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Un « Non » aux saveurs d’un « Oui » en Nouvelle-Calédonie

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« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine-souveraineté et devienne indépendante ? ». Si le « Oui » était donné grand perdant à la veille de la consultation1 du 4 novembre 2018 par divers instituts de sondages et personnels politiques non-indépendantistes, les urnes remirent les pendules à l’heure le soir même du dépouillement. Par un score de 43,3 %2 le « Oui » sonnait comme une victoire et le camp du « Non » découvrait alors avec amertume son score pourtant victorieux de 56,7 % des suffrages exprimés.

Deux ans plus tard, et comme il l’est prévu par l’accord de Nouméa signé en 1998, une deuxième consultation s’organise suite à une demande faite par un tiers du Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 7 juin par le groupe « Avenir en Confiance » et le 13 juin par les groupes Union Nationale pour l’Indépendance (UNI), UC-FLNKS et Nationalistes. Le soir du 4 octobre 2020 le « Oui » gagne encore du terrain et l’écart se resserre. Il obtient un total de 46,8 % des suffrages exprimés contre 53,2 % en faveur du « Non ». L’écart entre les deux tendances n’est désormais plus que de 9 979 voix. Contrairement à 2018, les partis habilités à faire campagne ont préféré garder la confidentialité de leurs sondages. Le seul sondage rendu public avant cette seconde consultation prévoyait un taux de 57 % d’électeurs souhaitant rester au sein de la République française, de 20 % souhaitant devenir indépendant, de 16 % d’enquêtés se déclarant indécis et de 7 % ne souhaitant pas répondre à l’enquête.

Des visions multiples de la Kanaky et/ou Nouvelle-Calédonie future

L’électeur inscrit sur la liste électorale spéciale pour la consultation (LESC) avait au final un panel de six possibilités s’offrant à lui le dimanche 4 octobre 2020. Il pouvait premièrement s’abstenir et ce, soit délibérément, soit par le fait d’une mal-inscription. Le réservoir d’abstentionnistes d’un scrutin à l’autre a diminué passant de 33 066 (19 %) à 25 881 (14,31 %). Ces abstentionnistes représentent un potentiel électoral relatif et ce réservoir devrait constituer l’enjeu majeur des prochains mois. L’électeur peut également voter blanc par choix personnel. Les bulletins blancs étaient au nombre de 855 (0,55 %) ce qui en fait un courant marginal. Il pouvait voter nul par méconnaissance du cadre général du scrutin ou par choix politique. L’on retrouvait par exemple au moment du dépouillement dans les bureaux de vote les bulletins « Oui » et « Non » dans la même enveloppe. Enfin, le dernier choix, qui sera de loin le plus retenu était bien évidemment, compte tenu de l’envergure d’un tel scrutin, de rejoindre la catégorie des suffrages exprimés. Ainsi ce sont 153 036 électeurs sur les 180 799 inscrits soit un total de 98,79 % des votants qui ont répondu « Oui » ou « Non » à la question posée le dimanche 4 octobre 2020.

Au cours de la longue campagne introduisant cette consultation le camp du « Non » s’est lui-même scindé en deux. Une alliance dite « Les loyalistes » composée de la grande majorité des partis politiques et associations non-indépendantistes s’est constituée en juillet 2020. Estimant ne pas avoir suffisamment attiré les électeurs à voter « Non » en 2018, « Les Loyalistes » calquent leur stratégie en 2020 sur celle menée par le « Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste » (FLNKS) lors de la première campagne. Ainsi, ils s’attèlent à présenter à la population calédonienne un projet de société qui serait issu d’une consultation publique, à se coordonner en sections réparties sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie pour aller convaincre la population, et à organiser des manifestations du drapeau tricolore dans la capitale. Leur slogan de campagne s’orchestre autour d’une boutade : « Mon NON est Nouvelle-Calédonie ». Calédonie Ensemble, parti majoritaire avant les élections provinciales de 2019 qui ont complétement rebattues les cartes de l’échiquier politique calédonien, a quant à lui fait campagne pour un « Non » plus modéré que « Les Loyalistes ». Partant du principe qu’il est divisible, Calédonie Ensemble joue en effet sur une déclinaison du terme de souveraineté pour prôner des souverainetés pouvant être alimentaire ou énergétique sans pour autant être politique. Il se dit prêt à discuter des noms donnés au territoire mais reste intangible sur sa volonté de ne jamais permettre à la Nouvelle Calédonie d’accéder à la pleine souveraineté.

