Lorsque la délégation « Internet et expression multimédia » a été créée en 1995, à la mairie de Brest, nous avons fait le choix de construire une politique publique par l’implication des acteur-ice-s du territoire. Le choix du « faire avec » a permis au groupe Citoyenneté et Nouvelles Technologies d’enclencher, avec des moyens réduits, un mouvement d’appropriation sociale de cette révolution naissante du numérique.
Un réseau en proximité des « PAPI », ponts d’accès public à Internet
Pour faciliter une découverte de ce nouveau monde de l’Internet, nous avons proposé la création de « PAPI » dans les lieux qui accueillent des publics, en proximité des habitants. En s’appuyant sur les bibliothèques et équipements de quartier, facilité par le dispositif « emploi-jeunes », un réseau de plusieurs dizaines de lieux d’accès en proximité s’est rapidement développé. Chaque année, cinq à dix nouveaux « PAPI » ont rejoint le réseau, assurant ainsi une couverture complète de la ville en 2011 dans les centres sociaux, maisons pour tous et patronages laïques (treize ans après le premier équipement). Le choix de proposer un accès public accompagné dans les lieux ordinaires fréquentés par différents publics est fondateur. Chaque structure avance à son rythme et rejoint le réseau quand elle en voit l’intérêt. Cet accès public dans les lieux existants favorise la diffusion des usages d’Internet parmi les acteurs de la médiation sociale dans le tissu associatif et les services publics. Nous y avons appris l’efficacité du « Faire avec », qui touche l’ensemble des acteurs avec un budget modeste et enclenche une appropriation du numérique par les acteurs associatifs, futurs porteurs de projets. Aujourd’hui, le réseau compte 108 « PAPI », dont beaucoup de lieux de l’action sociale qui accueillent des personnes en situation de précarité ou d’isolement, tels les Restau du cœur ou des structures d’hébergement (FJT, maisons de retraite). Deux projets « Internet pour tous » ont permis de toucher les personnes éloignées du numérique en alliant accès à 1 € par mois, mise à disposition d’ordinateurs, ateliers multiples et visas de compétences numériques. Dans les projets « Internet de quartier, Internet de rue » en partenariat avec ATD Quart-monde, les animateur-ice-s telles que Régine Roué nous ont appris l’importance de la médiation numérique en attention aux personnes, l’usage d’Internet et du multimédia pour la reconquête de l’estime de soi. À Kérourien, Régine combat la fracture numérique jusque dans la rue L’aventure commence en face du centre social, au no 10, dans un appartement du 1er étage. Les ordinateurs occupent le salon et la salle à manger. « Les jeunes m’ont testée pendant trois mois. Ils essayaient de voir si je tenais la marée. » Elle a tenu la marée. Des garçons s’en souviennent. Un jour, pour leur apprendre à se méfier des pseudos, elle devient elle-même Natacha, 15 ans. « Y a une fille qui m’a donné rendez-vous, elle a l’air super ! », entend-elle derrière la cloison. Rendez-vous est pris à 17 heures à Carrefour. L’Espace multimédia se vide – tous à Carrefour ! Et là, surprise : « Après, on a fait un p’tit café discut’. Ça a été radical. » Les gens viennent à L’Espace parce que Régine Roué « aime être à l’écoute des gens : à partir de cette écoute, on peut faire naître des envies, des projets ». Avec ses « p’tites choses », ses petites animations, à partir de la cuisine et autres besoins quotidiens, Régine Roué finit par faire venir dans l’appartement près de 400 personnes différentes par an. Il y a aussi ces femmes qui viennent à l’atelier du mardi après-midi : « Elles sont une douzaine, de toute origine. Après une douzaine d’heures de formation, on leur fait passer le Visa Internet de la Région. Vous verriez le sourire sur leur visage ! Pour certaines, c’est leur premier examen. »
L’accompagnement des initiatives et l’appel à projets
L’accès public accompagné a évolué, intégrant la diffusion du logiciel libre, l’expression multimédia des web radios et web TV, la formation aux compétences numériques, la prise en compte des publics éloignés par les associations et de nouveaux services tels la visioconférence ou les espaces ouverts de travail.
