80. Multitudes 80. Automne 2020
I

Immunité collective

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Propriété acquise par une population dans son ensemble à l’égard d’une maladie bactérienne ou virale. Ce terme est la traduction de l’anglais herd immunity (immunité de la horde ou de la tribu).

Il s’oppose à l’immunité de l’individu par rapport à l’espèce. Il a été utilisé dans des pays européens pourtant démocratiques (la Suède et l’Allemagne). Mais il me donne un peu la chair de poule car les divers Père Ubu de la planète (ceux de la Tchéchénie, de la Biélorussie, du Brésil et des États-Unis) y ont eu abondamment recours pour minimiser Covid 19 et, à la bravache masculine, jouer aux cowboys en bombant le torse contre une « petite grippette de rien du tout » comme dit Bolsonaro. Elle a quand même fait 461 000 morts dans le monde au 22 juin 2020. Une paille ! Et ce n’est pas fini.

L’idée est que les morts sont inévitables. Ils sont le prix à payer (à quelle divinité ? Baal le Molosse ?) pour que l’espèce humaine puisse survivre. On vous explique qu’à 60 à 70 % de la population mise en contact avec le virus (et donc seulement 0,5 % de morts potentiels), il faut prendre le risque d’avoir en France 234 500 morts, dont 90 % de plus de 65 ans, pour que dans le futur ce virus ne fasse plus de dégâts importants. Quand on objectait timidement à ces matadors que cela faisait quand même beaucoup, ils répliquaient que cela ferait moins que la grippe espagnole qui a sévi entre 1918 et 1920. Il est vrai qu’on sortait d’une telle boucherie dans les tranchées que cela pouvait paraître bénin. Mais Covid 19 est en passe de dépasser la grippe espagnole dans le monde ; il n’y a toujours pas de traitement ni de vaccin. Dans le cas du sida, sans gestes préventifs et trithérapie qui contient le virus, on aurait largement dépassé les 100 millions de victimes.

Le grand avantage de l’immunité de la horde, c’est qu’il devient même nocif d’arrêter l’économie, de confiner strictement les gens car on empêche la diffusion rapide de la maladie, donc la mise en contact avec elle et donc l’immunisation. Laissons tomber l’argument ubuesque de Trump-la-mort selon qui le nombre de morts provoqués par la suspension de l’économie (en raison notamment des suicides !) serait plus élevé que celui des vies sauvées.

Venons-en aux arguments « rationnels » des épidémiologistes et médecins qui ont conseillé les gouvernements anglais et suédois. Tout leur raisonnement sur l’immunité à acquérir reposait sur l’idée que les personnes en contact avec le virus développaient des anticorps et bloqueraient la transmission du Covid. Or on s’est aperçu assez rapidement (deux à trois mois) que les malades asymptomatiques, plus nombreux qu’on ne pensait, contaminaient largement sans nécessairement développer ces fameux anti-corps et qu’en plus la contagion n’était ni simple ni linéaire. Certains ne contaminaient pas du tout, mais d’autres dans des environnements spéciaux, confinés, pouvaient contaminer de façon explosive. Quant à ceux qui avaient développé des anticorps, cela ne paraissait pas une garantie allant au-delà de quelque mois.

Moralité ou plutôt immoralité totale : le gouvernement britannique a débarqué sans façon cette stratégie car elle devenait très létale. Il est vrai que Boris Johnson alias Bojo, qui adorait faire le bouffon de Trump, avait failli y laisser sa peau. Avec des semaines de retard le Royaume-Uni s’est mis à confiner comme tous ses voisins.

La Suède a laissé faire jusqu’au bout son épidémiologiste en chef Anders Tegnell qui n’a appliqué qu’un semi-confinement ; du coup l’industrie ne s’est pas arrêtée. Bilan : 500 morts par million d’habitants. Elle a fait un peu mieux que le Royaume Uni, l’Italie et l’Espagne. Pas brillant.

Mais ce qu’il y a de plus déplaisant avec la thèse de l’immunité collective, c’est son côté eugéniste : le virus emporte de façon sélective les plus âgés et les personnes atteintes de pathologies chroniques (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires). Il élimine les faibles, les vieux. C’est comme cela que l’entendent explicitement les Bolso-Trump. Mais cela pourrait être aussi ce qu’entendent inconsciemment certains Suédois qui ont manifesté un certain penchant pour l’eugénisme au cours de leur histoire. L’arsenal de lois eugénistes n’a été définitivement démantelé en Suède qu’en 1976 !

[voir Expertise]