, de TED talks, d’entretiens sans publication préalable, et maintenant même de « statuts » sur des pages Facebook ou de tweets, il est crucial de se demander ce que « vrai »/« faux » peut bien encore vouloir signifier. Ou pour le dire plus brutalement : dans quelle mesure « la science » peut-elle encore se prévaloir de la légitimité qui assoit son autorité, si elle semble participer du même régime de post-vérité que le reste de la culture ? Et encore plus lorsque ladite « science » est en fait une science de la simulation…
Alors que faire ? Ne marchez, courez ou roulez jamais contre le vent ; méfiez-vous des pièces peu ou pas aérées ; ne parlez pas trop fort et évitez celles qui le font ; portez un masque dans les espaces clos ; ne vous touchez pas le visage ou le masque, évitez les regroupements de plus de deux personnes, et surtout si elles parlent fort dans des espaces fermés ; chanter à tue-tête est déconseillé et, comme le dit justement la chanson, « ronfler c’est toléré, merci ». Bref, méfiez-vous des microgouttelettes, elles peuvent être littéralement partout. Certaines disent mêmes qu’elles peuvent voyager au long cours sur leurs ailes de vent, portées par les particules polluant l’air ou les fumées de cigarette…
Ou alternativement : ne sortez plus du tout, c’est bien trop dangereux, maudites gouttelettes.
Ou alternativement : fermez vos postes, évitez les nuages de pixels, tenez-vous à l’écart de l’infodémie. Respirez, ça va finir par passer.
[voir Respiration, StopCovid]
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