Du côté du « Oui », deux tendances aussi ont battu campagne. Le FLNKS a continué sa stratégie initiée en 2018. Il a poursuivi son travail sur son projet de société dans une « Kanaky-Nouvelle Calédonie souveraine ». Il a également conservé sa méthode organisationnelle dite des CNC (Comités Nationalistes et Citoyens), laissant ainsi la responsabilité à chaque commune de s’organiser avec les forces vives sur place pour battre campagne. Le Mouvement Nationaliste pour la Souveraineté de Kanaky (MNSK) a lui aussi battu campagne après sa création officielle lors de son Congrès Constitutif du 19 septembre 2020. Sa volonté est de se positionner aux côtés du FLNKS en espérant obtenir une place à la table des négociations le jour de la convocation d’une potentielle Assemblée Constituante. Le fait qu’il n’ait pas à assumer le bilan politique des trente dernières années en Nouvelle Calédonie le distingue du FLNKS. Il n’en fait d’ailleurs pas partie. Le MNSK milite pour une appellation du pays « Kanaky » contrairement au FLNKS qui œuvre pour la contraction « Kanaky-Nouvelle Calédonie ». Il faut noter qu’au cours de ce scrutin, le Parti Travailliste a épaulé la campagne pour le « Oui », changeant ainsi de position par rapport à sa décision de ne pas participer au scrutin en 2018. Cette année encore, Dynamique Autochtone, un parti politique émanant d’un changement d’appellation du parti Libération Kanak Socialiste (LKS) a créé la surprise en appelant ses militants à voter non pour ce scrutin. Ce revirement s’explique en partie par une opposition idéologique au projet de société porté par le FLNKS. Cette consigne de vote a eu surtout de l’impact sur l’île de Maré.

Aucune organisation n’a appelé à voter blanc. Le tout nouveau parti de l’Eveil Océanien a laissé le choix à ses électeurs de leur orientation. Sa position est motivée par le fait que le parti est jeune, qu’il n’a pas à assumer le bilan de l’accord de Nouméa et que ses militants sont composés à la fois d’indépendantistes et de non-indépendantistes.

Quant à l’État, bien qu’il soit supposé neutre et impartial dans ce processus de décolonisation, il a donné quelques indices quant à ses intérêts propres dans la région. Dans son discours du 5 mai 2018, Emmanuel Macron, président de la République laissait sous-entendre au Théâtre de l’Île à Nouméa, son intérêt de voir la Nouvelle-Calédonie intégrer un axe indopacifique se profilant, et exprimait sa volonté d’encourager la recherche locale, le développement de l’économie bleue, ou encore la lutte contre le réchauffement climatique.

