Réunissant les travaux de deux artistes, Clarisse Hahn et Florence Lazar, cette Icône se propose de produire un écart sur la conception du temps. Il s’agit ici de publier des travaux qui se trouvent à la frontière des registres, « images témoins » et interprétations, documents et montages, images analytiques ou sensibles, à chaque fois, le découpage ne tient pas. Les deux artistes se tiennent sur une ligne de crête qui, me semble-t-il, ne travaille pas à mêler les genres ou les registres, mais à exposer une autre perception du temps. Proposer des images qui parlent de l’événement, en le sortant de l’axe de l’histoire, pour le considérer autrement dans sa potentialité de discontinu et de réminiscence. Écarter l’histoire, c’est une manière de s’écarter d’une idée très commune et diffuse de science et d’objectivité qui accompagne la discipline et la pratique historique et qui, d’une certaine manière, recouvre l’idée du document, de l’archive comme éléments de neutralité. Écarter et s’écarter, ainsi, cela peut permettre de choisir plutôt l’angle de vue de l’expérience vécue, subjective, et pourquoi pas, ténue et ambiguë face aux événements. Celle qui en général ne survit pas vraiment au rouleau compresseur de l’histoire. Exploser l’histoire serait alors découdre sa linéarité et laisser surgir sa polyphonie circonstancielle.
Expériences du temps
Clarisse Hahn et Florence Lazar ont par leurs travaux respectifs pris ce chemin : elles soulèvent toutes deux des interrogations touchant à l’histoire et à la mémoire. Là où l’histoire apparaît dans son apparente clarté et forte de sa chronologie, elles font le choix de la mémoire, car elles évoquent bien plus des univers obscurs, troubles, et semblent parfois se diriger vers une pratique du souvenir : ne pas laisser tomber dans l’oubli des êtres, des expériences et des récits. Il surgit alors une tension dans leurs pratiques artistiques, un travail acharné pour chercher à retenir l’expérience vécue, à ne pas la laisser s’évanouir dans une histoire amnésiée, oublieuse ou réifiée. Dans cette réappropriation d’histoires, d’où qu’elles viennent, de pays disparus, ou « qui n’existent pas », comme peuvent l’être le Kurdistan ou la Yougoslavie, ou dans les récits qui s’incarnent dans des corps ou dans des livres et des fascicules politiques, il y a chez Clarisse Hahn et Florence Lazar cette volonté féroce de ne pas simplifier, de ne pas appauvrir, de ne pas homogénéiser. En un mot, il y fait jour une résistance à l’histoire par le « matériau », produisant un écart qui s’ouvre comme espace critique, espace subjectif et aussi en tant que proposition esthétique.
L’axe essentiel m’apparaît comme étant la distorsion assumée de ne pas faire du film un continuum narratif, mais bien plus de l’ouvrir à la discontinuité des temps. Dans l’usage de la vidéo ou du film, Clarisse Hahn et Florence Lazar décident, chacune à sa manière, de travailler ce temps, de le laisser échapper à la caméra, à l’appareil cinématographique, de le laisser courir, s’enrouler ou se perdre. Le montage des images, leurs mises en relation dialectique allant d’un point à un autre, d’un visage de femme endormie sur un lit fleuri, à des hommes qui se découpent sur un paysage montagneux comme dans Kurdish Lover, laissant libre cours à l’association d’idées, des formes ou des mots. Si le matériau est document, archive, alors il l’est bien dans cette mise en forme du discontinu, des fils qui s’entremêlent pour nous dessiner un monde vécu, qui se poursuit devant nous dans sa double dimension de coprésence tout à la fois familière et étrange.
