À Chaud 49, été 2012

La femme fétiche de la régression politique

Partagez —> /

Un nouveau type de discours politique a émergé depuis une vingtaine d’années
dans le sillage du mouvement féministe. Ce discours promeut une femme
soi-disant libre parce qu’arborant les signes de la modernité féminine
occidentale : tête nue, maquillage, conduite automobile, travail professionnel,
liberté sexuelle, intégrité physique… Cette femme libre est le produit de
l’Éducation nationale et de sa destruction massive des signes extérieurs d’appartenance
locale, sous couvert de laïcité – alors que le calendrier scolaire
était indexé sur les fêtes religieuses catholiques, et que l’enseignement religieux
était organisé à l’intérieur des locaux, sans oublier la pédagogie décalquée
sur celle imaginée par les Frères des écoles chrétiennes et les Jésuites.

Le principal marqueur de l’altérité d’un groupe social est
aujourd’hui la manière dont il traite les femmes dont les dominants se demandent
encore comment elles ont pu faire pour accéder au même niveau
d’éducation que le leur. Comme le dit la devise « les femmes et les enfants
d’abord », les femmes sont des êtres qu’on protège car elles n’ont pas les
moyens de se défendre, elles ne sont pas autonomes ; du moins voudrait-on les garder telles et en cela on ne diffère pas des sociétés dont on trouve
qu’elles les protègent mal ou trop. Sur un axe d’observation participante de
la domination, c’est-à-dire à partir d’une subjectivité pour laquelle la domination mène le monde, on trouve toujours plus dominée que l’homme,
sa femme. Et les preuves abondent de cette domination.

L’idéologie du progrès a toujours classé les groupes sociaux en
fonction de leur degré de proximité, ou de distance, d’avec les canons déjà atteints
par les « meilleurs ». C’est ce qu’on appelle en occident « la civilisation »,
comme processus, magnifiquement décrit par Norbert Elias. L’idéologie du
développement a consisté à rajouter « les autres » en queue de procession tout
en leur faisant miroiter l’accès au même paradis et à faire des femmes les
agents actifs d’une métamorphose présentée comme une affaire de mœurs.

Les femmes sont devenues les insignes de l’intégration réussie ou de
la désintégration subie, voire les vecteurs de l’émergence d’autres politiques.
Toutes les femmes sont ainsi enfermées dans une recherche d’émancipation
dont le sens est assigné de l’extérieur, de manières multiples et contradictoires.
Ce qu’elles pensent elles-mêmes de ce qu’elles disent et de ce qu’elles font
n’a plus aucune importance, elles sont les fétiches d’un discours politique qui
s’attaque d’abord à la morale, et à son pilier principal, la famille.

Comment faire des différences au sein d’un peuple qui accueille de
plus en plus d’autres, le mobiliser au profit de ceux qui le gouvernent de droit
quasi divin. Le discours politique renoue avec ses vieux démons : l’opposition
radicale entre soi et l’autre, l’antinomie entre barbarie et civilisation. L’impuissance
produite par la crise du capitalisme conduit à renoncer aux promesses
du progrès, et à refaire passer aux ras des corps et de leurs origines le découpage
entre ceux qui peuvent profiter légitimement et ceux qui en sont exclus.

Cette impuissance conduit à une régression anté-révolutionnaire
et au retour à l’assignation de tous aux rôles sociaux dictés par la reproduction
et le renoncement à la construction commune. La régression se pare
des oripeaux de l’émancipation : l’érection de la femme-mère en porteuse
des intérêts de la société. La parité comme idéal politique prend modèle et
justificatif dans le couple biologique. Le biopolitique qui était à l’origine un
paradigme économique et statistique se transforme en loi morale organisant
la vie quotidienne, avec la complicité de l’école, des banques et autres institutions d’assujettissement pour lesquelles seule la famille est un sujet
valable. L’affirmation du souci des femmes chez les autres devient le moyen
d’affirmer l’irréductible altérité de leurs sociétés à tous les niveaux.

La nouveauté par rapport au discours colonisateur d’antan,
c’est le refus postcolonial de draper cette organisation de la domination et
du pillage sous les illusions laïques d’une égalité pour tous qu’il suffirait
d’avoir réalisée en droit. Les héritiers des colonisés, voire des colonisateurs,
prennent enfin conscience de la résistance générale au mythe de la civilisation
unique : c’est d’abord la résistance économique de ceux qui tombent
davantage dans la pauvreté faute de l’accumulation nécessaire au modèle de
la consommation, et surtout la résistance politique de peuples qui veulent
gérer eux-mêmes leur développement. Le jeu avec les références, la revendication
de l’égalité immédiate ou de la différence définitive, bousculent le
processus. Dès lors, ceux qui s’agrippent à l’affirmation des bienfaits de la
« civilisation » pour les seules femmes apparaissent pour ce qu’ils sont : des
vautours en mal de charognes. Apparemment les autres peuples promus au
rang de barbares n’ont pas envie de les leur fournir.

Les discours politiques qui affirment que la rupture entre soi et
la multitude des autres ne peut évidemment pas être dépassée, parce que de
nature, s’emparent du pseudo respect du statut des femmes pour légitimer
leur passion de conservation. La capture de l’émancipation dans les rets de
la réaction se répand sur les ondes et les écrans sous la forme de chimères
féminines troublantes, dont les vertus attractives ne servent pas nécessairement
le projet politique qui les promeut. L’appel à la liberté des femmes est
une imposture : l’altérité est beaucoup trop présente chez les spectateurs et
les auditeurs pour qu’on y croie. La liberté des femmes n’est pas un objet de
consommation monumentale courante qu’on pourrait brandir de la sorte :
c’est un processus collectif de construction subjective, toujours en travail.
L’hypothèse d’une domination parfaite s’évertue à empêcher les femmes de
tenir debout. En bâtissant une femme-fétiche, enceinte du corps national,
la politique de refus et de bannissement des étrangers s’oppose pied à pied
au mouvement mondial de libération des femmes. Un mouvement qui se
fait non pas contre mais avec les autres, dans une construction commune.