Une lecture de Par delà nature et culture de P. Descola.
Philippe Descola dans Par delà nature et culture (2005) tâche d’élaborer, au travers d’une classification des formes d’écologie symbolique, les pièces élémentaires d’une sorte de syntaxe de la composition du monde. Quatre schèmes fondamentaux ou matrices ontologiques (l’animisme, le naturalisme, le totémisme et l’analogisme) seront ainsi exhumés de l’immense champ des monographies ethnologiques, permettant à leur auteur d’établir une critique de la raison naturaliste. C’est cette révolution épistémologique que nous nous efforcerons le plus fidèlement de restituer.
In Par delà nature et culture (Beyond Nature and Culture, 2005), Philippe Descola attempts to articulate, by means of a classification of the forms of symbolic ecology, the elementary pieces in a kind of syntax of composition of the world. He selects four fundamental schemas or ontological matrices – animism, naturalism, totemism and analogicism – from the vast array of anthropological monographs, with the goal of articulating a critique of naturalistic reason. The goal of the present article is to bring to light this epistemological revolution.
Philippe Descola([[Cet article correspond à la version écourtée d’un article que l’on trouvera en ligne sur le site de la revue.) est-il fou ? Pourtant sans arrogance, d’une force de travail hors du commun et d’une humilité sans égale dans le milieu universitaire, il a accompli ce que Sisyphe lui-même s’est refusé d’amorcer : une remontée vers les structures mêmes de la pensée, depuis l’étourdissante danse des phénomènes humains que des centaines de monographies ont répertoriées : rien de moins que l’équivalent de produire l’esquisse du tableau de Mendeleïev dans le champ du symbolique. Son maître, Claude Lévi-Strauss, ne l’avait-il pas prévenu : « seul un fou pourrait envisager d’inventorier de façon exhaustive le système général de nos idées. » (p.144)([[Toutes les citations sans références précises autre que la page renvoient à l’ouvrage de Philippe Descola : Par delà nature et culture (Ed. Gallimard, 2005).) Philippe Descola est un bien étrange héritier de ce grand structuraliste, pour avoir nommé son œuvre majeure actuelle : Par delà nature et culture. Ne craint-il donc point l’offense aux dieux ? Mais peut-être que les dieux dans leur vieillesse ont de l’appétit pour l’insolence, ou encore, comme le dit Gilbert Lascaux, que « le fils rebelle est souvent le véritable héritier ».
Kant Achuar
Dans quelle aventure, au juste, nous conduit-il et vers quels périls risquons-nous de sombrer, à le suivre ? « Ce livre repose sur le pari, nous dit l’auteur, qu’il est possible de mettre au jour des schèmes élémentaires de la pratique et de dresser une cartographie sommaire de leur distribution et de leurs arrangements », mais ceci ne pourra se faire qu’une fois avoir repéré, décrit et analysé les « matrices ontologiques » fondamentales qui ne sont autres que « les pièces élémentaires d’une sorte de syntaxe de la composition du monde » (p.180). Quatre schèmes fondamentaux structurant l’expérience au monde (ou quatre matrices ontologiques) seront ainsi exhumés de l’immense champ des monographies ethnologiques, surprenant sans doute le lecteur de la force d’ordonnancement du réel que permet ce jeu d’outils conceptuels, mais dans le même temps, le déroutant, pire, le détrônant de son épistémologie ethnocentrée. Pareil à un Kant Achuar qui réaliserait une critique de la raison naturaliste, Philippe Descola conduit le lecteur occidental sur les bords de son régime épistémologique, à la limite du vertige où, un à un, les couples conceptuels habituellement requis (la Nature et les cultures, le sauvage et le domestique, les substances et les esprits, etc.) se voient relativisés, jusqu’à même perdre de leur aura épistémologique, pour finir par être éclipsés sous la puissance heuristique d’autres concepts plus universaux (la continuité et la discontinuité, l’identité et la différence, la ressemblance et la dissimilitude).