Kurdish Lover est un film qui, tout à la fois, nous rapproche, par exemple, par la présence fugace de Clarisse Hahn à l’image. Cela peut nous laisser croire en tant que spectateurs que ce qui se joue devant nous, nous pouvons le toucher presque du doigt, mais le film nous rappelle toujours à nous dans son étrangeté. Que sont ces nœuds de tissus insérés dans les roches ? Comment comprendre ces photographies éparses dans une grotte, au milieu des montagnes perdues que l’on voit plus avant ? Ce même effet parcourt la production visuelle de Florence Lazar, comme dans Les femmes en noir, Otpor, ou Prvi Deo, les expériences de la guerre en Ex-Yougoslavie s’offrent à nous dans les mots, les visages des femmes ou les silhouettes des jeunes hommes, mais elle maintient dans le même temps l’opacité historique qui elle aussi est mise en forme. Difficile de situer cette guerre autrement que comme un présent réminiscent. Une opacité qui laisse la place à la complexité, à la difficulté d’être pris dans l’histoire, de subir une guerre, de devoir y faire face. Pas un schéma et une simplification, mais bien plus une coprésence.
Ce choix esthétique me semble relever de ce travail de restitution du fragment et de l’opacité de l’histoire, auquel s’ajoute le caractère déambulatoire de la caméra. Dans Prvi Deo, elle va et vient, et ce faisant, elle provoque cet effet de construire une représentation de ce qui échappe au linéaire, à la clarté sans trouble et à l’histoire comme science. La caméra offre alors aux spectateurs la possibilité de s’affronter à l’histoire comme expérience vécue. Une expérience vécue qui se caractérise progressivement par son caractère déambulatoire, c’est-à-dire errant. Cela imprime à la pellicule une sensation de déchirement. Déambuler, c’est tout à la fois laisser libre court à la flânerie, au rêve, mais aussi signaler la difficulté à avoir des repères, à connaître des points fixes. Si le film est document, il s’inscrit profondément dans cette mise en relation à la « matière », à ce qui n’est pas encore lissé, peigné, à ce qui « flotte » : il s’agit de faire un travail de montage qui conduise à la mise en présence d’un matériau brut, sensible et parfois tourmenté.
Présent réminiscent
La coprésence par l’image articulant familier et étrange, proche et lointain, s’accompagne aussi chez nos deux artistes de ce travail esthétique d’inscrire l’image filmée comme la présence d’un présent réminescent, un temps présent qui est déjà passé, qui parle d’un passé plus ou moins proche. Dans ce sens, l’image filmée s’ouvre et renforce cet esprit de l’archive, du document compulsé et traité qui parcourt aujourd’hui l’analyse du film dans l’art contemporain. Un document qui vient s’inscrire dans un tissu de mémoire : qui permet la trace en portant à la connaissance de chacun une histoire. Ici, cet apport est pris dans sa dimension esthétique, ainsi quand Florence Lazar réalise le film Les Bosquets1, elle porte à la vue de chacun une autre image sur la banlieue, elle déconstruit les clichés que véhiculent les médias : tout d’un coup, un autre monde s’offre à nous. Florence Lazar montre les Bosquets à travers un prisme bien différent, celui d’un temps où la désoccupation et le désœuvrement se lient à des pratiques de paroles, d’échange dans une ville qui subit les assauts imaginaires des promoteurs et des institutions, mais qui semblent coupés des êtres qui y vivent et du comment ils y vivent. Un lieu où le tapis qu’elle introduit dans l’image et la vie des êtres devient support – carré magique – autour duquel se tissent et se nouent les êtres au repos ou ceux qui travaillent, un espace où le lien social, la rêverie, l’humour et les rapports sexués peuvent s’étaler, s’étirer : le temps s’allonge quand les langues se délient pour un déjeuner sur l’herbe revisité. La torpeur entre l’absence de travail et la fatigue au travail traversent l’image.
Clarisse Hahn. Une obscure clarté
Si dans les propositions artistiques de Clarisse Hahn et Florence Lazar nous trouvons du commun dans cette manière de défaire le temps, il est aussi bon de souligner qu’il y a des points de fuite, des regards de biais et des écarts entre les deux artistes et leurs productions. Par exemple, Clarisse Hahn poursuit dans le même temps une pratique de capture, d’accumulation et de réemploi d’images – jeunes hommes, délinquants photographiés au Mexique, en Thaïlande, ou même en France avant d’entrer dans le palais de justice – et aussi une pratique où elle véhicule des images produites par d’autres et touchant la situation politique et répressive des Kurdes en Turquie, comme dans Prisons ou Guérilla.
