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“Beyond Google”, par et

Ne serait-ce qu’à cause de sa puissance et de ses visées tentaculaires, Google mérite une critique radicale, mais à sa hauteur. Comprendre Google et l’importance qu’il a pris dans notre quotidien suppose un regard allant au-delà du moteur de recherche lui-même et de ses services. L’usage de Gmail et de ses publicités contextuelles comme de Google Street View et de ses rues filmées via un objectif à 360˚ (comme si nous y étions) n’est pas neutre. Sauf qu’en amont de Google, il y a nos désirs. Il y a nos sources d’information et de connaissance, chaque jour en nombre plus démentiel, et moins fiables que jamais du côté des médias classiques… En aval, alors qu’Internet devient peu à peu aussi commun et invisible que l’électricité, se posent les questions des limites des moteurs tels que Google. Et puis il y a nos détournements, nos créations, nos projets individuels ou collectifs…

Beyond Google
If only because of its power and its tentacular expansion, Google deserves a radical critique, but at its height. Understanding Google and the importance it has in our daily lives requires a look beyond the search engine itself and its services. The use of Gmail and its contextual advertising, as well as Google Street View and its streets filmed with a 360˚ angular view (as if we were there) is not neutral. Except that, before Google, our desires exist. The number of sources of information and knowledge grows insanely every day, and at the same time the mainstream media become less reliable. As the Internet becomes as ubiquitous and invisible as electricity, the limits of engines such as Google need to be questioned. And then there’s our fidelity, our creations, our individual and collective projects…

Les machines désirantes de Félix Guattari, par

Lacan a manqué l’occasion de relier le concept d’objet « a » aux analyses marxistes de la production, de la reproduction et de la consommation dans l’économie politique, et scotomisé ainsi les formes possibles de l’« énonciation sociale » qui seraient susceptibles d’agir comme vecteurs de l’action politique, tout particulièrement dans les périodes de bouleversement technologique. Le capitalisme industriel, une fois mis en marche, génère des sujets déterritorialisés, et à travers une alternative constante entre déqualification et requalification professionnelle, engendre de nouvelles formes machiniques (en principe universelles) de subjectivité. Lacan avait découvert le mécanisme mais il n’avait pas su déployer ses conditions historiques et ses implications politiques. Guattari suggère que l’orientation générale des institutions sociales s’est radicalement transformée avec l’expropriation capitaliste des bénéfices de la révolution industrielle.

Lacan himself ends up missing the opportunity to relate his notion of the objet petit a to Marxist ideas about production, reproduction and consumption in political economy, and therefore scotomises the possible forms of « social enunciation » that could act as vehicles for political agency precisely during periods of technological revolution. Industrial capitalism, once set in motion, generates deterritorialised subjects, and through the very process of constant de-skilling and re-skilling, engenders new, in principle universal, machinic forms of subjectivity. Lacan had discovered the mechanism, but had not yet unfolded its historical conditions and political implications. Guattari suggests that the entire direction of social institutions has been radically transformed as a result of the capitalist expropriation of the results of the industrial revolution.

Puissances de la samba, clichés de la samba, par

La samba est la plus puissante des expressions artistiques et en même temps l’un des plus grands clichés de Rio de Janeiro. Cliché de l’« identité nationale », du peuple et de l’État-Nation. Mais avant d’être capturée et rendue impuissante dans un cliché, la samba est une ligne de fuite, ou mieux, plusieurs lignes de fuite selon les différentes formes selon lesquelles elle s’est réinventée au long du XXe siècle. Elle dessine la carte, avec ses divisions et occupations territoriales, de la ville même de Rio : la samba qui démarque des territoires en même temps qu’elle se fait démarquer par le territoire, la samba qui réinvente des corps selon ses performances. Performances contre l’asepsie, la discipline physique et la séparation qu’on veut leur infliger : enfin, un jeu permanent de résistance biopolitique et d’action du biopouvoir.

