82. Multitudes 82. Printemps 2021
Hors-champ 82.

Le  mythe de la  charge  maximale
Migrations mondiales et  « capacité  d’accueil » de  l’État  nation

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« Le prochain bateau peut faire demi  tour et  retourner d’où il vient car  notre  limite  a  été atteinte. »

Matteo Salvini, Premier ministre italien, refusant à 177 migrants de débarquer d’un  bateau de sauvetage récemment arrivé  sur  les côtes européennes.

Vitale pour les imaginaires xénophobes transnationaux, la construction discursive de la « crise des réfugiés européenne » est soutenue par un concept relativement nouveau : l’État-nation aurait une « capacité d’accueil » (receptive capacity) objective et limitée quant à l’accueil des étrangers qui, lorsqu’elle est dépassée, est sanctionnée par la violence contre les migrants considérés en situation irrégulière1. Cette notion a pénétré diverses strates de la sphère publique. Elle est régulièrement convoquée, par exemple, comme discours de vérité dans les débats parlementaires sur la politique d’asile, elle circule de façon plus polémique dans la rhétorique populiste (comme l’illustre agressivement la formule exaspérée de Matteo Salvini, « notre limite a été atteinte »), et structure la grammaire visuelle utilisée pour capturer l’expérience des migrants et la rendre consommable aux yeux occidentaux.

Invocations politiques de  la  « capacité d’accueil »

Le préambule du « Plan d’ensemble pour l’immigration » proposé par le ministre allemand de l’intérieur Horst Seehofer –  qui avait affirmé qu’il se rendrait lui-même à la frontière pour refouler les réfugiés  – en appelle à une restriction sévère de l’immigration, au motif que la capacité d’accueil d’une société [Aufnahmebereitschaft, littéralement « la disposition à accueillir »] nécessite ordre et gouvernance, car aucun pays au monde ne peut sans limite accueillir des réfugiés [Kein Land der Welt kann unbegrenzt Flüchtlinge aufnehmen2]. Bien qu’il n’ait pas été entièrement mis en œuvre, ce document a contraint Angela Merkel à revenir sur l’engagement pris par l’Allemagne de maintenir ses frontières ouvertes et a entraîné la construction de « centres de transit » le long de la frontière autrichienne, où les demandeurs d’asile peuvent être « concentrés » dans des installations à la juridiction ambiguë, sans jamais entrer techniquement dans l’Union Européenne et sa sphère de protection juridique.

Cette vision d’un programme xénophobe organisé de main de maître n’indique pas seulement un changement idéologique plus large en Europe et en Amérique du Nord, marqué notamment par la présence accrue dans les rues et dans la politique électorale générale de partis d’extrême droite comme la Ligue du Nord en Italie, l’A.f.D. (Alternative für Deutschland) en Allemagne et le K.K.K. aux U.S.A., mais exprime également une ligne de raisonnement bio-mythique qui est le nerf vital de l’imaginaire racial anti-immigrant contemporain. De façon paradigmatique, le « Plan directeur pour l’immigration » exprime une forme permanente d’autoreprésentation politique par laquelle l’Europe se définit comme un site d’intériorité et comme un Sujet moral pouvant exercer ses choix dans un certain champ territorial.

Ce qui s’est nouvellement greffé sur cet héritage eidétique de la colonisation, me semble-t-il, c’est l’idée qu’un tel champ décisionnaire est déterminé par la limite présumée de la capacité à accueillir (receptivity) : définie bio-mythiquement, à la fois hors de l’économie et constituant sa condition originaire, et ne pouvant dès lors être réduite à quelque motif d’origine économique, cette limite ainsi définie permet à l’Europe de se dégager de toute responsabilité quant à l’accueil des migrants.

En 2015, pendant la période où les migrations furent les plus intenses en Europe, des inquiétudes croissantes ont été exprimées publiquement en des termes similaires, c’est-à-dire non pas directement comme des discours anti-Noirs ou islamophobes avoués, mais comme situation critique qui aurait été atteinte pour avoir dépassé la limite des réfugiés pouvant être absorbés. Tel était par exemple le message d’une lettre ouverte envoyée à Angela Merkel par les administrateurs de district en Westphalie du Sud : « Que les frontières soient ouvertes », écrivaient-ils en octobre de cette année-là, « surcharge notre capacité d’accueil3 ».

En allemand, Aufnahmefähigkeit désigne une faculté de rétention, une capacité à laisse entrer, à accueillir et à absorber. La racine de ce terme, Aufnahme, a un certain nombre d’usages familiers, notamment l’assimilation et l’acceptation, l’absorption d’une force ou d’une substance comme l’électricité ou l’eau, et l’admission (dans une école, un hôpital ou un club). L’Aufnahme peut également désigner ce qui peut être dessiné de manière textuelle ou visuelle –  comme une photographie, une inscription ou un enregistrement. En jeu, donc, dans l’emploi de ce terme pour la question des migrations, est l’idée de limite s’inscrivant dans le champ perceptif, ce dernier s’inscrivant à son tour dans le réseau réticulaire des décisions gouvernementales.