Clarisse Hahn, artiste des temps présents, offre dans cette publication l’opportunité de s’interroger sur les « images infâmantes », dans un esprit de « récupération » au sens noble, elle capte et rescata « sauve »les images de ces jeunes portés à l’opprobre publique, elle répare les photographies, remet les plis à plats, sort ces jeunes de cette double dimension d’infâmie et d’oubli. Car les journaux, qui se nourrissent des faits divers, portent pour un temps si court à la vue de tous ces images de « coupables » qui, aussi vite montrées, sont remplacées par d’autres, et donc vouées dans le même temps à l’oubli collectif. Les vies brisées de cette jeunesse perdue, abîmée, la voilà comme « sauvée » symboliquement, comme prise dans un regard critique des « faiseurs d’images médiatiques » dans cette capture esthétique.
D’ailleurs, ce passage par l’image du délinquant, du criminel ou de l’image incriminée porte aussi en soi une critique du dispositif photographique. En effet, la photographie souvent perçue comme la « technique neutre » par excellence et médium choisi par l’art conceptuel (Camille Van Winkel, During the Exhibition the Gallery Will Be Closed, Walliz) est prisonnière d’un leurre – celui de l’oubli de ses origines. En effet, ce qui est perçu comme une « technique neutre » ignore ou a oublié que ce dispositif trouve ses premiers pas dans la technique d’identification des criminels au début du siècle, et avant même que Bertillon l’ait imposée et étendue comme technique scientifique d’identification – la photographie sur fond blanc captant l’identité des délinquants – c’est le photographe Ernest Appert (1831-1890) qui a été le premier à ouvrir cette voie et a l’appliquer vis-à-vis des communards2. Le rôle du photographe permet leur capture, leur identification et leur répression, parfois la photographie devient la preuve pour une condamnation, comme pour Courbet. La reprise et la mise en exposition – lumière – que réalise Clarisse Hahn a donc un double effet, celui de nous interroger sur l’apparente neutralité de la technique et sur l’opacité de ses dispositifs.
Photographier n’est pas neutre, la photographie est alors prise dans une histoire de la technique et de ses compromissions : revenir sur la figure du délinquant, c’est aussi revenir sur les origines de l’image photographique, sur les « tâches qui la souillent » et d’une certaine manière, à travers ce saisissement des photos de presse, l’artiste poursuit un travail de « réparation », terme qu’elle utilise, elle-même, pour parler de son apport à ces images.
Stéphanie Sotteau Solas, « Ernest Appert (1831-1890), un précurseur d’Alphonse Bertillon ? », Criminocorpus, revue hypermédia, Bertillonnage et polices d’identification, 18 avril 2011, criminocorpus.revues.org/343 Pour une vision panoramique : Ilsen About, « Identités automatiques. Le Photomaton et l’encartement des individus », in Clément Chéroux, Sam Stourdzé, éds., Derrière le Rideau. L’Esthétique Photomaton, Arles, Photosynthèses, 2012, p. 263-271.
D’ailleurs, Clarisse Hahn opère aussi dans le même sens critique avec le film et interroge l’obscurité qui accompagne les images. Ainsi, l’image choisie pour ouvrir l’Icône est aussi marquée par la tension entre la prise de vue et la personne qui regarde, en l’occurrence la personne à la caméra, et celle qui est filmée : la part d’impuissance, de violence et de rejet, s’exprime dans le regard hagard, le geste menaçant et les mots orduriers. L’image ne se fait pas sans dégâts, sans violence, l’interpellation de la jeune femme filmée nous le rappelle crument : la caméra est aussi un « voleur », un capteur, un bandit, lorsqu’elle participe, même si elle témoigne de la violence d’État, même si elle est peut-être du « bon côté ». Il y a cette distance irréductible et problématique de la présence même de l’image face au réel, ce problème est là, dans les images de reporters et de presse, il ne s’évanouit pas, et peut-être ne se résout jamais, mais se doit d’être posé.