Avec la diffusion du numérique, la question de l’inégalité d’accès laisse place à celle plus profonde des inégalités d’usages, qui recoupe et amplifie les fractures sociales existantes. L’accès public accompagné devient une palette de médiations numériques riche de l’implication de ses animateurs tour à tour formateurs, médiateurs, agents de développement local, diffuseurs d’une culture de la coopération et du partage. Et nous travaillerons en 2013 à l’analyse de l’utilité sociale de la médiation numérique. Cette richesse des envies de faire, cette innovation sociale numérique abondante dans les quartiers et les associations, nous l’avons découverte grâce à l’appel à projet annuel initié en l’an 2000. Depuis douze ans, un appel à projet épaule chaque année la réalisation de trente à quarante initiatives, toutes retenues dès lors qu’elles s’inscrivent dans les axes proposés. L’apport de la ville est modeste (limité à 2 300 € par projet), mais cela suffit pour que l’envie de faire se concrétise. Des dizaines d’innovations voient le jour, tel le projet intergénérations où Monique Argoual’ch met des élèves des dispositifs relais en situation d’être professeurs auprès de personnes très âgées et de leur tenir la main dans la manipulation de la souris, eux qui étaient en échec à l’école et ne tenaient pas en place. Avec Monique, les élèves décrocheurs forment les vieux à Internet « Que des adolescents qui se font exclure de leur collège prennent la main d’une personne âgée pour la mettre sur la souris, ça m’étonne toujours ! », s’enthousiasme Monique Argoualc’h. La rencontre, c’est vrai, est improbable. D’un côté des 5e- 4e, 13-14 ans. Des garçons à 80 % (les filles décrochent en silence et gênent moins l’institution…). Des garçons absentéistes, souffrant de phobie scolaire, perturbateurs souvent, violents parfois. De l’autre, des vieux : « On leur dit “Vous êtes les jeunes et vous allez chez les vieux”, avec tout le respect qu’on met sur ces mots-là. » Des vieux pouvant avoir jusqu’à 95 ans, avec les handicaps qui vont avec, même s’il y a aussi ceux du Club, plus jeunes. Les jeunes doivent donc être préparés. On leur fait découvrir les ressources d’Internet qu’ils ignorent ; ils sont sensibilisés à leur rôle de formateur et s’initient aux pathologies du grand âge. « Ils préparent un support de formation, comment utiliser une clé USB, un vidéo-projecteur. Ils vont faire quelque chose de vrai ; ils vont faire un peu cours. » Les vieux (les vieilles surtout) sont briefés aussi : « Je leur explique qu’on a besoin d’elles ; qu’elles peuvent participer à la formation de ces jeunes-là. Elles peuvent se dire “On peut encore servir à quelque chose, être utiles, intéressantes pour des adolescents.” » La culture du donner à voir Un bilan réalisé en 2007 nous a appris que la mise en réseau des acteurs est aussi importante que la subvention. Les rencontres autour de projets de webradio, de médiation auprès des personnes isolées, de la constitution de biens communs (photothèque collaborative), de fermes de services (maison du libre) diffusent dans la ville une culture commune de l’innovation sociale numérique et de la coopération.
Cette abondance de projets (400 depuis le début) a été facilitée par ces dizaines d’ateliers autour de l’écrit public et de l’usage des nouveaux outils, de l’expression audio et vidéo, des logiciels libres. Un autre trait de cet appel à projet réside dans le parti pris du « donner à voir » : chaque projet est mis en ligne sur le magazine @-brest. La mise en place n’a pas été simple ! Car les porteurs d’initiatives ne sont pas habitués à expliquer leur projet, le raconter et le partager en le publiant. Les financeurs n’ont pas conscience de la richesse de l’innovation « donnée à voir » qui valorise les personnes, reconnaît ceux qui font et favorise de nombreuses rencontres.