Le paradigme en question n’est pas seulement construit linguistiquement, mais il est transmis, d’une façon peut-être d’autant plus fluide qu’elle est sans paroles, par des images photographiques présentant les migrations de masse comme rencontre avec le sublime visuel. Par exemple, les images filmées avec des drones dans Human Flow de Ai Weiwei (2016) cadrent l’expérience des réfugiés dans une perspective macro-logique où les limites de la perception sont amenées à converger avec celles de l’appréhension. Dans ces plans en haute altitude, la répétition visuelle frôle l’excès mathématique : les gilets de sauvetage qui sont les métonymies des réfugiés en mer semblent tellement innombrables qu’ils ne peuvent être traités que comme un champ de couleurs. Vu avec l’œil aérien, l’habitat temporaire dans les camps se transforme en motif géométrique contre le désert de lin. Formellement, le problème de l’échelle démesurée des migrations contemporaines se traduit par une saturation visuelle –  d’innombrables corps se pressant contre le cadre et le traversant, ce dernier ne tenant qu’à grand-peine.

Les affirmations concernant les capacités d’accueil des différentes villes, nations, régions et, surtout, de l’Europe dans son ensemble, continuent de façonner le paysage politique néo-libéral et ont eu des effets particulièrement redoutables depuis 2015, alors que les nations membres de l’U.E. s’essayent –  sans y parvenir  – à négocier le nombre de migrants qu’elles sont prêtes, ou pas, à réinstaller à l’intérieur de leurs frontières. Contrairement à l’idée de frontière rattachée à la souveraineté territoriale comme à sa contestation, la frontière n’est pas en ce cas strictement physique mais plutôt une abstraction, perçue comme une capacité interne.

En un seul mot, le terme allemand Grenze est capable d’accommoder la signification de « limite » au sens général, avec celle plus spécifiquement géopolitique de « frontière ». Cette latitude sémantique (qui n’est pas réservée au terme allemand Grenze) permet un déplacement stratégique, voire la fabrication intégrale d’une connexion nécessaire entre la sécurisation des zones frontalières et un discours relatif à la construction des limites (économiques, écologiques, psychiques, biologiques,  etc.). Ce qui est en jeu en fin de compte, je le souligne, est moins une résolution particulière concernant l’immigration –  la fermeture de tel ou tel point de contrôle, ou les glissements barométriques des degrés de tolérance  – mais, plus fondamentalement, la constitution de tout le champ de décision, la légitimation de tout le cadre imposant la sujétion des corps non-européens à l’infrastructure de connaissance et d’autorisation légale administrée par l’Occident.

Dans Au-delà du principe de plaisir (1920) et « Note sur le “bloc-notes magique ” » (1925) Freud théorise les limites de l’inscription psychique et de la mémoire induites par l’expérience traumatique ou par l’afflux d’excitations extérieures. Curieusement, le mot Aufnahmefähigkeit, pourtant peu courant, apparaît dans ces premiers documents, où il fait référence à une caractéristique « inhabituelle » de la psyché, à savoir une « capacité d’accueil » que Freud identifie comme étant « illimitée4 » lorsqu’assistée par l’artefact du « bloc-notes magique ». À la différence des références antérieures à la tabula rasa comme image de potentialité (Aristote), ou comme analogie du néant précédant les premières impressions mentales faites par l’expérience (Locke), ce qui ressort de ces deux textes est ceci : l’identité est établie et maintenue non seulement par une expression de l’intériorité, mais aussi par la définition de l’intérieur comme lieu approprié de la capacité à recevoir (receptivity). De plus, la régulation et l’organisation (topographiquement et par division du travail) de cette capacité potentiellement infinie est ce qui, premièrement, inaugure la vie (psychique) et, deuxièmement, ce qui modèlera non seulement les tentatives d’auto-formation du sujet, mais aussi ce qui sera vécu sur le mode de la peur ou de l’anxiété, comme une menace à l’auto-intégration.

À l’écoute de cette résonance linguistique, et donc de la jonction mimétique où la résilience du moi est imaginée conjointement avec celle du corps politique, on peut se demander plus précisément ce que l’on entend quand la notion de capacité d’accueil nationale est évoquée : quel est le fondement et l’histoire de cette abstraction ? Comment est-elle sollicitée pour agir en tant que principe de réalité qui évoque une limite basse, un fond qui n’est apparemment décidé par aucun agent politique mais qui est la condition qui, en quelque sorte, structure la décision ? En termes d’exercice du pouvoir, quelle est la différence entre l’interdiction sélective de la migration sous la forme d’un « ban » –  comme le décret de Trump (Travel Ban) refusant catégoriquement l’entrée des réfugiés aux États-Unis  – et une déclaration qui pose une limite non pas strictement numérique, mais théoriquement quantifiable, à ce qu’une collectivité politique est capable d’absorber ? Comment la spécification d’une capacité d’accueil pourrait-elle participer à la consolidation de la souveraineté nationale à un moment où celle-ci a été érodée par le capital néolibéral ?