Ce puissant « fétiche qui nous est propre » (p.90) qu’est la « Nature », n’a pu être observé comme tel que depuis la distorsion contrôlée (l’anamorphose) qu’a provoquée chez l’auteur la rencontre des Achuars. C’est à cette rencontre que l’on doit sans doute l’invention d’une épistémologie anamorphique, où les formes d’écologie symbolique sont enfin repérables, sous l’effet du déplacement ethno-épistémologique. C’est par là, par cette refonte de l’appareillage épistémologique, que nous inviterons à notre tour le lecteur à entrer dans cet univers quadri-perspective, où la syntaxe des mondes ne nous est plus dissimulée.
l’épistémologie schématique descolienne
« Chaque enfant apporte en naissant, et sous forme de structures mentales ébauchées, l’intégralité des moyens dont l’humanité dispose de toute éternité pour définir ses relations au Monde et à Autrui » (p.139) nous annonce Claude Lévi-Strauss, mais ces moyens, précise Philippe Descola, « ne se ramènent pas seulement à des structures mentales innées » : « ils consistent surtout en un petit nombre de schèmes pratiques intériorisés, synthétisant les propriétés objectives de toute relation possible avec les humains et les non-humains ». C’est le repérage de ces schèmes, puis de l’architecture symbolique qu’ils composent, qui va constituer l’essentiel du travail de Philippe Descola.
Parmi ces schèmes qui n’affleurent pas à la conscience, certains sont « hautement thématiques et s’adaptent à une grande variété de situations » (p.153), ils seront nommés : schèmes intégrateurs, « tandis que d’autres ne sont activés que dans des circonstances bien particulières », aussi seront-ils désignés comme schèmes spécialisés (ou habitus). Les schèmes intégrateurs sont « des structures cognitives génératrices d’inférences, dotées d’un haut degré d’abstraction, distribuées avec régularité au sein des collectivités à la dimension variable, et qui assurent la compatibilité entre des familles de schèmes spécialisés tout en permettant d’en engendrer de nouveaux par induction ».
Les schèmes intégrateurs des pratiques peuvent être ramenés « à deux modalités fondamentales de structuration de l’expérience individuelle et collective » (p.163), que Philippe Descola appelle identification et relation. Le schème d’identification me permet d’établir « des différences et des ressemblances entre moi et des existants, en inférant des analogies et des contrastes entre l’apparence, le comportement et les propriétés que je m’impute et ceux que je leur attribue ». L’auteur précise que « ce mécanisme de médiation entre le soi et le non-soi paraît antérieur et extérieur sur le plan logique à l’existence d’une relation déterminée avec un autre quelconque ». Dès lors chacune des formules ontologiques, cosmologiques et sociologiques que l’identification rend possible est elle-même capable d’offrir un support à plusieurs types de relation : « considérer un animal comme une personne plutôt que comme une chose, par exemple, n’autorise nullement à préjuger du rapport qui sera noué avec lui et qui peut relever aussi bien de la prédation que de la compétition ou de la protection » (p.164). Ainsi, « la relation ajoute une détermination additionnelle aux termes primaires que l’identification découpe ».
Philippe Descola poursuit son élaboration en posant l’hypothèse que « tout humain se perçoit comme une unité mixte d’intériorité et de physicalité, état nécessaire pour reconnaître ou dénier à autrui des caractères distinctifs dérivés des siens propres » (p.169). Par « intériorité », il faut entendre ce que l’on appelle « d’ordinaire l’esprit, l’âme ou la conscience – intentionnalité, subjectivité, réflexivité, affects, aptitude à signifier ou à rêver » (p.168), et par « physicalité », « l’ensemble des expressions visibles et tangibles » (la forme extérieure, la substance, les processus physiologiques mais aussi le tempérament ou la façon d’agir dans le monde) des dispositions qui résultent « des caractéristiques morphologiques et physiologiques » (p. 169) d’une entité.