La symbolique d’un pavoisement exalté des étendards

L’un des éléments d’une certaine montée des tensions dans cette campagne peut tenir à une intervention de l’État dans des dispositions techniques visant à régir la campagne et l’utilisation des drapeaux par les différents groupes. En effet, à travers une convocation des élus au Congrès, il s’est à la fois prononcé en faveur de l’introduction des couleurs bleu-blanc-rouge accolées dans la campagne ainsi que sur le changement de date concernant la tenue de la consultation qui avait pourtant été arrêtée au 6 septembre 2020 lors du XIXe comité des signataires réuni à Paris le 10 octobre 2019. Ce report de l’échéance étant dû à la pandémie du Covid 19 qui a confiné l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie de mi-mars à mi-avril 2020. L’utilisation des couleurs républicaines dans la campagne a engendré des débats houleux au Congrès de la Nouvelle-Calédonie ce qui a contribué à faire monter le discours politique d’un ton. Louis José Barbançon3 déclarait à deux jours du référendum que c’était comme jouer un match de football où une équipe arborerait le drapeau de Kanaky, et où l’autre jouerait avec le même drapeau tricolore que l’arbitre de la rencontre. Ce qui pouvait être considéré comme un détail juridique et donc technique ne pouvait à ce stade que devenir un enjeu politique. Ainsi, à l’instar de la campagne de 2018, où l’on pouvait observer des drapeaux de Kanaky-Nouvelle Calédonie accrochés sur le bord des routes, cette fois-ci, la cocarde tricolore se montrait au grand jour, particulièrement le long des routes de la côte Ouest. Le drapeau de Kanaky-Nouvelle Calédonie encore vu comme l’étendard de la violence et des « Événements » il y a peine dix ans, a fait, lors des derniers jours de la campagne, la fierté de toute une jeunesse et de tout un peuple. On pouvait en effet observer ce drapeau partout sur la capitale le jour du scrutin, ainsi que sur des centaines de voitures, arboré par des jeunes et des moins jeunes dans les ronds-points, les ponts et les collines, afin que chacun n’ait d’autres choix que de le voir flotter. Cette manifestation des drapeaux a été perçue comme un affront par « Les Loyalistes » le soir même du dépouillement. Aucune mention n’a pourtant été faite sur les dégradations opérées sur les murs de la mairie de Ouégoa dans l’extrême nord de la Grande Terre, tagués à la bombe en bleu-blanc-rouge avec l’inscription « Votez NON ». De leurs côtés, leurs militants, s’obligeant quasiment à un devoir de réserve en dehors même des bureaux de vote n’arborèrent que très peu le drapeau tricolore dans les rues de Nouméa ou ailleurs sur l’archipel.

Ainsi, peut-être inconsciemment, en introduisant le sujet on le sait ô combien épineux, puisque relevant d’un attachement affectif, de l’usage des drapeaux dans la campagne, l’État a indirectement donné naissance à une véritable surenchère d’affichage des étendards. D’une part les indépendantistes par la voix de Paul Néaoutyine sentaient par exemple que quelque chose allait se passer en parlant de la surexposition des drapeaux : « Quand je vois le monde qu’il y a là aujourd’hui, on a jamais vu ce type de public depuis qu’on fait de la politique, y compris à la première consultation […] certains pourraient être surpris du résultat4 ». Il était à ce moment interviewé en descendant de la scène du meeting final se tenant au lieu-dit « Ko Wé Kara » à Nouméa. D’autre part l’on pouvait entendre La Marseillaise en fin de meeting scandée par la section Wallisienne et Futunienne des « Loyalistes » dans l’une des dernières réunions publiques de leur campagne se tenant au dock socioculturel de la commune de Païta. Calédonie Ensemble quant à eux ont été très discrets quant à l’utilisation des drapeaux. Mis à part un timide drapeau tricolore apparaissant sur leurs affiches de campagne, à l’image d’une société multiculturelle prônée par le parti, des couleurs plus neutres et multiples arboraient leur slogan prenant lui aussi les allures d’une boutade autour d’un : « Écris ton Non ! ».

Les implications de la nette progression du « Oui »

