A chaud 41, été 2010

Les métropoles aux métropolitains

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Le projet Grand Paris lancé par l’État depuis deux ans caractérise la persistance de beaucoup d’enfermements souverainistes dont la société française ne parvient pas à s’émanciper. C’est d’abord toujours le pouvoir jacobin, même relooké de présidentialisme, qui a initié et entièrement régulé cette réflexion sur l’avenir de la métropole. La création d’un secrétariat d’État chargé du « développement de la Région capitale » visait clairement à récupérer le peu de pouvoirs « décentralisés » que le pouvoir socialiste avait auparavant consenti à la Région Ile de France et à la Ville de la capitale. Il s’agissait aussi de nier l’initiative de cette dernière, Paris métropole, forum d’une centaine d’élus de tous bords travaillant depuis quelques années à initier des coopérations au-delà des frontières administratives et politiques de l’agglomération. Autre caractéristique du pouvoir régalien, l’opération a permis aussi un temps de contourner quelques fiefs de l’administration centrale puisque la sélection par le fait du prince de dix architectes ignore une fonction urbaine instituée à qui tous et chacun reprochent ses banlieues et ses dalles, pareillement coupées de la ville. Et, de fait, les dix talents européens ont eu ainsi le grand avantage de faire coopérer au sein de chaque équipe de multiples compétences de disciplines traditionnellement isolées dans les cloisonnements fonctionnels. Dernier avantage d’un pouvoir central très porté sur la médiatisation, les résultats riches et multiples de la consultation ont fait l’objet d’une grande exposition et été mis à l’entière disposition de tous les acteurs de la métropole.

Mais le pouvoir monopolise toujours entièrement les commandes : sans relation aucune avec les projets, tout juste rendus par les équipes, un ministre de la « région capitale » présente sa propre stratégie de positionnement de Paris comme « ville monde » : quelques pôles concentrant l’excellence autour de la capitale ( La Défense, Saclay, Saint Denis ou Roissy…) seront reliés par le grand huit d’un métro automatique de 130 kilomètres. La difficile transition du statut de capitale nationale à celui de métropole européenne et mondiale est ainsi réduite à la décision structurelle et hiérarchique d’un empilage de concentration d’excellences. Renforçant les dichotomies des territoires de l’agglomération, ce coup de force délaisse surtout totalement le véritable moteur de l’innovation métropolitaine, sa puissance de pollinisation qui mélange et combine d’innombrables compétences au gré de rencontres et projets souvent aléatoires. L’économie cognitive qui agit les nouvelles productions matérielles et immatérielles de la ville n’est plus du tout celle de la planification d’État qui ne saurait ni la diriger ni lui imposer ses cadres.

L’État couronne d’ailleurs son contresens par un abus de droit manifeste. Un nouvel établissement public de la Société du Grand Paris s’arroge en effet des compétences des villes en urbanisme et transport pour préempter autour des 40 gares prévues des espaces de spéculations immobilières censées financer l’opération. Le vieux rapport État/notables de la tradition souverainiste peut ainsi se poursuivre en divisant pour régner. Déjà le Ministre négocie séparément avec quelques collectivités et quelques architectes. Quel élu pourrait refuser de voir sa ville accueillir la gare d’un des pôles ? Et si les architectes ont vigoureusement souligné cet outrepassement du droit par l’État, lequel d’entre eux pourrait aussi décliner la construction d’un de ces pôles ?

En tout cas, les rivalités locales ou professionnelles face au pouvoir sont pour le moment en passe d’engloutir les projets tant des équipes d’architectes que de Paris Métropole qui visent tous à transversaliser les anciens découpages administratifs et fonctionnels régaliens.

Dépasser cette dépendance propre au welfare fordien du chacun-pour-soi-et-l’État-pour-tous impose d’innover la gouvernance du vivre ensemble dans une métropole démocratique, question totalement exclue de l’appel d’offre. Cela demande d’abord de poursuivre les prospections sur la métropole en incluant cette fois les territoires en constitution qui débordent déjà les cloisonnements des collectivités locales traditionnelles. Paris métropole, mais aussi d’autres projets comme celui de Seine métropole qui veut resituer Paris dans la globalisation en l’ouvrant vers des territoires européens et mondiaux par le fluvial et la mer. Ensuite, d’autres métropoles en Europe doivent être questionnées à propos des diverses innovations qu’elles ont, elles, déjà lancé, en matière notamment de coopérations entre citoyens et experts. Une société cognitive contextualisée doit inventer ses propres formes de débats sur la question du vivre ensemble dans la nouvelle ville productive. On connaît bien les bauforums allemands, notamment à Hambourg, ou encore les plans stratégiques des années 90 à Barcelone et dans beaucoup de métropoles s’échafaudent de nouvelles formes démocratiques pour reformuler des objectifs communs.

À Paris, il s’agit non plus d’augmenter à priori les structures de transport mais d’abord, à l’heure du Net, de réduire la mobilité domicile /travail subies, toujours en augmentation ; non pas de monter des opérations spéculatives sur le foncier urbain mais bien de réinventer un rapport durable de la ville avec la nature et l’agriculture ; non pas de conforter les dichotomies centre/périphéries, mais, tout au contraire, de comprendre que la société cognitive recompose totalement les anciennes hiérarchies spatiales. Cela implique notamment de permettre aux métropolitains de circuler dans leur métropole avec un ticket unique et, surtout, d’inclure les migrants et nomades comme des acteurs à part entière de la production de la métropole monde. De considérer donc des citoyens, et non plus des « usagers » ou des « Sans », pour faire des affects et subjectivités des métropolitains les vraies sources de la création de la métropole.

Multitudes met en chantier pour un prochain numéro un dossier sur le devenir métropole où nous interrogerons Paris au regard des expériences de la démocratie d’autres métropoles en Europe et dans le monde.