Doté de cet outillage conceptuel, Philippe Descola réussit à produire une première classification des différents modes du schème de l’identification. « Face à un autrui quelconque, humain ou non humain, précise-t-il, je peux supposer soit qu’il possède des éléments de physicalité et d’intériorité identiques aux miens [le totémisme, soit que son intériorité et sa physicalité sont distinctes des miennes [l’analogisme, soit encore que nous avons des intériorités similaires et des physicalités hétérogènes [l’animisme, soit enfin que nos intériorités sont différentes et nos physicalités analogues [le naturalisme. (…) Ces principes d’identification définissent quatre grands types d’ontologie [totémique, analogique, animique, naturaliste, c’est-à-dire [quatre systèmes de propriétés des existants, lesquels servent de point d’ancrage à des formes contrastées de cosmologies, de modèles du lien social et de théories de l’identité et de l’altérité. » (p.176)
Cet appareillage épistémologique doit son existence à ce que Philippe Descola appelle un universalisme relatif. « L’universalisme relatif ne part pas de la nature et des cultures, des substances et des esprits, (…) mais des relations de continuité et de discontinuité, d’identité et de différence, de ressemblance et de dissimilitude (…). L’universalisme relatif n’exige pas que soient données au préalable une matérialité égale pour tous et des significations contingentes, il lui suffit de reconnaître la saillance du discontinu, dans les choses comme dans les mécanismes de leur appréhension, et d’admettre (…) qu’il existe un nombre réduit de formules pour en tirer parti. » (p.419) C’est là tout le génie de ce contemporain, qui embrasse l’affolante multiplicité des systèmes symboliques humains, non pas sous l’unique point de vue d’une seule structure-maître, mais au travers d’une quadri-perspective structurale.
les quatre ontologies fondamentales
Tâchons de définir moins succinctement ces quatre matrices ontologiques qui permettent d’établir les différences et les ressemblances entre soi et les existants.
Ce qui caractérise généralement l’animisme c’est « l’imputation par les humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur » (p.183). Cette définition minimale nous ouvre à l’idée essentielle que « ce n’est pas au moyen de leur âme qu’humains et non-humains se différencient, mais bien par leurs corps ». C’est ce dont témoigne Anne Christine Taylor lorsqu’elle affirme que, dans les sociétés animiques, « ce qui distingue les espèces, en définitive, c’est l’habit » (p.185). Ainsi, les plantes et les animaux sont « des personnes, revêtues d’un corps animal ou végétal dont elles se dépouillent à l’occasion pour mener une vie collective analogue à celle des humains : les Makuna, par exemple, disent que les tapirs se peignent au roucou pour danser et que les pécaris jouent de la trompe durant leur rituels, tandis que les Wari’ prétendent que le pécari fait de la bière de maïs et que le jaguar ramène sa proie à la maison afin que son épouse la cuisine ». Le corps possède donc le rôle qui est d’ordinaire dévolu à l’âme pour les occidentaux, celui d’un « différenciateur ontologique » (p.188).
Le naturalisme inverse la formule de l’animisme « en articulant une discontinuité des intériorités et une continuité des physicalités » (p.241). Selon Viveiros de Castro, si « l’animisme est
L’analogisme est « un mode d’identification qui fractionne l’ensemble des existants en une multiplicité d’essences, de formes et de substances séparées par de faibles écarts, parfois ordonnées dans une échelle graduée, de sorte qu’il devient possible de recomposer le système des contrastes initiaux en un dense réseau d’analogies. » (p.280) Cette forme d’ontologie est « très commune » sur la face du monde, et « s’exprime, par exemple, dans les corrélations entre microcosme et macrocosme qu’établissent la géomancie et la divination chinoise, ou dans l’idée, courante en Afrique, que des désordres sociaux sont capables d’entraîner des catastrophes climatiques ». Au centre de cette ontologie, « c’est bien la différence infiniment démultipliée qui fait l’état ordinaire du monde, et la ressemblance le moyen espéré de le rendre intelligible et supportable. » (p.281)
À l’inverse, dans le totémisme, ce n’est pas l’éclatement, l’émiettement en singularités qui menace, mais la fusion au sein d’un collectif hybride d’individus (humains et non humains). Au cœur de cette ontologie se situent les êtres du Rêve (êtres originaires) qui sont le plus souvent présentés « comme des hybrides d’humains et de non-humains déjà répartis en groupes totémiques au moment de leur venue. Ils sont humains par leur comportement, leur maîtrise du langage, l’intentionnalité dont il font preuve dans leurs actions, les codes sociaux qu’ils respectent et instituent, mais ils ont l’apparence ou portent le nom de plantes ou d’animaux et sont à l’origine des stocks d’esprits, déposés dans les sites où ils disparurent, et qui s’incorporent depuis dans les individus de l’espèce » (p.207). C’est parce que les humains, les totems et tous les autres existants « furent placés dans l’ordre social-et-naturel par les êtres du Rêve qu’il existe entre eux tous une relation pérenne d’origine et de substance communes » (p.228), nous dit Francesca Merlan. C’est cette « continuité interspécifique des physicalités et des intériorités » (p.225) qui fait la spécificité de cette ontologie.
les problématiques des subjectivités coextensives aux matrices ontologiques
Doté de ces nouveaux outils (les modes principaux d’identification), Philippe Descola nous ouvre ensuite les portes d’une compréhension structurale des formes de subjectivité propres à chaque matrice ontologique, comme il nous permet d’établir le questionnement existentiel auquel ces subjectivités sont livrées.
