86. Multitudes 86. Printemps 2022
Majeure 86. Votons revenu universel !

L’engagement du MFRB Pour un revenu de base, véritable pilier de la protection sociale du XXIe siècle

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Né en mars 2013 à l’occasion de la première initiative citoyenne européenne, le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB1) s’est donné pour mission de promouvoir le revenu universel dans le débat public, jusqu’à son instauration.

Sa charte définit ainsi le revenu de base : Le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement.

Revenu d’existence non pas conçu comme une aumône de survie mais comme un droit humain indépendant des conditions sociales, familiales ou professionnelles.

En 2017, avec la campagne électorale présidentielle de Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste, l’idée a conquis droit de cité dans le débat public et elle est enfin sortie du ghetto des utopies et des belles idées qui traversent les siècles sans réussir à s’ancrer dans le réel.

Depuis, nombreuses sont les propositions : Revenu universel d’activité (RUA) pour le gouvernement présidé par E. Macron, socle citoyen proposé par des députés appartenant à divers groupes politiques (LREM, Agir Ensemble, MoDem, Libertés et Territoires, Socialistes et apparentés), projet d’expérimentation dans 13 départements d’une allocation qui regrouperait le RSA, la prime d’activité et l’allocation logement avec une automaticité du versement, la proposition de loi AILES du groupe socialiste qui vise à verser à partir de 18 ans un revenu de base et une dotation universelle.

Si toutes ces propositions ont le mérite de poser le débat à la fois dans l’hémicycle et sur la place publique, elles ne réussissent pas à provoquer l’enthousiasme et l’adhésion des organisations ouvrières ni des grandes associations de lutte contre la pauvreté. La plupart des projets esquissés ces dernières années n’arrivent pas à sortir d’une logique d’assistanat qui se limite soit à une simplification d’un système de redistribution complexe, soit au mieux à l’automatisation de l’allocation d’aides sociales sous la forme d’un revenu minimum garanti pour les plus démunis. Par les diverses conditionnalités, par un montant trop faible, jamais on ne sort d’un système d’aides sociales curatives pour les victimes d’une distribution inégalitaire de la richesse créée, pour aller vers la garantie, en toutes circonstances, a priori, d’un droit humain universel à l’existence qui permette de s’émanciper d’un emploi de survie. Avec le revenu de base il s’agit de passer d’un système d’aides qui assujettit à l’exercice d’un droit qui élève.

Pour cela il est nécessaire de faire une analyse des failles du système actuel de distribution de la richesse créée par le travail et d’en déduire les mesures systémiques à prendre pour garantir ce droit universel. C’est ce à quoi le MFRB s’emploie.

L’universel concret

« Un revenu non pas pour exister, mais parce qu’on existe, parce que chaque personne fait partie de la communauté de destin.» Les mots de l’économiste britannique James Meade, résument ce que doit être une allocation d’existence qui ne peut être qu’universelle, c’est-à-dire versée à tous les membres de la communauté sans condition. Car parce qu’il existe, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, tout être humain a besoin, pour pouvoir être pleinement soi parmi les autres, outre de l’accès à l’instruction et aux soins, d’assurer quotidiennement le couvert et le logis dans des conditions satisfaisantes pour lui et pour toute sa famille. C’est ce que le philosophe Fréderic Worms appelle l’universel concret. Ces dernières nécessités sont, jusqu’à présent, conditionnées au droit à un emploi correctement rémunéré et c’est là que le bât blesse. Le mouvement des Gilets jaunes, comme la pandémie de Covid‑19 ont révélé la détresse de millions de personnes, chômeurs, travailleurs pauvres, artisans, commerçants, paysans, mères célibataires, jeunes sans ressources qui, avec ou sans travail, n’arrivent plus à vivre décemment dans une société où la richesse produite n’a jamais été aussi grande. L’économiste américain William Brian Arthur observe que l’économie en est arrivée à un point où la production est largement suffisante pour satisfaire les besoins de tous, mais où les emplois générateurs de revenus suffisants pour accéder à toute cette richesse produite, se font de plus en plus rares. La question centrale n’est donc plus comment produire davantage, mais bien comment répartir mieux la richesse créée pour assurer en toutes circonstances, à toutes et tous, ce droit universel à une vie digne.