Cette tension de la distanciation que porte en elle chaque image envers sa propre production d’image, elle est encore là, dans Kurdisch Lover, quand la grand-mère, en gros plan, de face, regarde la caméra et souligne « Elle nous baise celle-là », parlant de Clarisse Hahn, c’est-à-dire de l’artiste. Non seulement la tension de la relation qui se joue dans l’image est manifeste, mais elle vient aussi souligner la polarité manquante : l’opacité des visages. La possible révolte face à cette extériorité. Tout n’est pas comme le disait Chris Marker, si lumineusement, dans Sans Soleils : dans le regard de l’autre, il y a une rencontre, un échange, une magie. Presque a-t-on envie de dire comme quelque chose de l’ordre du sentiment amoureux. Oui, parfois, cela a lieu, cet échange, proche de la magie, entre la caméra et la personne filmée, entre celui qui se tient devant l’image et celui qui y est pris. Comme quand l’ermite de la montagne s’adresse à la caméra, dans Kurdisch Lover, et dit qu’il l’aime lui, cette femme occidentale, cette allemande, cette blonde, qu’il attend, lui, de l’autre côté de l’image, qu’il invite, grâce à l’image et à qui il dit « I Love You », histoire d’être sûr de se faire entendre. Mais, parfois, le visage se ferme, les regards vous rejettent et c’est l’ambiguïté des images qui devient alors manifeste. Le travail de Clarisse Hahn porte un regard d’une sombre clarté, un regard qui n’épargne rien, qui n’idéalise rien, mais qui, exigeant, travaille et transforme notre relation à l’image.
Florence Lazar. Illuminations
De son côté, Florence Lazar nous invite à un autre voyage dans le temps, où le sauvetage d’une bibliothèque et de son propriétaire se joue en deux dimensions avec une vidéo et une série photographique autour du thème « du jeune militant ». Impossible de ne pas faire le lien avec le Je déballe ma bibliothèque de Walter Benjamin. Il y a d’abord le film, Confession d’un jeune militant, où un homme de profil et de biais, devant un fond blanc, parle des livres de sa jeunesse militante, et un jeune garçon les lui passe tour à tour comme pour l’encourager à parler. Ce passage de main en main d’un jeune éphèbe à la beauté surannée à un homme d’âge noble et au profil de médaille, ce passage de petits carrés, des livres qui remuent le temps, qui évoquent le passé, une autre jeunesse, un autre présent – celui d’une illusion ? La délicatesse des gestes, la lenteur des paroles, parfois la difficulté à nommer, tout cela concourt à créer un espace où affleure à l’image un passé mythique, celui de cet être-là de la pensée révolutionnaire, des rêves et des espérances auxquels on se donne à corps perdus. Florence Lazar réalise avec ces travaux quelque chose de rare en déplaçant l’espace littéraire de « deuxième zone » dans celui du visuel. De deuxième zone, car il s’agit bien plus de fascicules, d’opuscules, d’une littérature oubliée, et re-convoquée ici, que de noms qui se sont installés dans la mémoire de tous. Pas de trio Lénine, Marx ou Bakounine ici, mais des séries de journaux, de manifestes, et d’auteurs plus ou moins connus, mais qui ont habité et animé la jeunesse de ce militant qui ranime sous nos yeux son passé par le commentaire des ouvrages lus. Ce mode d’exposition si singulier se noue si aisément à cet autre livre, celui écrit, par un homme acculé, persécuté et qui, bibliophile et collectionneur de livres acharné, perdait ce morceau de lui-même au moment même où par la plume, il faisait resurgir devant les yeux du lecteur sa bibliothèque. Walter Benjamin convoque à la mémoire ses livres et nous les transmet peu de temps avant sa disparition ; ici, il est difficile de ne pas ressentir ce même désir de transmission à l’œuvre. Cette même envie de ne pas voir les choses disparaître, et surtout les livres et ce qu’ils portent en eux : une utopie. Ces livres pourraient bien plus participer à témoigner de cette histoire des vaincus dont parlait Benjamin, de ceux qui n’ont pas réussi à renverser l’ordre des choses, bien qu’ils s’y soient acharnés. Le tournant obscur, peut-on lire, passe de main en main, dans un rapport de filiation inversé, c’est le jeune garçon qui les tend à celui qui pourrait être son grand-père, de part son âge, et c’est ce geste du présent, de la jeunesse, qui en active une autre, plus éloignée, qui vient percer et poindre. Réanimée et ensuite repassée dans l’autre sens, expliquée ou accompagnée par la parole du « vieux ». Ensuite, la série de photographies de livres où dans la plupart on peut reconnaître le même jeune garçon, bien que jamais son visage n’apparaisse clairement, mais c’est lui qui souvent porte ces livres dans ses bras, comme un cadeau, comme un héritage, comme quelque chose qu’il vient de recevoir. Le triangle des temps se boucle alors dans une vision du futur qui s’installe dans l’image – de ce qui va venir. Ou advenir.
