Majeure : Viralités conspirationnistes et politiques diagonalistes
On se lamente beaucoup du conspirationisme qui menacerait le règne de la raison à l’âge des réseaux numériques (rapport Broner de janvier 2022) et qui ferait basculer nos démocraties dans une ère « post-vérité » saturée de fake news. Ce dossier reprendra ces questions plus en amont, pour s’interroger sur les multiples définitions de « la vérité » agitées aux confins entre complotisme, idéologies et médialités numériques. Il se composera de trois parties. Dans un premier temps, on réfléchira aux limites et aux aveuglements implicites dans les définitions dominantes (monoperspectivistes) de « la » vérité, conjuguée au singulier. Sans se contenter de réinventer l’eau chaude d’un constructivisme désormais poussiéreux, on mobilisera les distinctions entre vérité et pertinence, entre fait ponctuel et signification intégratrice, pour repenser le « conspirationnisme » comme un retour du refoulé de « l’idéologie », à savoir de ce qui a été largement discrédité comme une ambition de totalisation correspondant en fait à un besoin profond de sortir le nez du guidon pour se doter d’une big picture. Les accusations croisées de complotisme ont souvent le mérite de révéler cette présence de l’idéologie sous le vernis de l’expertise. Réfléchir à la dimension narrative (et plus largement littéraire) des discours politiques est une bonne façon de déniaiser nos conceptions de « la raison » (discursive). Dans un deuxième temps, le dossier cherchera à éclairer ce que les réseaux numériques modifient réellement (ou pas) dans la circulation virale des récits conspirationnistes, qui existent depuis qu’il y a des rumeurs et autres des paniques morales. Des études précises tenteront de préciser comment opèrent les viralités sur lesquelles surfent des mouvements associés à QAnon, aux anti-vax, ou aux soulèvements insurrectionnels (souvent dynamisés par des phénomènes complotistes). Enfin, dans un troisième temps, le dossier réfléchira à ce que ces évolutions dans nos modes de voir, de discuter et de nous informer peuvent suggérer comme possibilités de reconfigurations dans nos positionnements politiques. Là où certains se lamente d’un « confusionnisme » régnant, d’autres essaient de reconnaître un « diagonalisme » qui ne se contente nullement de constater un banal « rapprochement entre les extrêmes », mais qui esquisse un « refus » commun de certains énormes mensonges constitutifs de notre modernité consumériste écocidaire. Nous vivons une sorte de « décollement de rétine idéologique », où les angoisses autour du conspirationnisme ne sont que le symptôme avant-coureur d’un réagencement idéologique de grande ampleur.
Contact : yves citton <yves.citton@gmail.com
Mineure : De la guerre civile à l’effondrement : le Liban, désastre à répétition ?
La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, disait Clausewitz. La politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, lui répondra Foucault. Le Liban est-il l’illustration littérale de cette seconde formule ? 2022, le pays est en faillite et cherche un accord avec le FMI. On pourrait penser qu’il sort d’une guerre. En sort-il d’ailleurs, rien n’est moins sûr. À des événements inattendus comme la catastrophe de l’explosion du port et la pandémie de la Covid s’ajoute la faillite, prévue depuis longtemps, du système bancaire libanais, suivie par un pillage des épargnants orchestré par les banques et la classe politique, dont les membres se renvoient dos à dos les responsabilités. Minée par les divisions, la révolution de 2019-2020 qui avait vu l’émergence d’un sentiment national au-delà des clivages confessionnels a échoué, pour l’instant, à remplacer le régime. En plus du système confessionnel et clientéliste, l’étau des tensions géopolitiques dans lequel le Liban est pris entre Israël, l’Iran, la Syrie et l’Arabie Saoudite l’empêche de mettre en place les réformes exigées par les bailleurs de fonds occidentaux. La situation s’est donc détériorée et aujourd’hui, les épargnants et retraités ont perdu leurs avoirs, les salariés et fonctionnaires payés en livres touchent un salaire dérisoire, l’Etat est déliquescent, la classe politique, incapable de se réformer, et l’on ne compte plus ceux qui fuient à l’étranger.
Cette mineure s’intéressera aux travaux de quelques chercheurs qui tentent de penser l’expérience libanaise, et d’explorer des virtualités qui s’agitent derrière ces coordonnées a priori indéboulonnables. Comment se sera forgée leur recherche en prise avec cette histoire violente qui se répète compulsivement, et où les aura-t-elle menés ?
Contact :Rola Younes & Elias Jabre, <eliasjabre@yahoo.fr>
Icônes : RYBN
Hors-Champ : à déterminer