Histoire coloniale et  écologique de la  « capacité d’accueil »

Soutenir qu’une capacité d’accueil nationale a été épuisée n’équivaut pas à un refus direct –  le rejet d’un groupe ethnique ou religieux particulier  – même si, en fin de compte, une telle déclaration peut être mise au service d’actes d’exclusion. Cette notion de capacité d’accueil doit également être distinguée des systèmes de quotas plus familiers à l’histoire culturelle du droit moderne de l’immigration et de son évolution par rapport à la guerre et à la codification juridique des hiérarchies raciales. Aux États-Unis, le premier régime de ce type a été établi dans les années 1920 pour décourager l’immigration en provenance d’Europe de l’Est et du Sud et, en termes moins équivoques, pour exclure l’assimilation des Asiatiques, que la loi considérait comme catégoriquement « inéligibles » à la citoyenneté5. Ces chiffres –  à la différence de la répartition contemporaine des réfugiés en vertu du règlement de Dublin  – étaient calculés par référence aux « origines nationales », une notion inventée à partir de données (incomplètes) de recensement sur les pays de naissance des citoyens. Ces formules d’acceptation limitée –  x  personnes provenant d’un pays  y  – étaient conçues pour refléter les proportions existantes de la composition démographique de la population nationale mais, comme l’a démontré Mae Ngai dans son livre, elles ont fait de l’étranger clandestin le problème central de la législation sur l’immigration, tout en effaçant systématiquement la présence de résidents non blancs, y compris les mulâtres et les descendants d’esclaves. Ce sont ces quotas qui ont été mis en place lors du dernier mouvement mondial de réfugiés d’ampleur, après la Seconde Guerre mondiale.

La généralisation d’une capacité d’accueil (receptive capacity) au niveau de l’État-nation marque une forme relativement nouvelle de raison gouvernementale et ne donne pas lieu aux processus de calcul arithmétique comparativement plus simples qui, loin de se rapporter à quelque « ouverture » de frontières, a fait progresser la suprématie blanche en classant démographiquement l’Européen libre de type caucasien comme le sommet de la désirabilité humaine. En tant que signifiant, l’Aufnahmefähigkeit a subi des fluctuations sémantiques notables au cours du siècle, transitant à travers la frontière entre Vie et Non-Vie.

Dans l’usage de Freud, l’Aufnahmefähigkeit a un air de technicité, car, à son époque, le terme était largement associé aux sciences physiques appliquées, par exemple dans les mesures de la capacité magnétique des machines6. Le géographe Nathan Sayre a retracé la métamorphose de son homologue anglais, la « carrying capacity », [« capacité de charge » ou « charge maximale » en français], passé d’une technique de mesure qui facilitait la circulation transnationale des marchandises à un concept qui, à partir du milieu du XXe  siècle, a dynamisé les aspirations néo-malthusiennes de régulation des populations humaines.

L’expression est apparue pour la première fois dans les années 1840 dans le contexte du transport maritime international, comme un moyen de normaliser la mesure du poids que les navires pouvaient supporter et donc des frais de douane. Bien qu’utilisé à l’origine pour évaluer les objets de conception humaine, le concept a été étendu à la fin du XIXe  siècle pour décrire les phénomènes naturels –  par exemple, la quantité d’humidité que les vents pouvaient transporter ou la quantité d’eau qu’un canal pouvait contenir. Cet élargissement a à son tour fait place à un usage plus figuratif en référence à la population7.

Dans un changement qui ressemble à la distinction faite par Foucault entre le pouvoir disciplinaire, qui cible le corps individuel afin d’optimiser ses performances, et le biopouvoir, qui s’applique à l’« espèce », le champ de la « charge maximale » s’est considérablement élargi en ce qui concerne la production de connaissances –  de manière à tenir compte, par exemple, non seulement du nombre de livres qu’une mule peut physiquement transporter, mais plus largement de la quantité de bétail qui peut être supportée par une parcelle de terre donnée.

Après avoir étudié les cerfs sur le plateau de Kaibab, l’écologiste américain Aldo Leopold a popularisé ce concept dans le domaine de la gestion de la faune sauvage pour décrire les fluctuations de la population de gibier en termes de productivité variable. Autour de la Seconde Guerre mondiale, il a commencé à penser l’analogie entre la dynamique autorégulatrice de la croissance de la population animale et les modes de subsistance humains. Par le biais du circuit des conférences universitaires, il a exporté le concept en Afrique, et avec ce concept l’éthique –  idéologiquement chargée  – de l’écologie durable (sustainability) qui en était le véhicule. Entre 1941 et 1949, l’administration britannique de l’actuelle Zambie a procédé à des évaluations écologiques de la « charge maximale » de diverses sous-régions de la colonie. Ces études ont ensuite été utilisées pour justifier la réinstallation forcée de milliers d’Africains –  prétendument pour maintenir un équilibre adéquat entre les populations humaines et les ressources naturelles.

L’Aufnahmefähigkeit allemande est alors également utilisée dans les discours de gestion écologique, mais à partir des années 1970, elle acquiert une signification plus importante dans l’économie et la gestion des affaires. Dans cette littérature, elle est utilisée comme synonyme d’Aufnahmekapäzitat pour évaluer le potentiel des marchés émergents, par opposition au réel pouvoir d’achat réel au sein de ces marchés8.