L’insécurité sociale

Si après la Seconde Guerre mondiale, avec la Sécurité sociale, ceux qui n’ont que leur intelligence et leurs bras avaient le sentiment de posséder un patrimoine commun fait de droits sociaux, après 40 années de politiques néolibérales, avec la mise en concurrence des salariés du monde entier, avec l’exigence de compétitivité, la pression sur les salaires s’est accentuée. Avec un outil de production de plus en plus sophistiqué qui exige de plus en plus d’investissements financiers, pour attirer les capitaux, les dividendes ont explosé. En 40 ans, 10 % de la valeur ajoutée a migré de la rémunération du travail vers celle du capital et la part des dividendes dans la valeur ajoutée a plus que triplé ; les inégalités n’ont cessé de s’aggraver.

En outre le progrès technique ne s’accompagne plus de progrès sociaux. Au contraire, Bernard Stiegler décrit la disruption comme un phénomène d’accélération de l’innovation qui va plus vite que l’évolution des sociétés et des systèmes sociaux qui les structurent, ce qui a pour conséquence que ceux qui s’approprient cette innovation technologique, les GAFAM, imposent des modèles qui détruisent les structures sociales existantes et rendent les pouvoirs publics impuissants. C’est l’ubérisation de l’économie où les employés ne sont ni des autoentrepreneurs qui peuvent fixer librement le prix de leur prestation, ni des salariés avec des droits sociaux.

Avec la dévalorisation et la déréglementation du travail, les cotisations sociales adossées sur les salaires ne suffisent plus à financer notre système de Sécurité sociale. Cet assèchement de la distribution de la richesse par la rémunération du travail se manifeste à la fois par l’augmentation du chômage et l’exclusion du système de production, par la précarité dans l’emploi, par de grandes inégalités et des droits sociaux qui s’érodent. L’insécurité sociale règne.

L’État redistribue un peu ce qui est mal distribué

Pour tenter de venir en aide à toutes les victimes de ce système économique, l’État et les collectivités locales, par l’impôt, financent des minima sociaux, des aides aux familles, des aides au travail pour le salarié (prime d’activité) et pour l’employeur (CICE, réduction Fillon). Aujourd’hui il existe plus de 50 aides différentes, ciblées, qui absorbent plus de 100 milliards d’euros, soit largement le montant de l’impôt sur le revenu payé par moins de la moitié des foyers fiscaux et de ce qui reste de l’ISF rebaptisé IFI.

Cette redistribution curative, a posteriori, conditionnée, stigmatisante, familiarisée ne réussit pas à s’attaquer aux causes de la pauvreté et laisse autour de 10 millions de personnes sous le seuil de pauvreté dont plus de 2 millions de travailleurs. Par la complexité des procédures, de nombreux allocataires ne perçoivent pas ce à quoi ils ont droit. Enfin et surtout, elle divise la société en sous citoyens, les ayants droit et contributeurs, pendant qu’une minorité fait sécession à coups d’optimisation fiscale, ce qui induit amertume, ressentiment, méfiance et repli sur soi. D’une république unie et indivisible on passe progressivement à une république fragmentée façon puzzle.

« Le système des aides sociales, c’est le moyen de faire taire les classes laborieuses qui prennent de plein fouet les ravages du capitalisme mondialisé. » C’est ce qu’écrivait déjà en 1907, Simmel, philosophe et sociologue allemand2.

Vers une redistribution transformatrice

Pour avancer, il nous faut partir du constat qu’aujourd’hui le travail ne paie plus pour beaucoup trop de salariés. L’emploi n’arrive plus à assurer les deux fonctions qui lui sont propres : produire les conditions élémentaires d’existence, définies par l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et se réaliser, se produire soi-même en fonction de ses compétences au sein d’un collectif social et culturel 3 . Trop souvent, pour assurer le premier objectif qui est de gagner sa vie, on sacrifie le second qui est de s’épanouir dans une activité choisie.

Le philosophe marxiste Daniel Bensaïd souligne cette impérieuse nécessité de la socialisation d’une part des revenus d’activité :

« La division sociale complexe du travail devrait permettre une socialisation accrue du revenu et une extension des solidarités. Ce serait le sens d’un revenu universel garanti déconnecté du travail, non dans sa version libérale d’une aumône de survie mais dans une logique du droit à l’existence et de l’extension des domaines de gratuite4. »

Sans perdre de vue le combat pour rééquilibrer en faveur du travail le partage de la valeur ajoutée, on peut dès à présent changer de pied en, d’une part, répartissant mieux la solidarité entre travail et capital – les machines qui remplacent de plus en plus les humains doivent aussi contribuer par une cotisation à l’existence des ouvriers qu’elles remplacent, comme le préconisait déjà Sismondi au début du XIXe siècle5 – et, d’autre part, en substituant à la redistribution actuelle, organisée par l’État une redistribution universelle transformatrice, préventive et inclusive (Nancy Fraser6), administrée par une branche de la Sécurité sociale. Le tout, pour financer une allocation d’existence inconditionnelle et individuelle fondée sur le principe de solidarité universelle : chacun contribue en fonction de ses moyens (en revenus et en patrimoine) à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble de la communauté pour se nourrir et se loger dignement en toutes circonstances ; à revenu universel, contribution universelle. Ce revenu dissocié de l’emploi doit être d’un montant suffisant pour éradiquer tout au long de la vie la pauvreté en se substituant à toutes les aides conditionnées financées par le budget de l’État (jamais de revenu individuel par unité de consommation inférieur au seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian).