Samba is Rio de Janeiro’s most powerful form of artistic expression, but also one of the city’s main clichés. It is a cliché of”national identity”, cliché for the people and for the Nation State. However, more fundamental than its capture in these clichés, making it powerless, samba is a line of flight or – even better than that – it is a series of lines of flight, according to the different modes by which it has been reinvented throughout the 20th century. Samba draws Rio’s map, with its sections and territorial occupations: shaping territories and being shaped by them, inventing bodies according to their performances. The performances go against asepsis, physical disciplines, and the separation that one tries to inflict on the city’s territories. In short: samba is a permanent interplay between biopolitical resistance and the action of biopower.

Internet : de quel séisme parle-t-on ?, par

Le récent livre de Marc Le Glatin, Internet, un séisme dans la culture, accomplit au moins trois gestes intellectuels. Premièrement, il résume les principaux faits concernant l’évolution des pratiques culturelles sur Internet, et tout particulièrement la multiplication et la banalisation des téléchargements « gratuits » d’œuvres protégées en principe par la propriété intellectuelle. Deuxièmement, il interroge les notions de propriété intellectuelle et de diversité culturelle à lumière des nouveaux possibles ouverts par Internet. Troisièmement, il propose quelques pistes de solutions aux problèmes économiques et juridiques (et notamment la rémunération des artistes) que soulève la transformation en cours dans l’univers de la communication. Autant les faits me semblent correctement cernés et les questions dignes d’être posées, autant les solutions proposées, inspirées d’un mixte de jacobinisme centralisateur, de socialisme et de postmodernisme, me paraissent trompeuses, parce qu’elles s’appuient sur des présupposés philosophiques et politiques contraires à l’esprit de la mutation culturelle en cours. Je discute les thèses principales de l’auteur et propose des pistes de réflexion alternatives faisant appel à la philosophie de l’intelligence collective, plus propres à tirer le meilleur parti des nouvelles possibilités techniques au service de l’émancipation et du développement humain.

The recent book from Marc Le Glatin, Internet, un séisme dans la culture ?, performs three intellectual acts. First, it resumes the main facts concerning the evolution of cultural practices on the Internet, particularly the multiplication of « free » downloading of works that are in principle protected by intellectual property. Second, it interrogates the notions of intellectual property and cultural diversity in relation to the new possibilities opened up by the Net. Third, it proposes some tentative solutions for legal and economic problems, mainly the artists remuneration, related to current media transformations. Facts are correctly outlined and questions are worth asking. But the proposed solutions – inspired by a mix of centralizing jacobinism, socialism and post-modernism – sound deceptive because they are based on philosophical and political presuppositions that are quite contrary to the current stream of cultural mutation. I discuss the author’s thesis from the standpoint of a philosophy of collective intelligence and proposes some solutions oriented toward the best exploitation of the new technical possibilities in the service of human development and emancipation.

L’exode habite au coin de la rue, par

Alors que la société du coin de la rue est plutôt masculine, les femmes cherchent des espaces communs : sorties d’école, permanences médicales, centre social, et aujourd’hui jardin. Sur ce besoin s’est greffée une pratique artistique et politique de construction d’espaces d’attente où respirer ensemble. Dans les grandes métropoles européennes se créent à l’initiative d’activistes-artistes des « vacuoles » (Cf. Félix Guattari), des lieux où les habitants des quartiers pauvres peuvent eux aussi associer leurs idées et inscrire leurs rêves, se rendre disponibles à l’événement. La construction collective en langues multiples, celle des immigrations locales, est charpentée par un travail d’analyse et de mise en commun, par l’édification lente d’un « plan de consistance » (Cf. Félix Guattari) translocal et transnational.