Cet excursus philologique offre un aperçu des transformations historiques concrètes qui pourraient facilement être intégrées dans un récit relatif à la mondialisation, mais il illustre surtout comment les restrictions bio-écologiques et la fabrication mortelle du marché sont en miroir l’une de l’autre. Si Foucault l’a peu théorisée, circonscrite anthropocentriquement et restreinte géographiquement à l’Europe, la notion de « pouvoir environnemental » qu’il propose provisoirement dans ses conférences sur le néolibéralisme identifie, sans la reconnaître pleinement, la collusion entre sciences écologiques, gouvernementalité et dépossession coloniale. Il utilise l’expression presque au figuré, pour nommer le pouvoir et la connaissance qui opèrent, non pas à travers une transformation procrustéenne de l’individu en idéal normatif, mais plutôt en créant un milieu dans lequel les acteurs (économiques) sont libres d’agir9.

En termes plus explicites, la généalogie du terme Aufnahmefähigkeit permet de reconnaître la complicité historique entre les régimes économiques de racialisation et l’éthique de la conservation de l’environnement, tous deux déployant le savoir-pouvoir à travers l’inauguration et le fait de maintenir ouvert un espace de libre mouvement dont les frontières –  géospatiales et statistiquement constituées  – sont réglementées et contrôlées. Un tel mode d’intervention produit une zone de non-intervention qui tend à la rendre invisible. Avec l’institution de l’espace Schengen comme espace de déplacement ouvert et libre (réalisation limitée de l’idéal cosmopolite), c’est toute l’Europe qui est repensée sur ce modèle.

Les quotas obligatoires pour la relocalisation des demandeurs d’asile indiquent un changement de paradigme en ce qu’ils ne ciblent pas directement les migrants de certaines « origines nationales » (reconnues ou déniées), mais procèdent plutôt en auto-représentant les limites des États européens. Les capacités d’absorption « objectives », calculées de manière rationnelle –  disons, l’évaluation de la condition environnementale des États membres  – sont ensuite utilisées pour justifier la restriction forcée de la circulation des corps non-blancs qui, par rapport à un tel schéma, sont prêts à apparaître d’abord comme excès quantitatif, puis qualitatif.

La « clé de répartition », une formule mathématique élaborée pour répartir les réfugiés dans toute l’Europe, prend en compte quatre variables, dont aucune ne concerne le pays de naissance des migrants : taille de la population nationale, PIB total, taux de chômage et nombre moyen de demandes d’asile récemment reçues10. En d’autres termes, le sort des organismes non-européens est déterminé par la substitution du processus d’asile à un calcul de ce que l’oikos national –  racine de l’économie et de l’écologie  – peut absorber sans déséquilibre.

Il est vrai que les eurosceptiques et les nationalistes d’extrême droite se sont enorgueillis du refus réactionnaire et massif des quotas de réfugiés préétablis par l’U.E. : « Ici en Pologne, insistait le Premier ministre Mateusz Morawiecki, c’est nous qui décidons qui viendra en Pologne et qui ne viendra pas11 ». Mais leur défense de la souveraineté nationale, dont l’agression masculine envers l’Autre (islamique et noir) est certes moins médiatisée, partage néanmoins le postulat idéologique qui lie la peur de la destruction à une surcharge des capacités de réception de la nation, conçue comme un environnement de marché. La bestialisation du sujet (anciennement) colonisé n’est plus seulement un trope culturel ni un processus de dégradation strictement matériel, mais la suture des deux au nom de la gestion économique.

Insuffisance de la dénonciation humanitaire

Malgré son omniprésence, la notion de capacité nationale d’accueil des migrants a largement échappé aux cadres de représentation en vigueur pour rendre visible l’expérience des réfugiés dans le Nord global. L’humanitarisme –  qui est complété par l’exposition photographique du réfugié en tant que victime impuissante, à la dérive, dans un état de dénuement océanique  – polarise la crise dans une relation dyadique dans laquelle le réfugié souffrant est mis en vitrine pour la consommation occidentale. Ailleurs, l’enquête critique sur les zones frontalières s’est renfermée sur la tendance à la répression policière des migrants et à l’intensification de la militarisation des frontières nationales –  une entreprise de violence globale qui continue à solliciter des investissements privés.

Des incidents dispersés sont intégrés en schéma d’abus systémique : arrestation et la détention de réfugiés dans les prisons bulgares ; démonstration de force à la frontière serbe, où la police anti-émeute a déployé des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre les personnes bloquées à un point d’entrée récemment scellé ; officiers français qui ont régulièrement battu des réfugiés à Paris et à Calais et confisqué des sacs de couchage et des couvertures pendant l’hiver, ou qui ont conduit des jeunes femmes à trois heures de route du site de leur logement provisoire et les ont laissées rentrer seules à pied ; passages à tabac administrés par les forces frontalières en Croatie, en Bulgarie, en Grèce, et les innombrables blessures non-déclarées qui n’ont pas pu être soignées ; police à Lesbos, qui a arrêté et cassé les membres de réfugiés qui manifestaient contre les mauvaises conditions de vie dans lesquelles ils étaient enfermés de force ; famine délibérée des réfugiés dans les « zones de transit » hongroises afin de les obliger à abandonner leurs recours juridiques ; en France, internement d’enfants pendant la nuit, sans nourriture ni eau, saisie de leurs téléphones portables, falsification des documents des demandeurs d’asile mineurs afin qu’ils soient jugés techniquement assez âgés pour être renvoyés en Italie, et découpage des semelles des chaussures des enfants réfugiés avant de les obliger à retourner à pied dans le pays où ils sont arrivés. Plus la sécurité frontalière est extrême, plus la sécurité aux frontières dégénère en sadisme.