Ce souci du « donner à voir » et de l’écriture ouverte est aussi celui des sites participatifs brestois, initiés par « @-brest » qui publie une vingtaine d’articles par semaine et diffuse une lettre hebdomadaire à 1 500 abonnés. Cette démarche participative est un succès local tant du point de vue du lectorat que dans l’écriture (plusieurs centaines de rédacteurs). Malgré l’absence de problème dans la modération (moins d’un article sur 1 000 pose problème), cette écriture ouverte ne s’est guère diffusée au-delà de quelques délégations à Brest. Ouvrir l’écriture sans « maître du web » représente probablement un saut culturel trop important pour les collectivités locales et leur conception de la participation citoyenne.
Comme nous l’avons appris progressivement, la diffusion d’une culture du « donner à voir » et du « faire avec » en attention aux initiatives, du travail en réseau ouvert et du partage est un long chemin dans une société marquée par la compétition et l’organisation hiérarchique où l’école nous apprend à « cacher notre copie » et travailler seul.
L’apprentissage du libre et des pratiques collaboratives
La société du numérique nous confronte pour la première fois de notre histoire à l’abondance. Copier un logiciel, une œuvre numérisée, ne coûte presque rien et ne prive pas celui qui la possède. Les développeurs du logiciel libre, les contributeurs de Wikipédia ou les profs de Sesamath qui font le choix du libre et de la coopération ont inventé de nouvelles pratiques et méthodologies qui permettent de gérer l’abondance. Ces pratiques collaboratives ne sont pas nouvelles, elles sont vivantes au sein des principes de solidarité, de la coopération en recherche. Mais elles représentent une méthodologie efficace pour gérer cette abondance amenée par les technologies du numérique. C’est à travers le CD bureau libre, compilation de logiciels de bureautique que nous avons fait à Brest la première expérience collective de coopération.
Avec la maturité des outils bureautiques libres, nous avons souhaité mettre à disposition des habitants un ensemble de logiciel libres faciles à installer et à utiliser. Avec la complicité et l’implication de Jean-Paul Leclere, qui avait réalisé pour l’AFPA un installateur de ce type, nous avons engagé ce projet de CD « Bureau libre – Free Eos » à travers des espaces collaboratifs. Plusieurs dizaines de personnes se sont impliquées pour choisir les outils, créer le graphisme, collecter les tutoriaux, réaliser l’installateur. Un gros travail pour parvenir en trois mois à un produit simple d’installation, diffusé sur plusieurs années à 300 000 exemplaires en Bretagne et ailleurs. Les bibliothèques ont mis ce CD en prêt ; le PAPI de Kérourien a promu la copie du CD ; les quatre universités de Bretagne l’ont distribué à chaque nouvel étudiant ; les écoles primaires l’ont adopté. C’est tout un réseau d’acteurs de la médiation numérique qui se l’est approprié. Et comme l’exprime Laurent Marseault d’Outils Réseaux, ce fut pour beaucoup d’entre nous une expérience irréversible de coopération. Bienvenue sur Wiki-Brest, les carnets du Pays de Brest C’est sur ce terreau des réseaux de l’accès public de proximité, des projets et du choix partagé du logiciel libre qu’est né le second projet collaboratif structurant : Wiki-Brest. À l’image de Wikipédia, nous avons voulu ouvrir un espace d’écriture collaborative portant sur le patrimoine et le vivre ensemble au pays de Brest. Histoires de lieux, de personnes, de travail, géographie, tranches de vie, chansons, articles encyclopédiques, Wiki-Brest c’est une écriture qui relie habitant-e-s, journaux de quartiers, associations, artistes, bibliothécaires, enseignants… et vous invite à écrire.
Partis d’une page vide, nous avons d’abord collecté quelques dizaines d’articles avec le souci d’une écriture ouverte à tous : recettes de cuisine, petites anecdotes. Un an plus tard, après des dizaines d’ateliers d’initiation, les centaines d’articles ont été organisés autour d’une première structuration thématique du Wiki. Nous avons appris de Wikipédia les techniques du portail qui ont permis de proposer des espaces pour les patronages laïques qui y racontent leur histoire, les journaux de quartier qui en font leur mémoire publique avec des dizaines de numéros anciens. Cette écriture collaborative ne va pas de soi et le succès de Wiki-Brest tient beaucoup au travail d’animation par les centaines d’ateliers, les wiki-journées, les wiki-contoirs où les auteur-e-s présentent leurs écrits. Aujourd’hui, Wiki-Brest compte 3 560 articles, 10 000 fichiers multimédia, 966 utilisateurs enregistrés, 17 administrateurs et 12 millions de pages vues avec des dizaines de portails thématiques créés au fil des collectes.