Les résultats sont rendus officiels dès le lendemain du scrutin à 9h et sont proclamés par Francis Lamy, président de la commission de contrôle de cette consultation. Ils montrent une évidente progression du « Oui ». Il faut également croiser cette analyse avec une augmentation beaucoup plus timide du « Non » en Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs, le « Non » perd du terrain sur un nombre important de communes. Sur la Côte Est, où il perd des voix dans la totalité des communes, son réservoir de votants diminue de 862 voix. Sur la côte Est également et à titre d’exemple, le « Oui » augmente de 2 056 voix. Le « Oui », quant à lui, gagne des voix dans la totalité des communes de la Nouvelle Calédonie. Une commune comme Poindimié par exemple gagne 300 voix pour le « Oui » et perd 75 voix en faveur du « Non ». Ce phénomène n’est pas anodin. Chaque tendance y va de son interprétation. Pour Calédonie Ensemble ce recul du « Non » serait dû à une radicalisation du discours fait par « Les Loyalistes » tendant à faire basculer l’aile modérée de leur électorat. Pour ces derniers, ce recul n’est dû qu’au fait que les indépendantistes sont allés chercher les voix des abstentionnistes. Et côté indépendantiste, l’on se gargarise d’être allé convaincre chez les communautés exogènes au peuple Kanak. Ainsi sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, avec un total de 6 634 nouveaux inscrits, le « Oui » obtient un total de 11 334 nouvelles voix et le « Non » en obtient quant à lui 2 701. Sur les 33 066 abstentionnistes du premier scrutin, 7 185 électeurs ont été entre-temps convaincus d’aller voter au second. Des sondages devraient être réalisés prochainement pour déterminer si des comportements électoraux ont basculé du « Oui » au « Non », et pour démontrer ou infirmer des évolutions du comportement électoral en fonction de critères ethniques5.

Il est indéniable que les lignes bougent et que le fauteuil du « Oui » s’élargit. En effet avec un écart de presque quatre points, tout devient désormais possible et envisageable. L’espoir pour le camp du « Oui » de continuer cette percée laisse présager un retour au fameux paradis perdu de souveraineté. Du côté du « Non » le soir même du dépouillement, la tendance générale est au dialogue. Il convient désormais, comme il est d’usage en Nouvelle-Calédonie, de « se réunir autour de la table des discussions » pour envisager la suite.

Pour « Les Loyalistes » il convient de discuter avec les indépendantistes d’un aménagement possible entre ce qu’ils considèrent comme un « vote de raison » face à un « vote identitaire ». Il faut noter qu’un vote de raison consisterait pour cette tendance politique à laisser les compétences régaliennes de la Nouvelle-Calédonie aux mains et au portefeuille de l’État. Un « vote identitaire » correspondrait à un vote viscéral, relevant du pathos dans l’idylle de retrouver le pays des ancêtres. Cette dichotomie, discours d’un vainqueur délégitimant toute forme de choix rationnel à l’adversaire dans un vote émanant de l’expression de près de cinquante années de lutte politique, révèle un caractère paternaliste, si ce n’est colonial. Dans ce vote rationnel « Les Loyalistes » n’échappent pas non plus à un discours victimaire consistant à plaidoyer pour exposer des dérogations dont les indépendantistes bénéficient : gel du corps électoral6, inscription d’office des natifs de droit coutumier uniquement,… Gil Brial, directeur de la campagne de la coalition « Les Loyalistes » déclare le soir du dépouillement la métaphore suivante : « Je compare toujours cette élection à un 110 mètres haies entre indépendantistes et non-indépendantistes […]. Ils ont 80 mètres sans haies, nous on a 110 mètres avec les haies et un boulet. Et malgré ça on gagne !7 ». Calédonie Ensemble dès le lendemain du scrutin comprend que se produit une division possible de la société calédonienne en deux blocs pesant pratiquement le même poids électoral. Le parti appelle alors à une discussion commune pour parvenir à un « Oui collectif8 », c’est-à-dire, un « Oui » alliant « souveraineté et République ». Les indépendantistes notamment à travers la voix du porte-parole du Palika, Charles Washetine avancent que « La progression du «Oui» traduira une chose, c’est que l’idée de l’émancipation du pays, l’accession du pays à la pleine-souveraineté est bien réelle ». L’idée est confirmée quelques jours plus tard par la voix de Victor Tutugoro, exprimant en conférence de presse pour le compte du bureau politique du FLNKS que « le oui a le vent en poupe. C’est une grande victoire qui indique la direction que doit prendre le pays, celle donnée par l’accord de Nouméa et le sens de l’histoire9 ». C’est une certitude, les indépendantistes, fidèles à une posture prise dès le départ de l’accord de Nouméa réunis autour d’un adage calédonien prônant « l’accord rien que l’accord » iront aisément chercher la troisième consultation. Un tiers des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie (18 sièges sur 54) permet d’en faire la demande à l’État, majorité pouvant éventuellement être atteinte entre les groupes « UC-FLNKS, Nationaliste et Éveil Océanien » et « Union-Nationale pour l’Indépendance » (28 sièges sur 54).