La criminalisation des réfugiés risque en effet de se normaliser à mesure que l’infrastructure de contrôle des frontières devient de plus en plus indissociable du complexe industriel et carcéral. Bien qu’elle ait été formulée avant que la « crise des réfugiés » n’entre dans la conscience publique en tant que telle, l’affirmation centrale de Wendy Brown dans Walled States, Waning Sovereignty, à savoir que le projet fanatique et masculin d’édification de murs est un mécanisme compensatoire pour la souveraineté compromise de la nation dans un ordre post-westphalien, est en résonance avec ce qui est devenu depuis un frisson plus explicitement maniaque pour la fabrication d’infrastructures consacrées à la répression des migrants12. Le carnaval que Trump génère autour de la construction du « grand, grand mur » le long de la frontière mexicaine est à cet égard exemplaire, mais avec la différence importante que, comme pour Seehofer déterminé à construire des centres de détention pour migrants, les barrières physiques censées sécuriser la nation sont mises en œuvre même au prix du démantèlement du gouvernement.

Bien qu’on en parle comme d’une mesure de sécurité pratique, les fortifications défensives contre les migrants sont sans effet sur la réalité, tout en étant simultanément faites pour être le signe du réel. Comme le dit Rob Nixon à propos des barrages géants construits pendant la guerre froide, on devrait peut-être plus les voir comme une « performance nationale13 ». En attirant l’attention sur l’extraordinaire appareil de sécurité qui entoure le camp de réfugiés de Calais, Debarati Sanyal a discerné comment le migrant « irrégulier » est coincé au carrefour impitoyable de la compassion humanitaire et de la répression sécuritaire14. Chiens, scanners à rayons X, sondes de dioxyde de carbone, caméras de surveillance, 29  kilomètres de clôture en fil de rasoir –  la disproportion absolue dans l’usage de la force rappelle l’affirmation de Walter Benjamin selon laquelle l’usage de la violence dans le respect de la loi coïncide avec une forme de représailles mythiques15.

Tant l’optique humanitaire que l’analyse critique de la militarisation des frontières dirigent le regard vers le domaine des scènes hypervisibles de défense sécuritaire et de blessures, vers les nouvelles technologies et les pratiques de répression militarisées. Ce qui risque alors de s’effacer du visible sont les opérations de pouvoir, à peine sensationnelles mais non moins dommageables, impliquées dans l’expression de l’accueil-limite (receptive limit) de l’État-nation. De même, les paradigmes théoriques le plus souvent invoqués pour rendre compte du pouvoir dirigé contre les migrants –  en tant qu’exercice de la souveraineté sur un territoire délimité, en tant que directive biopolitique d’endiguement et de négligence délibérée, en tant que politique d’hospitalité ratée  – mettent en lumière la question de l’exclusion et de l’inclusion volontaires (qui, et combien, en laisser entrer), et nous renvoient d’une certaine manière à une structure de décision, si ce n’est plus précisément à une distinction schmittienne entre ami et ennemi. Ce faisant, ces paradigmes éclipsent les origines de la frontière interne que de telles déterminations présupposent.

En d’autres termes, ce qui est en jeu en définitive n’est pas l’exercice du pouvoir souverain au sens classique –  l’acte de parole performatif qui consacre la décision de laisser vivre ou de faire mourir, ni le renversement biopolitique de la formule, appliquée à une population. Bien qu’indispensables, les récits de pouvoir orientés vers le spectacle d’un conflit armé ou d’une souffrance visible laissent intact ce qui se passe apparemment à côté de l’acte décisif et de ses renforcements défensifs, à savoir qu’il existe une base de référence, une connaissance préalable des limites propres, une capacité quantifiable et limitée de ce que l’on peut absorber en tant que corps politique.

Le mythe bio-culturel freudien d’autogestion de  la Vie

Comme je l’ai suggéré précédemment, Freud offre un point d’entrée fructueux pour une enquête sur cette même notion. Les recherches qu’il a menées pendant l’entre-deux-guerres sont particulièrement remarquables : elles sont orientées vers un compte rendu métapsychologique de la formation de l’appareil psychique et tentent simultanément de clarifier ce qui se passe lorsque les systèmes perceptifs et mnémoniques qui garantissent l’identité sont endommagés. Bien que mieux connu pour sa théorisation du choc en tant que norme de l’expérience, ses travaux du début des années 1920 apportent un autre éclairage sur la modernité occidentale en tant que condition dans laquelle la réceptivité (receptivity) n’est plus, comme le suggère Kant dans la Critique de la raison pure, un simple élément parmi un ensemble de facultés cognitives complémentaires.