Le projet a servi de support à une large information sur les droits d’auteur et l’élargissement des libertés d’usage. Que peut-on mettre en ligne ? Sous quelle licence ? Tout cela est loin d’être évident. De cette sensibilisation sont nées les semaines « Brest en biens communs », organisées en octobre 2009 et 2011, et qui associent un nombre croissant de partenaires concernés par ces questions de droit d’usage et soucieux d’élargir les communs. Les collectes de photos dans les communes du pays de Brest, puis autour des Tonnerres de Brest ont été un succès avec plus de 4 000 photos mises en ligne sur Commons, la photothèque de Wikipédia. Cela nous a donné l’idée du projet « Brest ville Wikipédia » pour enrichir cette écriture partagée autour de Brest. Avec Wiki-Brest nous avons aussi appris et diffusé l’usage des wikis. Pour chaque projet, chaque rencontre, nous ouvrons une page écrite en direct lors des réunions et construite de manière ouverte qu’il s’agisse du « Forum des usages coopératifs », du « Centre de ressources de l’accès public au pays de Brest » ou des études de l’économie sociale et solidaire. Un wiki recense aussi tous les textes publiés par le service, les bilans, évaluations, rapports d’activité, études et rencontres auxquels nous participons.
Un peu comme pour les sites participatifs, cette culture de la coopération, de l’expression ouverte et du partage diffuse lentement dans la collectivité à travers des projets transversaux comme la semaine des droits de l’enfant, le médiablog coopératif, le portail des savoirs, les cartes ouvertes et les wikis de l’économie sociale et solidaire. L’appropriation par des associations comme l’hébergeur associatif Infini, la ferme de service libranet, les wikidébrouillards des p’tits deb’ de Bretagne marque une avancée de cette culture de la coopération et du partage.
L’exemple des « fablabs » ateliers de fabrication d’objets est exemplaire de cette émergence d’une culture du partage et de la coopération. En moins d’un an plus d’une dizaine de fablabs, ateliers de fabrications de circuits électroniques libres, impression d’objets en plastique en 3 dimensions ont vu le jour en Bretagne. Et en novembre, les acteurs Brestois ont accueilli plus d’un millier de personnes dans un salon du faire soi-même entièrement auto organisé, l’Open Bidoule Camp, rendant compte d’un mouvement de société autour du Do It Youself, des circuits courts et de la consommation collaborative.
Libres, durables et solidaires Au fil des projets concrets, les pratiques collaboratives et le libre (les logiciels, les contenus librement réutilisables, puis les cartes ouvertes, les innovations) sont devenus une référence commune des acteur-cice-s de l’Internet associatif au pays de Brest. Aux rencontres du Forum des usages coopératifs (Brest), à Autrans, aux Étés tic de Bretagne à Rennes, lors des assises de la médiation numérique (Ajaccio), à Moustic (Montpellier) aux Rewics (Charleroi) aux Roumics (Roubaix), nous avons vu émerger une convergence d’acteurs au-delà du champ de l’innovation numérique. Dans l’éducation, la recherche, la culture, l’insertion, l’économie sociale et solidaire (ESS), autour du mouvement des territoires en transition se développent une innovation sociale ouverte qui fait le choix du libre, de la solidarité et du durable et interpelle la société.
Cette convergence qui n’allait pas de soi est portée par la crise de nos sociétés : « Notre monde secoué de crises – aux conséquences multiples économiques et sociales autant qu’écologiques… – ne peut se réduire à une lecture binaire : marché contre État. D’autres manières de penser le développement existent, des manières plus respectueuses à la fois des humains et de la planète, plus créatives que celles que nos structures représentatives historiques nous assignent, plus coopératives que compétitives. Ces autres manières de faire société passent, entre autres, par l’innovation sociale ouverte et partagée, la promotion, la diversification et la défense des Biens Communs. »
Dans l’Économie Sociale et Solidaire, beaucoup de sites tels que le réseau de Rhône Alpes solidaires font le choix de licences en creative commons, qui permettent la réutilisation des contenus rejoignant ainsi le mouvement des blogs ouverts du numérique tels que Framablog, SILEX qui ont montré la voie des contenus libres.
