Sans prétention à l’exhaustivité, nous avons chroniqué dans cette annexe à notre dossier Google et au-delà quelques-uns des livres, documents et sites qui nous ont accompagnés dans nos réflexions et recherches (à part Google lui-même bien sûr, dont l’utilité le classe heureusement ou malheureusement hors catégories).
Barbara Cassin, Google-moi, La deuxième mission de l’Amérique, Banc public / Albin Michel (2006)
Le livre de Barbara Cassin sur Google est le premier classique du genre en France. La philosophe a en effet été la première à porter, de par chez nous, un regard critique sur la firme de Mountain View, au-delà d’une image qui, à l’époque de l’écriture du livre, était unanimement positive ou presque. L’analyse sémantique que mène Barbara Cassin sur le discours « angélique » de Google, tel qu’il transparaît dans le manifeste de ses missions, vaut la lecture, tout comme les passages du livre sur « Google Print », « Google Book Search », le projet de bibliothèque numérique européenne et ce qu’elle appelle elle-même « l’encombrant problème des droits ». En revanche, le rapprochement qu’elle opère, au nom d’un même discours de quête du « bien », entre ces missions du moteur de recherche et les grandes déclarations de George Bush après le 11-septembre 2001 a pour le moins mal vieilli, tout comme le parallèle entre le langage totalitaire et celui que porte Google. Peu convaincant sur ses volets économique et technique – qui n’en sont heureusement pas l’essentiel –, Google-moi tient par l’acuité de son regard philosophique.
Ippolita, La face cachée de Google (2007), Manuels Payot (2008)
À date, La face cachée de Google est sans doute le livre le plus remarquable de critique de Google, parfaitement mené sur ses registres techniques, éthiques et politiques, mais se gardant de toute analyse économique approfondie (ce n’est pas son propos). Il a été écrit par un groupe informel italien, composé de « hackers » et, selon les propres termes de ses membres, d’« amateurs » libertaires de notre nouveau monde technologique et de l’art de la « libre » programmation. Son propos ? Décortiquer la façon dont Google, « sous tant de simplicité et de facilité d’usage » cache sa nature de « colosse » ayant mis en place un « système incroyablement complexe et intrusif, qui tâche d’obtenir la gestion des connaissances de cette mare nostrum qu’est la Toile ». La démonstration d’Ippolita est particulièrement riche et bien argumentée sur l’adoption par Google des méthodes de développement typiques de l’open-source pour mieux séduire les développeurs et se faire passer « pour le fer de lance de la libre circulation des savoirs », alors même que son cœur de technologie reste opaque et repose sur « des secrets de copyright et des accords de non-divulgation des découvertes ».
Bernard Girard, Une révolution du management, le modèle Google, M21 Éditions (2004, 2008)
Dans le monde de l’entreprise, ce livre du consultant ès management (et par ailleurs « bloggeur » critique) Bernard Girard est devenu un classique depuis sa première édition en 2004. Il a été réédité en 2008 avec l’ajout d’une très intéressante description des « 12 méthodes de management iconoclastes de Google, applicables à tout type de société ». Ce livre est à prendre comme un document, vu sous le regard du monde du management. Sans jugement, il décrit par le détail ce pourquoi les départements de marketing, de ressources humaines ou même de recherche développement des grandes multinationales regardent aujourd’hui Google comme l’archétype de l’entreprise « post-fordiste », « post-industrielle »…
John Battelle, La Révolution Google. Comment les moteurs de recherche ont réinventé notre économie et notre culture, Eyrolles (2009)
Écrit par un journaliste très réputé dans le monde des nouvelles technologies, ce livre très complet est un modèle d’enquête à l’américaine, se voulant « objective », sur l’histoire des moteurs de recherche et plus particulièrement de Google. Avec une certaine lucidité, Battelle analyse l’impact de Google sur le Net bien sûr, mais aussi sur les médias, le marketing, les libertés individuelles, le droit international et le monde économique. Il montre en particulier comment Google tente de couvrir l’offre et de satisfaire, et même d’anticiper la demande dans l’économie de l’information pour préserver la croissance rapide de son entreprise. Pour Google, au sein du marché de l’information, la demande comme l’offre ne constituent qu’« un peu plus d’information computable », explique-t-il. De fait, sur ce registre de l’économie de Google, il s’agit du livre le plus réussi, mais son travail critique reste néanmoins trop timide, notamment sur les questions éthiques et philosophiques.
David A. Vise et Mark Malseed, Google Story Enquête sur l’entreprise qui est en train de changer le monde, Dunod (2006)
Ce livre, le plus complet sur l’histoire de Google (et pour cause), est en quelque sorte le panégyrique officiel de la firme de Mountain View. David Vise, journaliste au Washington Post, et Mark Malseed, lui aussi journaliste d’investigation, notamment au Washington Post et au Boston Herald, ont néanmoins mené un travail remarquable, interviewant pour leur enquête pas moins de cent cinquante personnes, dont beaucoup d’employés de Google. Est-ce ce qui explique le manque de recul que l’on ressent à la lecture de l’ouvrage ?