Telle qu’elle apparaît dans l’esthétique occidentale et avec un accent utopique dans l’imaginaire culturel du romantisme, la réceptivité n’est pas non plus quelque chose à cultiver en tant que ressource du moi. Freud marque plutôt un moment historique où la réceptivité est avant tout un problème à gérer : non pas l’expression d’une essence sous-jacente et positive, mais l’organisation d’une capacité donnée à absorber ce qui vient de l’extérieur, constituant ainsi l’identité psychique de l’individu –  une identité, notamment dans la théorie politique, s’articulant souvent conjointement avec celle de l’État-nation. Il n’y a pas, pour ainsi dire, de site propre du propre –  pas de lieu tel  – qui ne soit l’œuvre d’une régulation.

Dans Au-delà du principe de plaisir (1920), Freud met en scène ce qui arrive à un organisme solitaire en état de crise, un état d’exception si l’on peut dire, dans lequel la norme régissant l’évitement de la douleur et la recherche de la satisfaction est suspendue et déplacée par le problème de savoir comment faire face à un moment d’internalisation soudain et involontaire. En lisant Freud avec et à partir de notre présent historique, on pourrait entendre tout au long de ce passage des résonances avec le cadrage hégémonique de la « crise des réfugiés » comme une affliction inattendue de l’Europe, en appelant à une orientation générale relative à la gestion nécessaire de cette « crise » : où et comment lier cette force extérieure pas vraiment identifiable, aux points de contrôle ou aux centres d’accueil ; à quels moments et à quels endroits fermer les chemins de fer ou resserrer le contrôle des passages à niveau ; quand réorienter les routes migratoires ou laisser les périls de la nature agir comme moyens de dissuasion apparemment apolitiques ; comment, dit plus brutalement, empêcher d’entrer (avec un arsenal de chars, de canons, de gaz lacrymogènes, de matraques, de fils de fer, de fusils, ou avec des tactiques d’intimidation par des milices) ; comment calculer les moyens de répartir la « masse » de manière égale, dans la mathesis constante d’un système de quotas ; enfin, quand détenir et disposer de certains individus ou, alternativement, permettre à ceux qui ont déjà fait leur entrée d’occuper une place pendant un court moment.

Souligner la ressemblance entre les topoï de la psychanalyse classique et les structures de représentation qui confèrent une lisibilité aux migrations mondiales contemporaines –  la ressemblance la plus prononcée étant peut-être la figuration des forces extérieures qui menacent de vaincre le moi comme issu de l’inconnu océanique  – n’est pas poser une analogie transparente entre l’individu et la nation. L’intention n’est pas non plus de traduire un problème géopolitiquement spécifique en un schéma psychanalytique simplifié, expurgé de sa spécificité historique. Au contraire, ce que cette lecture comparative révèle est que des expériences hétérogènes de déplacement peuvent apparaître de façon singulière, si ce n’est molonithiques, comme crises, non seulement en mettant en avant l’Europe comme protagoniste fictivement unifié et engagé dans une épreuve de survie, mais aussi en inscrivant de façon répétée les événements dans un cadre d’effraction de type traumatique. Le travail de compréhension et de démantèlement de la forteresse de l’eurocentrisme restera incomplet si l’on ne désactive pas les différents répertoires d’images utilisée pour fantasmer le corps politique en tant que conscience submergée –  une vulnérabilité projetée qui à son tour peut être utilisée pour justifier des modèles violents de défense et de maîtrise de l’étranger en son sein.

Il y a, tout simplement, quelque chose qui a du sens dans cette histoire de fortification en développement –  ou peut-être plus exactement, qui a du sens dans la mesure où le récit génère un ordre de causalité dans lequel la réceptivité et la protection sont dialectiquement configurées dans une trajectoire plus large d’auto-préservation. Les éléments de cette rationalité sont expliqués ci-dessous, accompagnés des échos de leurs manifestations dans les espaces contemporains de la migration mondiale :

1) Le récit de la Vie commence avec l’individu monadique –  le soi, identique et délimité  – confronté aux forces indifférenciées, destructrices de la vie, qui émanent d’une extériorité minimalement définie.

La perspective se concentre sur une entité unifiée   appelée « Europe », « Hongrie » ou « Amérique »  dont la cohésion est à la fois présupposée et montrée comme étant mise en danger par l’« afflux » du dehors. Le protagoniste de cette crise s’inscrit dans le contexte plus large d’interdépendance (économique) et de sa propre histoire. Au commencement, la définition territoriale entre intérieur et extérieur a déjà été suffisamment établie pour être appréhendée comme subissant une perturbation.

2) Ce qui permet, définit et soutient la Vie est l’organisation d’une réceptivité potentiellement illimitée –  sur le plan spatial, de sorte que l’absorption ne se produit que dans certaines zones, et sur le plan économique, de sorte que l’intérieur privilégié reste infiniment capable de supporter l’inscription de nouveaux phénomènes, alors qu’aux frontières, la réception est soumise à un principe de limitation économique sévère.

