« La gauche du prochain siècle sera donc ‘‘sociale’’ ou ne sera pas. Ou elle sera en mesure d’intervenir directement dans les processus de formation et structuration des agrégats sociaux, des principes constitutifs même du lien social, dans les processus à travers lesquels ‘‘l’être social’’ se constitue et existe, ou alors l’horizon dans lequel était défini tout le répertoire de pratiques et de fonctions de cette identité collective qui se nomme ‘‘gauche politique’’ risque de s’épuiser et de disparaître avec cette ‘‘civilisation du travail’’ où elle s’est formée » [[Marco Revelli, La Gauche sociale. Au-delà de la civilisation du travail, Turin, Bollati Boringhieri, 1997, p. 155. Publié en 1997, le livre La Gauche sociale essaye d’ébaucher quelques hypothèses générales pour comprendre la recomposition possible d’un sujet politique antagonique aujourd’hui. On peut le considérer comme la tentative de décrire les paramètres socio-économiques, la base sociale de ce “que peut être la gauche de demain. Celle que Act Up revendiquait en 97 dans son appel « Nous sommes la gauche ! », une gauche du dissensus, d’un « universel singularisé » (J. Rancière). Partant du constat de l’échec des grandes luttes ouvrières et des institutions du mouvement ouvrier, de la transformation de la gauche institutionnelle en pure gestionnaire des nouvelles formes de la domination capitaliste, de la « démocratie totalitaire » [[C’est la thèse de son livre Les Deux droites, Turin, Bollati Boringhieri, 1995.. et des mutations des territoires, processus et sujets productifs, Revelli veut cerner les prémisses des nouvelles formes du conflit, de l’organisation. Ceux-là n’apparaissent pas uniquement sur le terrain de l’entreprise ou sur le terrain social, mais « sur un terrain intermédiaire : la charnière entre production et reproduction qui constitue le lieu de confluence des lignes de développement de l’actuelle révolution productive » [[Ibid., p. 88..
En effet, si le véritable « saut de paradigme » de cette fin de siècle impose de changer son langage, ses catégories d’interprétations, la manière d’envisager les identités collectives et les modes d’organisation, il y a au moins un principe auquel Revelli tient ferme : « le choix de continuer à rechercher malgré tout dans ce que nous appelions ‘‘composition technique du capital’’ et son articulation à la ‘‘composition politique de classe’’, le sen set la direction des mutations en cours » [[Les Deux droites, p. 76.. Autrement dit, le livre propose une analyse des nouvelles formes du développement capitaliste, du nouvel ordre productif depuis l’entreprise en réseau jusqu’à la transformation du territoire en facteur directement productif et une évaluation de la nouvelle structure et des rapports entre entreprise, État et marché, qui conduisent au sentiment « d’une défaite historique du ‘‘travail’’ et de ses structures organisées. D’un vaste redimensionnement de son rôle dans la société industrielle, d’un recul général des conditions de vie et de travail pour des parties majoritaires de populations, d’un affaiblissement drastique de ses représentations politiques et sociales » [[La Gauche sociale, p. 28.. Parce que justement, le rapport de production ne comporte plus un sujet qui lutte contre sa réduction à une force de travail. Désormais le capitalisme détruit les « sujets collectifs qu’il avait générés dans la phase précédente, sans laisser entrevoir à l’horizon aucun autre procès même embryonnaire de recomposition » [[Ibid., p. 156..
Ce qui caractérise la « force de travail » aujourd’hui, c’est une multitude de figures atomisées, fragmentées, hétérogènes, hiérarchisées, précarisées et d’autre part sa « mobilisation totale » dans une fabrique intégrée post-fordiste qui présuppose l’idée d’une « structure productive moniste » (Revelli) où le conflit fondamental capital/travail tend à se réduire. Comme le travail, il se serait diffusé à l’ensemble du territoire social. Le texte présenté ici est extrait du chapitre IV : « La politique du social », qui conclut l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’une traduction intégrale mais des passages les plus importants posant la problématique du tiers-secteur en tant que nouveau terrain social, nouvelle base territoriale où peuvent se construire des pratiques, des formes d’organisation non plus de revendication, de négociation dans une dialectique intégrée lutte/développement, mais sur des alternatives politiques à la domination capitaliste. Par exemple, sur le réseau de la « fabrique électronique de la lutte », pour reprendre l’expression de Harry Cleaver (Voir Alice n°1, p. 134-135). C’est ce dont témoigne le congrès organisé à Rome en 1998 « Tiers-secteur, gauche et réforme » regroupant 200 travailleurs sociaux, militants et bénévoles d’associations, de coopératives et de centres sociaux pour relancer la discussion sur le tiers-secteur comme sujet politique de la transformation sociale.