Icônes 51

Clarisse Hahn

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Extrait

Clarisse Hahn. Une obscure clarté

Si dans les propositions artistiques de Clarisse Hahn et Florence Lazar nous trouvons du commun dans cette manière de défaire le temps, il est aussi bon de souligner qu’il y a des points de fuite, des regards de biais et des écarts entre les deux artistes et leurs productions. Par exemple, Clarisse Hahn poursuit dans le même temps une pratique de capture, d’accumulation et de réemploi d’images – jeunes hommes, délinquants photographiés au Mexique, en Thaïlande, ou même en France avant d’entrer dans le palais de justice – et aussi une pratique où elle véhicule des images produites par d’autres et touchant la situation politique et répressive des Kurdes en Turquie, comme dans Prisons ou Guérilla.

Clarisse Hahn, artiste des temps présents, offre dans cette publication l’opportunité de s’interroger sur les « images infâmantes », dans un esprit de « récupération » au sens noble, elle capte et rescata « sauve »les images de ces jeunes portés à l’opprobre publique, elle répare les photographies, remet les plis à plats, sort ces jeunes de cette double dimension d’infâmie et d’oubli. Car les journaux, qui se nourrissent des faits divers, portent pour un temps si court à la vue de tous ces images de « coupables » qui, aussi vite montrées, sont remplacées par d’autres, et donc vouées dans le même temps à l’oubli collectif. Les vies brisées de cette jeunesse perdue, abîmée, la voilà comme « sauvée » symboliquement, comme prise dans un regard critique des « faiseurs d’images médiatiques » dans cette capture esthétique.

D’ailleurs, ce passage par l’image du délinquant, du criminel ou de l’image incriminée porte aussi en soi une critique du dispositif photographique. En effet, la photographie souvent perçue comme la « technique neutre » par excellence et médium choisi par l’art conceptuel (Camille Van Winkel, During the Exhibition the Gallery Will Be Closed, Walliz) est prisonnière d’un leurre – celui de l’oubli de ses origines. En effet, ce qui est perçu comme une « technique neutre » ignore ou a oublié que ce dispositif trouve ses premiers pas dans la technique d’identification des criminels au début du siècle, et avant même que Bertillon l’ait imposée et étendue comme technique scientifique d’identification – la photographie sur fond blanc captant l’identité des délinquants – c’est le photographe Ernest Appert (1831-1890) qui a été le premier à ouvrir cette voie et a l’appliquer vis-à-vis des communards2. Le rôle du photographe permet leur capture, leur identification et leur répression, parfois la photographie devient la preuve pour une condamnation, comme pour Courbet. La reprise et la mise en exposition – lumière – que réalise Clarisse Hahn a donc un double effet, celui de nous interroger sur l’apparente neutralité de la technique et sur l’opacité de ses dispositifs. …

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