Ce n’est plus le montant de l’aide qui est négociable mais son financement. Le 1er de chaque mois on reçoit inconditionnellement, en fonction de la composition du foyer, de son âge, (voir l’exemple ci-dessous) de quoi vivre dignement, à la fin du mois on contribue en fonction de la rémunération de son activité, de son patrimoine, au financement de cette allocation vitale.

Exemple : une allocation d’existence
dont le montant est ajusté à toutes les étapes de la vie

âge

montant

commentaires

à la naissance

1 800 

versé aux parents

0-14 ans

350 

versé aux parents

14-18 ans

500 

versé aux parents

18-60 ans

900 

50 % du revenu médian

pendant 15 ans suivant les circonstances

1 110 

seuil de pauvreté à 60 %

à partir de 60 ans

1 110 

seuil de pauvreté à 60 %

au décès

4 500 

participation aux frais d’obsèques

en moyenne tout au long de la vie

890 

Son financement peut être assuré par une contribution progressive sur tous les revenus, d’activité et du patrimoine qui remplace l’impôt sur le revenu, une contribution progressive sur le patrimoine net privé qui se substitue à l’I.F.I. et une cotisation sur le capital productif, l’EBE. (Voir les tableaux ci-dessous)7

revenus primaires bruts

1 450 milliards d’

revenus par habitant (67 millions)

1 803 

cotisation AUE sur les revenus (en moyenne 30 %)

541 

montant du patrimoine net privé

12 500 milliards d’

patrimoine par habitant

186 500 

cotisation sur le patrimoine net privé (en moyenne 2 % par an)

310 

E.B.E. (Excédent Brut d’Exploitation)

400 milliards d’

E.B.E. par habitant

497 

cotisation E.B.E. (10 %)

50

montant mobilisé par habitant

901 

Les montants mobilisés

recevoir

le 1er du mois

une allocation universelle d’existence de 890  en moyenne

contribuer

à la fin du mois

par une cotisation sur les revenus :

–> de 0 à 30 % jusqu’à 2 000  de Salaire brut,

–> 30 % de 2 000  à 10 000 

–> 50 % sur les revenus supérieurs à 10 000 

par une contribution de 10 % sur l’EBE

rendre

une petite part du patrimoine :

–> de 0 à 2 % pour les revenus < 3 000 

–> 2 % pour les patrimoines < 2 000 000  et les revenus > 3 000 

–> 2,5 % pour les patrimoines supérieurs à 2 000 000 

Ce nouveau droit ne doit pas être le fossoyeur de notre Sécurité sociale. Au contraire il met réellement en œuvre le programme de la Sécurité sociale écrit il y a 70 ans et tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 :

« La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. »

Il n’en coûterait rien au budget de l’État puisqu’il s’agit d’une redistribution interne au corps social ; le niveau de contribution des plus riches envers les plus pauvres ne dépendant que du niveau des inégalités. Le budget de l’État et des collectivités locales serait libéré de sa mission de redistribution par l’impôt (I.R. et IFI : 80 milliards ) des aides sociales et réductions de cotisations (100 milliards ).

D’autres moyens de financement ou de distribution peuvent venir compléter ce dispositif fondé sur la solidarité sans en altérer la philosophie générale : La création monétaire, avec la distribution d’un revenu d’existence en monnaie libre, les monnaies locales, la TVA, une taxe pollen8 sur les transactions monétaires et/ou marchandes, la gratuité de service ou une Sécurité sociale alimentaire.

Une allocation protectrice

Par son montant elle immunise le corps social contre la pauvreté. Les plus concernés sont les travailleurs pauvres, les jeunes adultes célibataires sans travail, les étudiants, les familles monoparentales, mères célibataires, les enfants de familles pauvres, les personnes âgées, quel que soit leur parcours de vie, elles sont assurées d’un minimum vital égal au seuil de pauvreté. Elle protège aussi contre les accidents de la vie. Elle complète et renforce les indemnités de compensation dues à un handicap, une invalidité ou une dépendance (AAH, aides à la dépendance) qui s’ajoutent à l’allocation d’existence.