Il semblerait donc que les chemins du dialogue soient rocailleux, du moins sur la proposition d’un nouvel accord. Des discussions étaient pourtant engagées précédemment, à l’initiative de l’État, lorsque les « Loyalistes », par l’intermédiaire du Rassemblement-Les Républicains et Les Républicains Calédoniens ont laissé la responsabilité aux seuls indépendantistes et Calédonie ensemble de discuter de la charte des valeurs calédoniennes en quittant la table des négociations en juin 201810. Maintenant que les résultats du scrutin leur sont favorables, il est aisé d’en déduire qu’ils seront confortés dans leur volonté d’aller au bout du processus voulu par l’Accord de Nouméa. Le FLNKS l’a d’ailleurs affirmé quatre jours après le scrutin en conférence de presse. Les deux partenaires que sont « Les Loyalistes » et Calédonie Ensemble voulant discuter et définir les contours de cette troisième consultation risquent de ne pas obtenir de satisfaction à leur requête. La seule issue qui paraît plausible pour eux à l’état actuel serait de parvenir à un éventuel troisième « Non » majoritaire lors de cette troisième consultation. L’accord de Nouméa prévoit en effet, et c’est une garantie constitutionnelle, une réunion des partenaires « pour examiner la situation ainsi créée11 ». Auquel cas ils devront se résigner à discuter dans le cadre de la convocation de l’Assemblée Constituante en cas d’un hypothétique « Oui » majoritaire à cette troisième consultation.

L’État : garant du processus de décolonisation ?

Il semble que l’État ait constamment argué de sa position d’arbitre dans les accords de Nouméa pour laisser aux Calédoniens les voies et les moyens de leur émancipation. Pour autant, en l’état actuel du processus politique, une discussion entre les différents partenaires paraît compromise voire quasi impossible. Il ne faut pas négliger l’impact d’une campagne d’une telle ampleur, du sens des discours et du poids des mots. Cette discussion pourrait arriver si et seulement si l’État apporte enfin une réponse aux uns et aux autres pour indiquer ses intentions pour la Nouvelle-Calédonie de demain. Tous les partenaires sur place semblent pour autant s’entendre autour d’un élément : savoir quelles seraient les implications réelles de l’État en cas d’un « Oui » ou d’un « Non ». Il s’agissait pourtant des requêtes qui lui avaient été formulées pour la première et la seconde consultation, formalisées dans le document officiel « Les implications de la consultation du 4 octobre 2020 ». Dans un équilibre à 47-53, ou même en cas de basculement sur le « Oui », l’État devra présenter aux Calédoniens son projet d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie sous peine de voir une campagne pour une éventuelle troisième consultation se ternir.

Le soir même, après l’annonce par les médias des résultats définitifs, l’État, par l’intermédiaire d’Emmanuel Macron sortait de son silence : « Ce n’est qu’ensemble que nous construirons la Nouvelle-Calédonie de demain […]. Embrasser l’ensemble de ce qui permet de bâtir un nouveau projet sera au cœur des initiatives que prendra le gouvernement dans les prochains jours. […] Le moment est en effet venu de répondre et d’appréhender les conséquences concrètes de tous les scénarios et l’État sans se départir de son impartialité garantie par les accords de Matignon s’engagera dans cette voie. Il faudra que les forces politiques calédoniennes s’engagent, que les partisans du oui acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences du non et que les partisans du non acceptent d’envisager l’hypothèse et les conséquences d’un « Oui », nous aurons besoin de l’ensemble des formations politiques nationales qui dans le cadre du débat démocratique auront à dessiner leur vision de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Je les y invite ». Dans la foulée, le ministre des Outre-Mer, annonçait sa venue pour une durée de trois semaines en Nouvelle-Calédonie. Pour Sébastien Lecornu : « Ce long moment doit permettre de mieux m’imprégner de l’état d’esprit des uns et des autres » pour « préparer la suite12 ».