À la frontière hongroise, sauf à interdire totalement l’entrée des réfugiés, les autorités n’autorisent qu’un ou deux migrants par jour à entrer dans le centre d’accueil. La police des frontières et les infrastructures répressives   murs, centres de détention (gérés par des entreprises privées), points de contrôle militarisés  cherchent à se satisfaire de la limitation topographique de l’admission des étrangers. Les demandeurs d’asile n’« arrivent » en Europe que lorsqu’ils se présentent dans des « centres d’accueil » désignés. Et si, comme cela s’est récemment produit, les fonctionnaires refusent d’enregistrer leur présence parce qu’ils sont personnellement jugés indésirables, ils restent suspendus dans un état précaire de non-arrivée, dans lequel ils ne peuvent ni devenir citoyens, ni se voir refuser légalement le statut de demandeur d’asile.

3) Le maintien de la Vie exige une désensibilisation et un amortissement –  ou, comme le dit Freud, un devenir « inorganique » de la majeure partie de la forme de vie extérieure. L’opposition entre mort et vie est ainsi reconfigurée comme une structure interne de la Vie. Être vivant est alors ne plus simplement repousser la mort, mais l’avoir stratégiquement incorporée –  avoir soumis la vie à un principe de sacrifice, précisément pour conserver la Vie. En somme, la Vie doit avoir la vie à sa disposition. La partie de la Vie qui a été transformée en une « enveloppe », ou un « bouclier », est destinée à protéger la vitalité de l’ensemble, mais fait également appel aux ressources énergétiques de la forme de vie délimitée.

Pour prendre un exemple représentatif, les centres ANKER que Seehofer a construits en Bavière sont l’incarnation infrastructurelle de l’armature, la « membrane » dont l’amortissement et la résistance cultivée au contact des forces extérieures servent ostensiblement à sauvegarder l’intégrité de l’État. Dotés d’une architecture armée et conçus sans but d’approvisionnement de la vie (sociale), de tels environnements stériles sont isolés du tissu vivant de l’intérieur de la politique, même s’ils peuvent être spatialement contigus à ce tissu. Privés de l’accès aux ressources de base pour la subsistance, les camps informels deviennent des espaces de déréliction. Dans de nombreux cas, les agents employés dans les centres de rétention réduisent activement la vie des migrants en les privant de nourriture ou en les mettant à l’isolement.

4) La survie implique une instrumentalisation de la réceptivité afin de permettre un échantillonnage à dose homéopathique du monde extérieur. Une capacité autrefois illimitée et non téléologique est installée avec profit à la frontière comme un appareil de reconnaissance. Initialement distribuée dans tout le corps et définie au sens large comme étant essentielle à la Vie, la réceptivité est optimisée près de la frontière pour être discriminante –  pour ne prendre en compte que certains types de stimulation et pour « ne traiter que de très petites quantités ». Ce qui est autre pour la forme de vie ne sera ensuite prélevé que sous forme d’« échantillon » –  un spécimen qui est prédéterminé, non pas au niveau d’une volonté mais par la structure interne elle-même, pour être gérable  – c’est-à-dire ni excessif ni accablant.

Aussi idiosyncrasique que cela puisse paraître, l’insistance de Trump pour que la barrière au Mexique comporte de petites ouvertures –  « parce qu’il faut voir ce qu’il y a de l’autre côté du mur »  révèle une caractéristique essentielle d’un imaginaire politique plus large, dans lequel la fortification, dans sa forme idéale, n’est pas absolue mais dotée d’un appareil spécialisé pour accueillir stratégiquement ce qui est étranger en tant que savoir instrumental16. Aidé par des agences transnationales comme Frontex, l’« accueil » des réfugiés désigne par euphémisme un processus restrictif d’inscription qui convertit le corps du migrant en données. Tous les demandeurs d’asile âgés de plus de six ans doivent faire enregistrer leurs empreintes digitales dans la base de données européenne de dactyloscopie (Eurodac), une base de données centralisée qui a été créée en 2003 pour surveiller et faciliter l’expulsion des passeurs de frontières « irréguliers ». L’appareil techno-scientifique d’accueil   avions, caméras de surveillance, détecteurs de mouvement, imagerie infrarouge, biométrie  transforme le migrant en un spécimen d’information (visuelle) gérable, un objet de connaissance gouvernementale, qui, à son tour, peut être utilisé pour réguler les corps racisés sous l’égide du maintien de la vie intérieure à la forme de vie gouvernementale.

Tous ces éléments sont en place avant tout récit relatif à la brèche traumatique. Cette mise en scène est établie avant tout événement, tout épisode de conflit. En d’autres termes, l’histoire que Freud raconte est celle d’une condition originelle qui se situe dans un ordre temporel restant séparé de toute narration quant aux incidents futurs possibles. Cette séquence formatrice est préhistorique, ou plutôt se marque comme la condition de possibilité d’un déroulement historique et d’une expérience subjective.

Peut-être encore plus puissant aujourd’hui que la supposition hobbesienne d’un état de violence mythique que la société civile dépasse, le fantasme d’une autogestion nécessaire informe puissamment l’imaginaire occidental, aussi hétérogène soit-il. Ce mythe se perpétue dans la culture populaire –  peut-être de façon plus visible dans l’affirmation défensive et désinvolte de l’horizon thérapeutique consistant à « fixer des limites saines »  – ainsi que dans certaines expressions de la préférence de la subjectivité libérale blanche pour la prise en compte de petites quantités d’altérité qui ont déjà été validées comme n’étant pas « de trop ».