Face à l’incapacité des gouvernements à s’entendre pour une prise en compte des défis écologiques, les initiatives visant à une transformation locale se multiplient : villes en transition, consommation collaborative, circuits courts, monnaies complémentaires, financement participatif.
C’est sous le terme de « durable » que je désigne ces acteurs d’une transformation écologique. « Libres, durables et solidaires » est une appellation qui exprime cette convergence autour des valeurs de partage, de coopération, de solidarité, de respect de la diversité. Cela désigne un ensemble de pratiques provenant d’une grande variété d’acteurs mais qui se retrouvent dans la coopération, le partage des « comment-faire », le souci du bien commun et une implication concrète qui élargit le pouvoir d’agir de chacun-e.
Ces choix de « donner à voir », de permettre la réutilisation des productions et d’une intelligence collective qui augmentent notre capacité d’agir sont essentiels si l’on veut changer d’échelle et répondre aux défis des crises sociales et écologiques qui font craquer nos sociétés et menacent la planète. Impliqué personnellement comme élu écologiste dans une délégation sur le numérique (à la ville) mais aussi sur l’économie sociale et solidaire (à l’agglomération), je suis particulièrement sensible à ce croisement entre libres, solidaires et durables. Et à côté du croisement des réseaux qui explorent cette convergence (Imagination for people, anim-fr, Movida, Loire en Transition, 27e région, Internet actu, et bien d’autres territoires interconnectés), j’essaie de favoriser la convergence de cette triple culture du libre, de la solidarité et du durable au pays de Brest et en Bretagne.
Comment faire pour outiller les acteur-ice-s du territoire ? Comment rendre visible l’abondance des innovations ? Comment diffuser et apprendre de nos savoir-faire ? Comment favoriser un changement d’échelle ?
Former à l’animation de projets coopératifs est le premier axe Le travail en réseau, la coopération ne sont pas des habiletés apprises à l’école, transmises par la famille ou mises en œuvre dans l’activité associative ou professionnelle. Les formations-action « animacoop » réalisées avec l’association Outils réseaux, forment à l’animation de projet coopératif et croisent les réseaux du libre, du social et du durable. Bien sûr, former cinquante à cent personnes est petit, mais cela maille déjà le territoire avec des acteur-ice-s ayant une culture partagée du libre et de la coopération. Et peut-être saurons-nous, à l’image des cours de masse en ligne et ouverts (acronyme MOOC en anglais) initiés à l’université de Stanford, passer à l’échelle en proposant une formation ouverte démultipliée sur les territoires. La création du réseau francophone anime-fr 21 qui associe 250 acteurs de l’animation de projets collaboratifs est un premier pas modeste dans une société où les pratiques de la coopération et du partage sont encore très minoritaires. Le choix de contenus de formation réutilisables facilite l’essaimage, avec en projet l’émergence d’un archipel d’associations porteuses sur leurs territoires de ces formations-actions. Le succès du premier MOOC francophone « ITypa » (Internet tout y est pour apprendre) ouvert par la coopération de quatre enseignants sans autre moyen que leur envie de faire et qui rassemble plus de 1 300 inscrits et plusieurs centaines de production des participants ouvre la voie à des formations coopératives à grande échelle. Rendre visible cette convergence des acteurs du libre, solidaire et durable Nous sommes probablement des milliers au pays de Brest à nous retrouver dans ces valeurs de partage, de solidarité, de transition écologique. Pour le montrer nous avons commencé une collecte d’innovations sociales avec la plate-forme Imagination for people. À côté des vingt-deux premières innovations autour du numérique, des dizaines d’autres vont être publiées autour des initiatives des habitants, des territoires en transition, de l’économie sociale et solidaire, des innovations des associations et des acteurs du service public. Là aussi nous faisons le choix d’une publication sous licence libre pour faciliter la diffusion et la réutilisation. Dans le volet professionnel de mon activité (responsable de formation d’ingénieur à Telecom Bretagne), nous avons organisé