While the « street corner society » is mostly masculine, women seek out common spaces : school gates, around-the-clock / 24-hour surgeries / medical practices / centres, social centres, and nowdays the garden. There is an artistic and political practice, that has been grafted onto this need, for the construction of waiting spaces where it is possible to breath together. In the major European cities « vacuoles » (Cf. Félix Guattari) are being created on the initiative of artist-activists, places where the inhabitants of a deprived neighbourhood can pool their ideas and set down their dreams, making themselves available for the event. The collective construction of multiple languages, that of local migrations, is framed by a work of analysis and common effort, by the slow building up of a « plan of consistency » (Cf. Félix Guattari), translocal and transnational.

Le rire matérialiste, par

Il existe une figure classique du philosophe matérialiste qui rit du reste de l’humanité, de ses craintes, ses superstitions et même ses valeurs. On peut retrouver au choix cette figure sous les traits de Démocrite, Épicure, Spinoza, Rabelais, La Mettrie, etc. Mis à part l’intérêt que l’on peut avoir pour cette figure du philosophe, assez éloignée des bancs de l’école, le texte présent vise à décrire ou (re)définir ce personnage conceptuel afin que l’on comprenne que c’est ainsi – en riant – que le philosophe matérialiste accède au monde « humain », au monde « des valeurs ». On verra alors que le vieux reproche fait au matérialisme, à savoir sa froideur et son incapacité à saisir la dynamique de l’action humaine, sa « cruauté d’anatomiste » comme dit Flaubert, ne l’atteint pas ; ou alors l’atteint à cause de son rire.

The figure of the materialist philosopher as the « laughing philosopher », who mocks the rest of humanity, its fears, superstitions and even values, is a classic one. It has been associated variously with Democritus, Epicurus, Spinoza, Rabelais, La Mettrie and others. Apart from the interest one might have in this figure of the philosopher as someone who is rather far removed from school benches, the present essay seeks to describe or (re)define this conceptual character in order to argue that laughter is the materialist philosopher’s « mode of access » to the human world, the so-called world of « values ». This implies that the equally classic reproach towards materialism – its coldness, its inability to grasp the dynamics of human action, what Flaubert would have called an « anatomist’s cruelty » – fails ; or only successfully targets materialism when it laughs.

Le rire comme arme chez Joe Orton, par

Cet article vise à présenter et interpréter l’œuvre dramatique de Joe Orton, auteur anglais des années 1960 qui parvint à la notoriété par le contenu violent et obscène de ses pièces, son homosexualité affichée et sa mort brutale des mains de son amant. Le travail d’Orton est un condensé dramaturgique de thèmes caractéristiques du « matérialisme » anticipés dans les philosophies de Machiavel et de Spinoza, mais trouvant leur expression la plus aboutie dans la pensée deleuzienne : l’immanence radicale du politique ; la critique de l’identité et des concepts cliniques de la folie ; la force anarchique et impersonnelle du désir sexuel. Orton atteint ce but au moyen d’une expérimentation comique à partir du langage et d’une radicalisation de la farce (comédie), qui produit une rire à la fois destructif et affirmatif : il détruit les barrières artificielles de la raison (y compris la frontière entre l’artificiel et le naturel) et affirme ce processus de destruction ainsi que le désir pré-subjectif par lequel il s’accomplit.

This paper is a brief introduction to and interpretation of the work of Joe Orton, an English playwright of the 1960s who achieved notoriety through the violent and obscene content of his plays, his scandalous homosexual lifestyle and brutal death at the hands of his lover. Orton’s work is presented as a dramatic exemplification of distinctive themes pertaining to a radically materialistic strain in philosophy anticipated in Machiavelli and Spinoza but finding its fullest expression in Deleuze’s thought : the radical immanence of the political, the critique of self-identity and clinical concepts of madness, and the anarchic and impersonal force of sexual desire. Orton achieves this aim through comic experimentation with language and a radicalisation of farce that serve to produce a laughter that is both destructive and affirmative : destructive of the boundaries artificially erected by reason (including the boundary between the artificial and the natural), and affirmative of this process of destruction and the pre-subjective desire through which it is accomplished.

Multitudes