Si « le sujet animique est partout, dans l’oiseau dérangé qui s’envole en protestant, dans le vent du nord et la débâcle grondante, dans le caribou traqué qui fait soudain volte-face pour toiser le chasseur » (p.388), alors le questionnement subjectif qui l’habite est le suivant : « comment s’assurer que des non-humains humanisés ne sont pas vraiment des humains ? » (p.391), ou plus angoissant encore : « sous le corps de l’animal ou de la plante que je mange, que subsiste-t-il de sa subjectivité humaine ? » Ainsi, au cœur de la subjectivité animique se loge un trouble métaphysique et moral, ce qu’exprime limpidement cette parole du chaman Inuit Ivaluardjuk : « le plus grand péril de l’existence vient du fait que la nourriture des hommes est tout entière faite d’âmes. » (p.392)
« Tandis que l’animisme déchiffre les signes de l’altérité dans la discontinuité des corps, le naturalisme les reconnaît dans la discontinuité des esprits » (p.399), aussi les sujets naturalistes diffèrent-ils les uns des autres « en fonction de leurs coutumes, de leurs langues » mais aussi individuellement « à l’intérieur de chaque culture » (p.398). « Le relativisme culturel n’est tolérable (…) qu’en tant qu’il se détache sur le fond massif d’un universalisme naturel », mais « la permanence de l’arbitraire culturel introduit une source d’inquiétude permanente » que la science n’arrive pas à résorber.
« Les totems de filiation, les totems de conception, les âmes-enfants, les sites totémiques mêmes [qui sont les véritables sujets de ces sociétés instrumentalisent les humains en se servant de leur dynamisme et de leur vitalité afin de reproduire, génération après génération, le grand ordonnancement segmenté » (p.401), nous rappelle Philippe Descola. Le sujet actif n’est autre, en conséquence, que cette « classe prototypique des éléments humains et non humains ayant une même origine et qu’un collectif nommé représente » (p.402). Dans ce cadre, le questionnement subjectif est le suivant : comment se singulariser sans ambiguïté au sein d’un collectif hybride d’individus humains et non humains fusionnés ? (p.404). La solution offerte est alors de penser chaque individu, c’est-à-dire chaque incarnation d’une âme-enfant, comme « l’actualisation d’un des états successifs par lesquels est passée la genèse de l’identité collective propre à l’ensemble dont il fait partie » (p.407).
Les subjectivités analogiques prolifèrent en tout lieu, comme dans les cosmologies animiques, mais « sur un mode beaucoup plus diffus et ambivalent, réfractées qu’elles sont dans des supports imprévus » (p.409). L’individualité se dissimule toujours derrière « la brume équivoque des apparences et des faux-semblants », ce qui fait dire à la mère d’Amadou Hampaté Ba : « je voudrais savoir lequel des Amadou qui l’habitent est là en ce moment ? » (p.410). C’est parce que le morcellement est immense et que les assemblages sont toujours inconsistant que la subjectivité analogique est soumise à l’invariance de ce questionnement : « comment authentifier un point de vue rassembleur dans ce cosmos d’immanences particularisées ? » (p.412), dans ce chaosmos de singularités ?