une collecte des innovations pédagogiques avec là aussi une innovation qui devient abondante dès lors que l’on s’organise pour la rendre visible. Quarante fiches collectées dans chacune des quatre universités de Bretagne donneraient des centaines d’innovations ! Le code source de nos innovations Les acteurs de l’innovation sont aussi les mieux placés pour faciliter leur réutilisation. C’est une autre idée de la plate-forme Imagination for People, contribuer au financement des innovateurs en leur permettant d’être experts de leur innovation. Pour cela le projet doit non seulement être décrit mais explicité dans son « comment faire ». Dans les « communautés apprenantes » initiées par Thanh Nghiem, nous apprenons à décrire le « comment-faire » d’une innovation pour qu’à la manière du code d’un logiciel libre l’innovation puisse être lue, utilisée, copiée et amendée. C’est le chemin que nous explorons avec par exemple l’association Tiriad, qui à partir de l’expérience de cartes libres mise en œuvre sur la commune de Plouarzel, propose une méthodologie de cartes participatives (carte parties, atelier formation, accompagnement). Un réseau de l’innovation sociale ouverte à Brest et en Bretagne Nous apprenons à faire sur notre territoire. C’est la logique de la diffusion de cette culture du partage et de la coopération, de la mise en réseau et des portails. Mais la dimension de l’agglomération ou du pays de Brest est trop petite pour créer une dynamique territoriale. L’échelle régionale est l’objet du quatrième axe initié cet été avec le réseau « Libres, solidaires et durables de l’innovation sociale ouverte en Bretagne » : créer un réseau social de l’innovation en Bretagne de partage de ces savoir-faire. Nous bénéficions ici du fait que la démarche de coopération en Bretagne est déjà dans nos pratiques : — dans le secteur du numérique (rencontres des Étés TIC de Bretagne, coopérations Rennes – Brest – Région, projet Bretagne très haut débit, équipement de 200 salles de visio, e-megalis, réseau des fablab, des cantines et autres tiers lieux) ; — par les 15 pôles associatifs de l’Économie Sociale et Solidaire par pays ; — par des réseaux émergeant du développement durable comme Bruded qui associe plus de 100 communes rurales. Mais cette animation collaborative, cette attention à l’innovation ascendante au croisement de plusieurs politiques publiques et territoires ne sont pas dans les logiques usuelles des collectivités, ni dans leur culture. Il nous faut donc montrer pour être compris. Ce travail en réseau qui favorise l’émergence de ces milliers d’innovations au cœur des territoires locaux reste à imaginer et construire. Par le « donner à voir », l’outillage des acteurs, la diffusion des codes sources, le croisement des territoires apprenants nous souhaitons en faire un levier de transformation sociale qui démultiplie les pouvoirs d’agir, augmente notre citoyenneté et enrichisse nos solidarités. Ce projet de réseau des acteur-ice-s de l’innovation sociale ouverte en Bretagne en est un des moyens. Le chemin est long parce que c’est un profond changement de culture, mais ceux qui y ont goûté reviennent rarement en arrière. Il favorise l’innovation, une innovation ouverte puisque, par construction, elle est partagée et mise en réseau. En guise de conclusion Partis d’une envie de « faire avec, donner à voir, mutualiser » autour de l’appropriation sociale du numérique, la mise en œuvre de projets libres et le travail en réseau nous ont fait découvrir l’efficience mais aussi le plaisir des pratiques collaboratives et des contenus partagés. Dans notre société en crise écologique et sociale, la transformation se tisse au sein des territoires : des milliers d’innovations préfigurent un changement possible. L’innovation sociale abondante témoigne de ce que les envies de mieux vivre ensemble foisonnent et que la transformation écologique devient une nécessité davantage perçue. Aujourd’hui c’est autour de la convergence des acteur-ice-s « Libres, solidaires et durables » que nous essayons de construire un réseau de l’innovation sociale ouverte qui facilite le changement d’échelle. Une contribution au vaste mouvement encore diffus des territoires apprenants qui nous donnent l’espoir d’un autre monde que celui de l’augmentation des inégalités, des solitudes et des pollutions.