80. Multitudes 80. Automne 2020
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Conventionnées (scènes et entreprises)

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Les artistes du spectacle dit « vivant » voient leur monde s’effondrer. Les spectacles de l’année seraient morts, et même au-delà. Entre les vivants et les morts, il y a pourtant les conventionnées. Les compagnies qui ont le privilège de bénéficier d’une convention continuent à recevoir leur financement des collectivités, tandis que les autres ont à réinventer leur financement et risquent de disparaître.

Qu’est-ce donc que cette « convention » ? Un papier qui a été signé (par les bonnes personnes), et qui fait toute la différence ? Une « convenance » entre un travail et un besoin ? L’acceptation de se soumettre à une autorité, et à ses normes ?

Pour une compagnie de spectacle, l’existence conventionnée est synonyme d’une certaine sécurité – temporaire, puisque les conventions ont pour vocation d’être périodiquement réévaluées pour être renouvelées (ou non). Mais la convention est aussi la source d’une certaine fierté, d’un niveau d’exigence intériorisé par les responsables et les membres de la compagnie. Elle leur donne bien davantage qu’un emploi : elle leur confère surtout les moyens et les motivations qui les aident à faire du bon travail.

L’existence conventionnée est l’une des alternatives à la précarité. Plus contrainte et plus soumise que l’existence assurée par un revenu universel, elle est peut-être aussi plus valorisante. Elle conventionne un certain service, rendu à un certain type de public, mais par l’entremise d’une médiation (la « collectivité ») plus large que le public effectif de ce service.

Quelques mois avant qu’un ordre de confinement n’effondre les publics du spectacle vivant, des législateurs, des économistes et des philosophes discutaient de projets de lois relatifs à la « mission sociale » des entreprises. Celles-ci pourraient-elles être conventionnées, comme les compagnies de spectacle ? À quoi ressemblerait une société dont le conventionnement serait le principe organisationnel principal ? À un théâtre du monde enfin émancipé des affres de la précarité ? Au règne tyrannique des petits mandarins chargés de signer les conventions ? À une commune enfin capable de choisir ce dont elle veut et ce dont elle ne veut pas ?

[voir Décaler, Hyper offre culturelle, Suspension de l’art]