Une allocation émancipatrice,
pour ne plus subir et pouvoir choisir

Comme l’affirme Jean Marie Harribey, « Le travail est “vivant” parce qu’il est vital dans un double sens : vital pour produire les conditions concrètes d’existence, vital pour se produire soi-même au sein d’un collectif social et culturel9. » Il s’agit avec cette allocation d’existence de socialiser le premier objectif pour que chacun se consacre pleinement au second qui est de se réaliser socialement.

Ce revenu socialisé dissocié de l’emploi individuel, doit permettre de répondre aux mutations en cours dans le monde du travail comme aux défis environnementaux à surmonter dans les années à venir. Quand la vie n’est plus soumise au chantage de l’emploi, le revenu universel permet de se libérer d’une économie productiviste. Face aux défis environnementaux, il permet à chacun de faire les bons choix pour la collectivité, tant dans son rôle de producteur comme celui de consommateur, étant assuré, qu’en toutes circonstances, il disposera du nécessaire grâce à la solidarité de l’ensemble des membres de la communauté. Ainsi il est possible d’envisager une transition écologique vers un monde plus frugal, à la fois respectueux des êtres humains comme de l’environnement et des ressources terrestres. Cette allocation d’existence permet d’aller vers la civilisation du temps libéré chère à A. Gorz. On ouvre la voie vers la réduction du temps de travail, individuellement et collectivement, à un meilleur partage des emplois ; elle permet ainsi de lutter efficacement contre le chômage. C’est aussi le pouvoir de changer d’activité, de réaliser un projet, d’échouer et de rebondir, de s’émanciper de sa famille ou de son clan. En libérant le travail de l’obligation d’assurer individuellement l’existence, on ouvre le champ des possibles. Ainsi ce revenu d’existence viabilise l’agriculture paysanne, les commerces de proximité, l’artisanat local, les activités culturelles et la création artistique, les métiers de l’accompagnement et de l’aide à la personne ; la formation, le changement de métier, les ruptures dans une carrière professionnelle, l’intermittence, la mobilité, peuvent être envisagés plus sereinement ; il valorise les activités non marchandes, familiales ou sociales et autorise l’implication dans la vie de la cité ; en donnant de l’assurance et de la sécurité, ce revenu de vie libère l’individu du stress du lendemain, de l’insécurité, de l’usage de psychotropes, drogues et autres produits, allégeant du même coup les dépenses sociales des organismes publiques et le déficit budgétaire de l’État qui est aussi libéré de la charge des aides sociales que ce revenu de vie remplace.

Par sa dimension universelle cette allocation, en assurant une retraite individuelle de base permet de réorienter une part des cotisations pour une retraite complémentaire vers l’assurance maladie qui, avec la transformation de la CSG en cotisation permet d’aller vers une couverture universelle à 100 %, rendant du même coup obsolète les assurances complémentaires.

Avec la diminution du chômage, l’augmentation de l’activité et l’accroissement des richesses créées individuellement, il ne fait aucun doute que l’ensemble des institutions publiques en seront bénéficiaires. Ainsi ce revenu de base permettra à terme de réduire les dépenses publiques dues aux dégâts humains et sociaux du système actuel.

L’allocation, comme la contribution, sont individuelles, émancipant la personne de toute contingence familiale. Elle permet ainsi de dire non à des conditions dégradantes que ce soit dans le cadre de la vie privée ou dans celui de l’entreprise. Enfin, quand tout le monde contribue de manière simple par un effort progressif en fonction de ses revenus et de son patrimoine, sans exception, à l’allocation de ce dividende universel, la cohésion de la société en est renforcée. C’est la fin des exemptions catégorielles, des ayants droit, des niches fiscales qui divisent la société et font que le coût des autres l’emporte sur l’empathie. Le consentement au financement de ce droit universel est plus facilement accepté. Le flux des plus riches vers les plus démunis ne dépendant que du niveau des inégalités dans la société.

« Il s’agit de construire un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi. » Philippe Van Parijs, philosophe, fondateur du B.I.E.N (Basic Income Earth Network).

Ce revenu de base n’est pas seulement un outil d’émancipation individuelle, il régénère l’ensemble de la société. Comme avec la Sécurité sociale, il s’agit à la fois d’un moyen de protection et d’émancipation. Cette proposition ne modifie pas immédiatement le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, elle ne remet pas en cause la propriété des moyens de production, elle vise seulement, par la solidarité de toutes et tous, à réarmer tous les citoyens pour conduire ensuite d’autres combats vers un partage plus équitable des richesses, à créer les conditions objectives pour créer une alternative globale à ce monde marchand prédateur et mortifère.