du naturalisme hybridé à l’analogisme mondialisé
Le travail amorcé par Philippe Descola ne fait que commencer. Car aux schèmes intégrateurs de l’identification et de la relation doivent s’ajouter plus de cinq autres modes principaux structurant l’expérience des humains au monde (la temporalité, la spatialisation, la figuration, la médiation et la catégorisation). À quoi s’ajoute le fait que les différents modes d’identification ne se trouvent jamais (ou presque jamais) sous leur forme « pure » ou idéal-typique dans le réel. « Leur mode d’existence le plus habituel », précise l’auteur([[P. Descola, « Des mondes étrangers », conférence à la Cité des sciences et de l’industrie, 15 Décembre 2004.), existe « sous des formes plus ou moins hybrides. (…) [Par exemple, l’analogisme est encore très présent dans le monde naturaliste, y compris dans le monde naturaliste urbain : l’importance que l’on continue d’attacher à l’astrologie en est un indice probant. » Cette hybridation des modes issus d’un schème intégrateur (ici l’identification) est une des voies d’exploration vers laquelle nous mène le travail de Philippe Descola, qui nous offre ce second exemple en nous rappelant que si « la plupart des Européens sont spontanément naturalistes en raison de leur éducation formelle et informelle, cela n’empêche pas certains d’entre eux, en certaines circonstances, de traiter leur chat comme s’il avait une âme [pratique animique, de croire que l’orbite de Jupiter aura une influence sur ce qu’ils feront le lendemain [pratique analogique, ou encore de s’identifier à tel point à un lieu et à ses habitants humains et non-humains que le reste du monde leur paraît être d’une nature entièrement différente de celle du collectif auquel ils sont attachés [conception totémique » (p.322). On peut alors imaginer les centaines d’imbrications possibles entre des modes d’identification, de relation, de temporalité, etc., qui serviront de modèle théorique à l’analyse de la singularité complexe de chacune des sociétés contemporaines en devenir.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, et tâcher de simplifier au mieux un cas d’une complexité pourtant redoutable comme l’Occident contemporain, posons-nous la question de savoir vers quel type d’hybridation spécifique le naturalisme actuel s’achemine. S’agence-t-il plus favorablement, dans son devenir mondialisé, à un animisme ou à un totémisme ? Selon Philippe Descola, le système naturaliste « soumis à des fortes pressions » depuis quelques dizaines d’années (liées entre autres « à l’essor des biotechnologies et au mouvement de libération animale comme aux éthiques environnementalistes ») se dirige « vers un analogisme réel ». « [Là où les collectifs analogiques avaient tous l’illusion qu’ils étaient le monde, même des collectifs de très faible démographie, (…) avec l’expansion des échanges, la circulation des informations, etc., nous dit Philippe Descola, on va probablement se diriger vers un système dans lequel ce collectif-monde sera à la dimension de la planète, avec des fragmentations internes du type de celles des collectifs analogiques : des hiérarchies, des segmentations, et une place sans doute différente pour les non-humains (s’agissant à la fois des artéfacts et des organismes biologiques) à l’intérieur du collectif. »([[Ibid., « Les frontières de la société », conférence à la Cité des sciences et de l’industrie, 8 Décembre 2004.)
Karl Polanyi nous avait montré la séparation progressive des sphères économique, politique et religieuse opérée par l’Occident moderne sur quelques siècles, séparation parallèle à celle qui fut conduite dans le champ de l’épistémologie afin de produire une « Nature » objective coupée d’une « Humanité » subjective. Cependant, aujourd’hui, ne vivons-nous pas une seconde Renaissance ? Sous le joug des processus liés à la mondialisation (internalisation ou immanence de l’altérité, écho-systémie des phénomènes locaux se transformant en phénomènes globaux, hybridation des systèmes culturels donnant lieu à des épistémologies et sociologies paradoxales, etc.) ne sommes-nous pas tout près de retrouver « l’encastrement » des sphères, « l’emboîtement » des mondes que la rationalité naturaliste avait disjoints ? Si cette hypothèse possède quelque fondement, les développements réalisés par Philippe Descola autour du schème d’identification qu’est l’analogisme risquent plus que jamais d’être une source féconde à la compréhension de ce « collectif-monde à la dimension de la planète » qui est en train de se former sous notre regard, et qui prend la figure, chaque jour un peu plus, d’un chaosmos de singularités qui appelle les interprétations en abîme, les pensées fractales, les cosmologies analogiques.
Sur le même sujet
Articles les plus consultés
- Il faut défendre les invulnérables. Lecture critique de ce qu’on s’est laissé dire, à gauche, sur la pandémie de covid
- Le partage du sensible
- Les circuits courts alimentaires De la complexité à la coopération logistiques
- Des écoles d’art et design en lutte Contribution à une (re)politisation du champ de l’art
- Genre is Obsolete