Le mythe bio-culturel que Freud a délimité survit de façon plus létale en tant que noyau inexprimé des formations contemporaines du populisme de droite. Il est exploité chaque fois que la « capacité limite » (receptive limit) d’une communauté imaginée est évoquée de façon défensive. Tout comme la violence, la xénophobie trouve une gamme d’expressions qui se limitent non sans peine au physique manifeste et comprend des actes qui opèrent au niveau épistémologique. Une critique de la xénophobie ne peut donc pas se limiter à des épisodes ponctuels de conflit –  l’affrontement qui survient autour du mur militarisé, les gaz lacrymogènes dans la jungle, une situation bloquée en pleine mer. La décision de type schmittien consistant à savoir qui et combien admettre, combien de ressources économiques et psychiques sont à détourner vers les zones où une frontière a été franchie, avec quelle sévérité s’en prendre aux éléments étrangers qui sont finalement passés –  tous ces débats politiques restent les expressions épiphénoménales d’une présomption fondamentale selon laquelle la survie ne s’obtient qu’en étouffant stratégiquement sa propre affectabilité. L’intransigeance du paradigme psycho-conceptuel de l’Europe submergée ne peut être dissoute sans désinvestir la notion dominante de la Vie qui soutient cette réceptivité non régulée, ou sans une brèche dans l’infrastructure qui la gère, entraînant non pas une transformation du vivant mais une mort certaine.

Si la formation psychique de l’individu ou de la nation est supposée inséparable de la régulation efficace et profitable de sa propre capacité à recevoir la non-identité, alors la perturbation de cette organisation sera surcodée de façon hystérique comme oblitération : la fin de la forteresse Europe restera idéologiquement confondue avec la fin de l’Europe, et le migrant qui s’approche de la frontière sera, à l’avance, marqué comme l’ennemi à éliminer ou catalogué comme spécimen d’incorporation sélective. On trouve peut-être quelque espoir dans la décréation de tels mythes mortels.

Traduit de l’anglais par Frédéric Neyrat

1 Cet article est la version abrégée de l’article d’abord paru sous le titre : « The Myth of What We Can Take In: Global Migration and the “Receptive Capacity” of the Nation-State », in Theory & Event, Vol. 22, no 4, octobre 2019, p.  869  890.

2 Horst Seehofer, « Der Masterplan Migration », Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat, consulté le 30 septembre 2018, www.bmi.bund. de/SharedDocs/topthemen/DE/topthema-masterplan-migration/topthe- ma-masterplan-migration.html?nn=9391320, 2.

3 Karl Schneider, Eva Irrgang, Thomas Gemke, et. al, Letter to Angela Merkel, October 9, 2015, « Möglichkeiten sind begrenzt », Sauerland Kurier, 24 octobre 2015,
www.sauerlandkurier.de/hochsauerlandkreis/meschede/
aufgrund-fluechtlingszustroms-haben-landraete-einen-brand-brief-kanzlerin-merkel-g-5681211.html.

4 Sigmund Freud, « A Note Upon the “Mystic Writing-Pad” », The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, XIX (1923–1925), trad. Lytton Strachey, Londres, Hogarth Press, 1961, p.  225.

5 Mae M. Ngai, Impossible Subjects: Illegal Aliens and the Making of Modern America, Princeton, Princeton University Press, 2004), p.  7.

6 Voir par exemple William Thomson and L. Levy, Gesammelte Abhandlungen zur Lehre von der Elektrizität und dem Magnetismus, Berlin, Springer, 1890.

7 Voir Nathan F. Sayre, « The Genesis, History, and Limits of Carrying Capacity », Annals of the Association of American Geographers 98, no 1, 2018, p.  120-134.

8 Alfred Katz & Claus Köhler, Geldwirtschaft: Geldversorgung und Kreditpolitik, Berlin, Duncker & Humblot, 1970, p.  150.

9 Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Seuil, 2004.

10 Harvey Gavin, « “We Will Decide Who Enters Our Countries!” Hungary and Poland Reject Refugee Quotas », Express.co.uk, 15 mai 2018, www.express.co.uk/pictures/pics/13817/Migrants-Italy-MOAS-Phoenix-vessel-Crotone-Lampedusa-pictures.

11 Prem Kumar Rajaman, « Humanitarianism and Representations of the Refugee », Journal of Refugee Studies 15, no 3, 2002, p.  247-264.

12 Wendy Brown, Walled States, Waning Sovereignty, New York, Zone Books, 2017.

13 Rob Nixon, Slow Violence and the Environmentalism of the Poor, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2013, p.  156.

14 Debarati Sanyal, « Calais’s “Jungle” », Representations 139, no 1, 1er août 2017, p.  1.

15 Walter Benjamin, « Critique de la violence » (1921) in Critique de la violence et autres essais, Paris, Payot, 2012, p.  55 sq.

16 Rudolf Kjellén, Grundriß zu einem System der Politik (Leipzig: S. Hirzel Verlag, 1920), 35, cité dans Thomas Lemke, Biopolitics: An Advanced Introduction (New York: New York University Press, 2011), 9.