Pour les partisans du « Oui », l’État, qui a colonisé la Nouvelle-Calédonie, doit à son tour prendre ses responsabilités et en assurer la décolonisation. Cela se réalisera selon eux par le passage indéniable du cap de la pleine-souveraineté. Pour les partisans du « Non » il serait possible de décoloniser la Nouvelle-Calédonie sans passer par l’étape de la restitution de la pleine-souveraineté à l’archipel. Plus que l’étau qui se resserre, c’est aussi la capacité des uns et des autres à imposer un rapport de force qui se réduit. L’histoire politique de la Nouvelle-Calédonie a démontré que lorsque l’État impose par le haut, des tensions surgissent sur le terrain dans un camp comme dans l’autre. Les électeurs inscrits sur la LESC ont quant à eux montré leurs intentions le 4 octobre 2020 et ont laissé sous-entendre que les lignes pourraient encore bouger dans le cadre d’une troisième consultation. Les leaders politiques des deux tendances ont fait état de leurs positions. Reste maintenant à savoir comment l’État et l’exécutif national, saisiront ou non l’opportunité dont ils bénéficient de pouvoir réussir ce processus de décolonisation au XXIe siècle sans réactiver des tensions inutiles et en exprimant clairement leurs intentions en Nouvelle-Calédonie.

1 La doctrine actuelle ne parle plus de référendum mais de consultation référendaire. En effet si le « Oui » l’emportait, le Parlement français devrait se réunir pour acter l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Un référendum approuvé par la population quant à lui, s’il est approuvé, est acquis de fait.

2 L’ensemble des résultats proviennent du site web du Haut-Commissariat de la Nouvelle-Calédonie.

3 Radio Rythme Bleu, « Le club politique », 2 octobre 2020.

4 Nouvelle Calédonie la 1ère, Interview au Journal Télévisé, 2 octobre 2020.

5 Un premier sondage basé sur des comportements déclarés a été mené par le Cevipof par l’intermédiaire de Quid-Novi en 2019. Voir Sylvain Brouard (Sc Po Paris), Samuel Gorohouna (UNC), déterminants du comportement électoral au referendum de 2018, PIPSA, juin 2019. Lien youtube : https://youtu.be/VZbGvEwe9cU

6 Pour être électeur à la consultation du 4 octobre 2020, il faut, pour les personnes arrivées de l’extérieur, s’être inscrit sur le registre de la Mairie de résidence en Nouvelle-Calédonie au plus tard le 1er décembre 1994.

7 Intervention à la 102min sur Nouvelle Calédonie la 1ère, Soirée référendaire du 4 octobre 2020.

8 Erik Dufour et Nicolas Fasquel, « Calédonie ensemble prône le Oui collectif à un avenir partagé », Nouvelle Calédonie la 1ère, 6 octobre 2020.

9 « Nouvelle-Calédonie : le FLNKS « ira au troisième référendum » pour l’indépendance », Le Monde avec AFP, publié le 8 octobre 2020.

10 L’Express, « Nouvelle-Calédonie : le groupe de dialogue fait un bilan politique avant le referendum », par AFP, 14 août 2018.

11 Accord de Nouméa du 5 mai 1998, point 5 paragraphe 4.

12 Les Nouvelles Calédoniennes, Sébastien Lecornu : « Je n’éluderai aucun des scénarios qui me seront proposés », le 8 octobre 2020.