Penser que les artistes ces temps-ci continuent de dissoner avec la logique sociale, c’est rester accroché à des images qui ne portent plus, et que ne portent pas non plus ces ingénieux provocateurs déjantés. Tous les jours, on nous demande sur les ondes ce que sera « le monde de demain », comment nous comptons le réinventer. Eh bien non, je dis Stop. Fini de jouer les fées Mélusines qui éclairent le monde. Le courant est coupé. Les portes des musées sont fermées, les concerts annulés, les expositions suspendues, les budgets réduits, les projets arrêtés. Demain est sur off.

Finis les jet artists, mais aussi ceux-là qui vivent des montages et des démontages d’expositions, des gardiennages et des médiations des manifestations publiques. Inutile également le travail des assistants embauchés pour réaliser les nouvelles pièces du prochain accrochage. L’annulation et le report des expositions ont gelé nos revenus. Déclarées en CDI, nous sommes peu nombreuses, tandis que les contrats de courte durée sont pléthores dans les ateliers, les centres d’art, les galeries, les écoles publiques et privées, les magasins. Les « interventions » sont supprimées, les résidences, les bourses sont repoussées. Quand les petits boulots s’éloignent de la sphère artistique, ils sont tout aussi précaires.

Alors des ventes de solidarité s’organisent. Mais d’un côté, galeristes et commissaires nous demandent de donner des œuvres qui seront vendues aux enchères, au profit des hôpitaux. D’un autre côté, ce sont nous, les artistes, qui invitons amis et collectionneurs à participer à une vente éclair de nos œuvres pour payer nos loyers. #lesamiesdesartistes, en France, la fondation Martin Parr au Royaume Uni se mobilisent pour venir financièrement au secours de nos amies les jeunes artistes étudiantes, et jeunes photographes, par peur de les voir disparaître.

Les ventes de solidarité font mouche. Même les enfants sont sollicités pour participer à une exposition sur « le monde d’après », dont les dessins seront vendus en faveur de l’hôpital des enfants malades. L’exposition était intéressante car, faute d’être inspirés, les enfants étaient confits en bons sentiments. C’est aussi ce qui est demandé aux mécènes : avoir de bons sentiments, faute d’engagement politique, pour sauver une œuvre en péril, comme La Colonie par exemple.

Voilà donc « le monde d’après » ? On vend les œuvres et les meubles. Les prophéties sont restées au placard. Décalées, nous ne l’avons jamais tant été, mais ça nous est venu de surcroît, pas comme une vision, mais comme un coup de massue.

Au rebours de cela, nous proposons cet arrêté : Artistes décalées, de fait et d’intention, nous proposons à Multitudes, de créer une résidence d’artiste, dont les modalités seraient à définir, pour une année, au terme de laquelle l’artiste qui aurait voyagé sur la toile Multitudes pendant cette période proposerait un projet graphique, numérique, pictural, poétique, transportant si possible son esprit au-dehors, projet que nous nous engagerions à réaliser avec la complicité d’une institution artistique.

[voir Dés-œuvrement, Hyper-offre culturelle, Suspension de l’art]