Éric Sadin, Surveillance globale, enquête sur les nouvelles formes de contrôle, Climats (2009)
Google n’est pas le sujet de Surveillance globale, mais il en est l’une des pièces, voire l’un des symboles majeurs. Sadin décrit de façon très pertinente les offres du type Google Earth, Google Street View ou, in fine, Google Latitude (qui n’était pas sortie au moment où s’est close l’écriture du livre), et leur articulation « entre localisation des personnes, connexion à des bases de données et proposition d’offres commerciales adaptées aux profils singularisés, situés dans la zone de présence ». Mieux : de façon directe ou indirecte, il décrypte les conséquences du mode de marketing de sociétés comme Google et leurs bases de données. L’enjeu n’y est plus le contrôle ou même la connaissance a priori du client, mais son traçage permanent à des fins d’anticipation de ses désirs conscients ou pourquoi pas inconscients. Comme si chaque internaute vivait dorénavant en toute transparence avec un double de lui-même : son profil virtuel, ami parfait et conseiller ès achats ciblés, le connaissant mieux que lui-même (ou presque).
Geert Lovink, Zero Comments, Blogging and critical Internet culture, Routledge (2007, en anglais)
Théoricien des médias, critique du Net, activiste et par ailleurs directeur de l’Institute of Network Cultures à Amsterdam, Geert Lovink porte l’un des regards les plus pointus sur l’évolution de l’Internet de ces dernières années, dont en particulier sur les moteurs de recherche, les blogs et le Web 2.0. Il explique par exemple que « la quantité de données privées qu’une compagnie comme Google collecte sur nous est sans précédent. La situation va empirer à un point tel, que la seule option qui restera sera de “nationaliser” ou de “socialiser” Google. Sa rentabilité va dépendre de la collecte de profils d’utilisateurs de plus en plus précis. »[1] Mais attention : la critique, chez lui, n’a rien d’une lamentation : ses cibles sont moins Google, les blogs ou les sites du Web 2.0 en eux-mêmes – qu’il utilise évidemment – que notre façon aveugle de nous en servir ou d’en suivre les clichés, en oubliant de (re)donner à nos paroles toute leur densité. Le sens du titre de son livre, Zero comments, d’une férocité assez jubilatoire, notamment sur certaines tendances du « blogging » et du Web 2.0, il l’explique lui-même : c’est « ce qu’on trouve sous la plupart des posts dans les blogs. Pour moi, ce n’est pas un signe de désespoir. Je ne dis pas que le fait de bloguer est un produit de notre “solitude électronique”. C’est souvent une activité très sociale, où l’on se répond et l’on s’échange des liens. Nous devons traiter l’Internet comme un gigantesque bloc-notes, un système de notations distribuées auquel on peut accéder de partout. Nous devrions apprécier ces possibilités au lieu de toujours nous plaindre de notre propre futilité. »
Et aussi sur Internet…
- L’étude complète d’Alexander Mahan, « From Panopticism to Pleasure: Surveillance, Search and Consumerism in Google’s Information Empire » (2007) dont l’article « De la société de contrôle au désir de contrôle » est tiré : http://www.digital-hearth.com /download /alexmahan_ diss_final.pdf
- Le site qui réunit la plupart des articles autour des recherches des équipes travaillant avec Pierre Lévy sur l’IEML (Information economy Meta language), la lecture de certains de ces textes apportant de riches enseignements sur les limites des moteurs de recherches actuels : http://www.ieml.org
- Le site du groupe Ippolita (en italien), avec beaucoup de textes en libre téléchargement : http://ippolita.net
- « Cross-language search: The case of Google Language Tools », étude pointue de Jiangping Chenand Yu Bao (en anglais) autour de Google et du langage : http://journals.uic.edu /fm /article /view /2335 /2116
- Trois sites pour découvrir tous les travaux de l’artiste Christophe Bruno (en français et en anglais) sur et à partir de Google et parfois d’autres moteurs de recherche ou sites du Web 2.0 :
http://www.iterature.com
http://www.christophebruno.com
http://www.unbehagen.com - Un site autour du « Google art » : http://www.rhizome.org /art /exhibition /googleshow
- Celui du groupe d’artiste « Google will eat itself » : http://gwei.org
- Le blog de Bernard Girard (en français) avec notamment des discussions à partir de son livre sur le modèle Google pour le monde du management : http://www.bernardgirard.com
- GNT (Génération Nouvelles Technologies), l’un des meilleurs sites d’information sur notre nouveau monde numérique, qui publie quasiment chaque semaine un voire des articles sur Google et ses nouveaux services : http://www.generation-nt.com /
Notes
[1] Voir son interview dans le magazine en ligne Écrans de Libération, par Marie Lechner (en janvier 2008) : http://www.ecrans.fr /L-anonymat-n-est-plus-qu-une,2985.html
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