Les images photographiques – Socialisme ou barbarie, Jeune militant, et Faire – poursuivent le travail entrepris dans le film Confession d’un jeune militant : l’appareil visuel, qu’il soit photographie ou film, installe l’éveil de soi au cœur de la production artistique. Il y a une fébrilité à regarder ces livres, outils de formation et d’émancipation conjointes dans un même support. Il y a cette quête du réveil et d’un autre ordre du monde qui se déploie dans les couvertures, les dos et les premières pages présentées devant nous. Éveil ou réveil, car celui qui s’engage, qui milite est celui qui garde les yeux ouverts sur les dangers du monde, c’est cette sentinelle dont parle Benjamin qui se doit d’annoncer l’incendie ou de chercher à l’éteindre. L’étincelle, c’est ce que cherchait aussi la révolution russe, mai 68, ou les expériences d’autogestion venues de Yougoslavie. C’est un peu sous ce signe double de l’illumination et du danger que du tournant obscur qu’oscillent les lectures.
La valeur testamentaire y est puissante et conduit à rendre manifeste un désir de passage, de relais. Une aspiration à la transmission par la figure du jeune garçon ou de ce corps de femme enceinte qui fait un enfant et porte devant elle le Faire, mensuel des jeunes socialistes. Qui est ce jeune militant, si ce n’est cet homme d’âge mûr, qui usant de sa mémoire, parvient à nous transmettre la magie d’un temps révolu, mais qui l’habite et qu’il cherche aussi à transmettre à celui qui se tient là, pas trop loin, cet enfant, qui ne parle pas encore, mais qui bientôt pourra se saisir, non pas au propre, mais au figuré, des livres, de leurs contenus ? Lorsque véritablement il sera devenu un homme.
Il y a ainsi un redoublement entre l’image et le livre : l’artiste et l’image cherchent la transmission autant que le livre et le fascicule politique. Les glissements de terrain d’un champ à un autre offrent cette potentialité de se renforcer l’un par l’autre. Le caractère presque « magique » du livre par son évocation, sa capacité physique à évoquer un monde englouti, disparu, à lui redonner une visibilité et une matérialité, apporte à l’image cette dimension d’aura qu’elle a perdue à l’ère de la reproductibilité technique. Il y a autant de contretemps dans cette série photographique que d’évocation d’une échappée belle, d’une utopie en acte. Là encore, il existe une certaine intimité avec Walter Benjamin, qui se met à évoquer sa collection de livres perdue dans sa fuite, en tentant d’échapper au nazisme, et qui, alors même qu’il perd les traces de son histoire, en apporte un témoignage, pour la ramener à la visibilité, à une transmission d’expérience, pour un lecteur qui ne verra pas ces livres, mais qui pourra en retrouver l’expérience de son col-lectionneur-artiste-écrivain. Ici, Florence Lazar aussi marque cette série par un geste qui cherche à retenir le temps – à inscrire au présent ce qui fut et à le ranimer pour un public.
Les films et les images de Clarisse Hahn et de Florence Lazar me semblent provoquer cette transformation interne, rare, qui n’a lieu que lorsque l’on est en présence de quelque chose de foncièrement différent. En ce sens, je pense qu’il y a un enjeu majeur à les communiquer. En espérant que vous-même vous en fassiez l’expérience au sens plein du terme. L’image éclatera alors telle une explosante-fixe (Breton) qui restera gravée pour longtemps dans la rétine.
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