La licence globale

Qui a peur d’Internet ? Pas les artistes,

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LE MONDE | 09.01.06 |
Dans un contexte où protection des droits d’auteur rime souvent avec “répression”, l’Assemblée nationale a, contre toute attente, adopté un amendement confirmant la légalité du téléchargement sur les réseaux de “pair-à-pair” (peer-to-peer). Elle a ainsi entériné le premier volet de la licence globale optionnelle. Cette licence, soutenue par les sociétés d’artistes que nous présidons, est dite “globale”, car elle est destinée à permettre à la fois le téléchargement d’oeuvres sur Internet, mais aussi une rémunération versée aux créateurs (second volet, non encore discuté).
Quelques artistes, en contrat d’exclusivité avec les multinationales de la musique, ont exprimé leur opposition à cette licence. Ils font partie de nos sociétés. Nous respectons leur parole, nous pensons toutefois qu’elle est loin de refléter la complexité des enjeux de ce débat.

L’enquête Ipsos/Adami de juin 2005 montre que 82 % des artistes de la musique sont d’accord avec une solution du type licence globale sur Internet. En outre, la pétition de la Spedidam contre la poursuite des internautes, et en faveur d’une licence globale, a recueilli 13 461 signatures d’artistes, constatées par huissier en décembre 2005.

Ainsi, face à une révolution technologique qui bouleverse durablement les conditions d’accès aux biens culturels, deux conceptions s’opposent.

D’un côté, le projet de loi du gouvernement, qui propose d’instaurer un cadre juridique pour la distribution contrôlée, sur des sites payants, d’oeuvres protégées par des dispositifs techniques. Ce projet, qui vise à maximiser les revenus des ventes de disques et du téléchargement payant, va dans le sens du contrôle de la diffusion par quatre multinationales.

Les vedettes qui se sont exprimées contre la licence globale font partie des rares artistes interprètes qui perçoivent une part conséquente des revenus issus de la vente des disques et dans, une moindre mesure, du téléchargement commercial. En réalité, beaucoup d’autres artistes, bien que sous contrat d’exclusivité avec leur maison de disques, n’en obtiennent qu’une portion congrue. La majorité des artistes interprètes qui n’ont pas le statut de “vedettes”, ne touchent rien. Mieux, l’industrie leur demande souvent de céder tous leurs droits en contrepartie d’un salaire forfaitaire.

De l’autre côté, la licence globale propose une solution de légalisation des échanges entre particuliers en contrepartie d’une redevance mensuelle, payée par l’internaute et reversée aux auteurs, artistes interprètes et producteurs. Cette approche, grossièrement caricaturée par ses détracteurs, est tout sauf une “légalisation du piratage” et encore moins une apologie de la gratuité.

Elle permettrait aux internautes, dans un cadre légal, de télécharger et d’échanger des fichiers à des fins non commerciales, en contrepartie du paiement d’une redevance. Elle permettrait également d’apporter une rémunération complémentaire aux artistes interprètes, aux auteurs et aux producteurs.

Bien loin d’une “soviétisation” de la culture annoncée par quelques-uns, la répartition de ces sommes est possible. La mesure de l’audience des oeuvres sur les réseaux peer-to-peer est techniquement réalisable sans “flicage” des internautes. Plusieurs entreprises possèdent déjà ce savoir-faire. L’analyse de serveurs spécifiques sur lesquels les oeuvres échangées sur Internet sont temporairement stockées permet d’obtenir un échantillon très représentatif des contenus, sans avoir besoin d’identifier les internautes. Les plus gros bénéficiaires de la licence globale seraient logiquement les artistes aux oeuvres le plus échangées, sans que les autres artistes soient oubliés. Par ailleurs, 25 % des sommes perçues seront affectés aux aides à la création et au spectacle vivant (concerts, festivals, formation…). En permettant de financer encore plus de spectacles, la licence globale sera un ballon d’oxygène pour l’emploi artistique.

Enfin, nous souhaitons répondre à une objection majeure : la crainte d’une substitution des revenus de la licence globale à ceux des autres exploitations commerciales. Rappelons que le premier objectif de la licence globale est de rémunérer ces échanges pour lesquels aujourd’hui les artistes ne touchent rien. Elle propose ainsi de réintroduire un consentement à payer pour l’échange des oeuvres sur Internet, jusque-là pratiqué sans contrepartie financière. De nombreuses enquêtes, montrent que ceux qui pratiquent le peer-to-peer sont aussi ceux qui achètent des disques et vont au concert. Une étude Médiamétrie effectuée pour la Spedidam en octobre 2005 démontre qu’une licence globale optionnelle ne changerait quasiment rien au comportement d’achat des internautes.

A tous ceux qui se sentent concernés par la position et la rémunération des artistes dans le monde numérique, nous proposons une image : celle de la scène finale d’un grand opéra, où premiers rôles, solistes, orchestre, chef, choeurs, étoiles, danseurs… participent à la même et grande harmonie. A un moment de l’histoire où l’on n’a jamais écouté autant de musique ni regardé autant de films. Nous nous battons pour des solutions qui garantissent une juste part à chacun et qui organisent une solidarité entre tous