Après la crise sanitaire de 2020-2021 qui a révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices de leur propre anéantissement10. Il est minuit moins cinq et il est impérieux que tous ceux qui prétendent représenter et défendre les victimes des politiques économiques néolibérales, la gauche, les partis dits progressistes dans leur ensemble, les organisations ouvrières, s’arment pour mener un combat commun autour de propositions concrètes qui répondent aux besoins fondamentaux de la majorité de la population. Il faut être force de propositions pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toutes circonstances.

« L’universel concret est revenu. Il est en fait devant nous. La pandémie l’a fait ressortir sous toutes ses formes : du vaccin aux conditions de travail en passant par la santé individuelle et publique. Oui, c’est “tout un programme”. Mais y en a-t-il d’autres, aujourd’hui ? Ne peut-il pas, ne doit-il pas nous réunir ? », écrit le philosophe Frédéric Worms11.

Cette allocation universelle d’existence peut constituer la première page d’un programme de gouvernement, encore faut-il qu’elle permette à toutes et tous de s’affranchir de la charité publique. Car il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens pour que chacun puisse exercer pleinement son métier d’homme 12.

Le MFRB avec l’énergie de l’ensemble de ses adhérents se doit de convaincre le plus grand nombre que l’heure est venue pour mettre en œuvre cette belle idée émancipatrice.

1www.revenudebase.info

2Cité par Alice Zeniter dans Comme un empire dans un empire, Éditions Flammarion, 2020.

3Jean Marie Harribey, « La-centralité-du-travail-vivant », revue ATTAC, no 14, été 2017.

4Daniel Bensaïd, Éloge de la politique profane, Éditions Albin Michel, 2008, p. 49.

5D’après la thèse de Jean de Sismondi, (1773-1842) l’introduction de nouvelles machines ne profite qu’au patronat. En effet, les profits grossissent alors que les salaires restent les mêmes. Il considère que cette augmentation des capacités de production va mener à des faillites : la consommation ne peut pas suivre le surplus de production puisque les ouvriers ne sont pas payés à leur juste valeur. Sismondi considère que l’inégal partage des richesses est doublement néfaste : c’est injuste et cela provoque des crises de surproduction. Il pense alors à faire augmenter les salaires grâce aux surprofits que crée la machine qui remplace l’ouvrier, en réduisant le temps de travail et en interdisant le travail des enfants. (Wikipédia)

6Comme l’écrit Nancy Fraser dans : Qu’est-ce que la justice sociale ? : « Les remèdes correctifs à l’injustice sont ceux qui visent à corriger les résultats inéquitables de l’organisation sociale sans toucher à leurs causes profondes. Les remèdes transformateurs, pour leur part visent les causes profondes. » [] « Combinant systèmes sociaux universels et imposition strictement progressive, les remèdes transformateurs, en revanche, visent à assurer à tous l’accès à l’emploi, tout en tendant à dissocier cet emploi des exigences de reconnaissance. D’où la possibilité de réduire l’inégalité sociale sans créer de catégories de personnes vulnérables présentées comme profitant de la charité publique. Une telle approche, centrée sur la question de la distribution, contribue donc à remédier à certaines injustices de reconnaissance. »

7Pour compléter voir la présentation de l’allocation universelle avec le lien suivant :

https://guyvaletteparis.wordpress.com/2021/09/26/lallocation-universelle-dexistence-presentation/ qui développe une série d’exemples concrets pour montrer le potentiel réparateur et émancipateur de cette proposition.

8Yann Moulier Boutang, « Pour un revenu d’existence de pollinisation contributive », revue Multitudes no 63.

9Jean-Marie Harribey, « La centralité du travail vivant », revue ATTAC, 19 /09/2017 – https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-14-ete-2017/dossier-le-travail/article/la-centralite-du-travail-vivant

10Barbara Stiegler : Il faut s’adapter, Sur un nouvel impératif politique, Éditions Gallimard, 2019, page 276 : « Privés à la fois des moteurs de la réforme et de la révolution, les partis dits progressistes sont un peu partout désarmés, assistant médusés à une troublante perturbation des signes, semblant les condamner soit à l’adhésion passive à la révolutionnéolibérale, soit à la lutte réactive contre ses réformes et pour la défense du statu quo. Les anciens conservateurs mutent en progressistes, tandis que les anciens progressistes sont dénoncés comme conservateurs. »

11Frédéric Worms, « L’universel concret est de retour », Libération, 13 mai 2021.

12Sylvie Portnoy Lanzenberg Notre métier d’humain, Éditions L’Harmattan 2020 en référence à Albert Camus qui dans La Peste écrit sur le « métier d’homme ».