Majeure 46. Une gauche économique crédible ?

Pour une taxe sur tous les mouvements de fonds

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René Montgranier est le pseudonyme de René Tourenq, né en 1912, mort en 2005[1]. Son fils nous le décrit ainsi : « Né en 1912 de parents modestes qu’il vénérait (…), licencié ès lettres, diplômé des études supérieures classiques, il était professeur de français, latin, grec lorsque la guerre a éclaté. Lieutenant au 6ème Sénégalais, 6 blessures en mai 1940, Légion d’honneur, Croix de guerre, deux citations. Pendant l’Occupation il est devenu directeur des services sociaux – on dirait DRH de nos jours – d’un groupe d’usines de la région parisienne (20.000 personnes avec les familles). À ce poste, il a réussi à éviter le STO à de nombreux hommes, protéger de nombreux Juifs, faire passer la ligne de démarcation à de nombreuses personnes, transmettre des informations logistiques importantes aux Alliés. De 1945 à 1953, il fut Secrétaire général d’une société d’exploitations agricoles en Algérie. De 1953 à 1960, directeur commercial d’exploitations forestières en Côte d’Ivoire. De 1960 à 1978, directeur commercial pour l’Afrique et le Moyen-Orient d’un très puissant groupe français, Fives-Lilles-Cail-Babcok, administrateur de ses filiales en Côte d’Ivoire et au Maroc, et administrateur de la société franco-allemande, Fives-Lills-Krupp. Enfin de 1976 à 1980, il fut administrateur de la Chambre de commerce franco-arabe.

Humaniste, connaissant en profondeur le continent africain dans son ensemble ainsi que le Moyen-Orient, il a toute sa vie refusé le moindre honneur, la moindre compromission – jusqu’à refuser en public de serrer la main d’un ministre français très puissant. Il a dédié les 25 dernières années de sa vie à étudier la fiscalité française et à tenter de faire comprendre et adopter une sorte de révolution fiscale qu’il a appelée la Taxe sur les Mouvements de Fonds, TAMF – « l’œuf de Colomb », disait-il – impôt léger et juste, très peu couteux, adapté aux techniques modernes et permettant à court terme de diminuer de façon radicale, voire de supprimer la plupart des multiples taxes et impôts existants.

La liste des hommes politiques de droite comme de gauche avec lesquels il a pris contact est impressionnante. Plusieurs lui ont assuré que son idée était excellente ; aucun n’a donné suite. »

Réné Montgranier a écrit sur Gracchus Baboeuf (dans les années 1960), il a publié Vaincre la crise en 1980 (Éd. Brochat) ; de 1980 à 1988, il a dirigé à titre bénévole le périodique Le contribuable français. Critique tant de l’étatisme et du socialisme que des équivoques du néo-libéralisme qu’il dénonce de plus en plus à partir de 1985, sa dénonciation de la gabegie a parfois des accents virulents classiques dans le libéralisme. Mais il était non moins virulent pour dénoncer ce dernier : « détourné des problèmes sociaux par l’apologie de l’égoïsme qui justifie la loi du plus fort, le libéralisme économique a été déshonoré par les propos odieux de ses thuriféraires ». Un passage résume sa proposition : « il n’est pas convaincant de combattre la bureaucratie collectiviste par un système économique asocial, un archaïsme par un autre, une utopie par une autre, lorsqu’elles ont subi toutes deux l’épreuve de l’histoire. On n’a de chances de convaincre qu’en trouvant des solutions et des formules adaptées au concret qui aujourd’hui impose impérativement le respect de l’unité des deux notions complémentaires, celle de la liberté dans la solidarité[2] ».

Sur bien des points René Tourenq prolonge le solidarisme contractuel d’un Léon Bourgeois. Mais sa grande idée fiscale d’une taxe sur tous les mouvements de fonds (en particulier tels qu’ils sont saisis par les compensations interbancaires) dépasse nettement l’intérêt du solidarisme français. Elle a une portée européenne et pourrait bien permettre de repenser dans ses fondements toute fiscalité, de combattre efficacement l’arrogance insolente de la finance de marché, de la contrôler tout en lui faisant jouer un rôle direct dans la collecte de l’impôt et surtout de permettre le financement du revenu d’existence.

L’extrait qui suit est tiré de René Montgranier, La Clé de la crise, Éditions économiques financières et sociales, 1985, p. 108-120. (YMB)