78. Multitudes 78. Printemps 2020
Mineure 78. Micropolitiques de la restitution

Les Européens se jouent-ils à nouveau des  Africains ?

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Lorsque nous étions écoliers, nous nous demandions comment les Européens avaient fait pour instrumentaliser ainsi les Africains au moyen de la traite négrière, contre leurs propres intérêts. Le régime colonial nous intrigua encore plus car nous étions témoins des faits et gestes de nos frères et parents qui évoluaient dans un système qui ne semblait pas les rendre heureux, mais auquel ils tentaient néanmoins de mettre fin. L’iniquité du système et ses injustices étaient évidentes pour beaucoup d’entre nous, mais comment cela avait-il pu durer aussi longtemps ? Enfant, nous en sommes alors venus à la conclusion que les Européens devaient non seulement avoir de meilleures armes mais aussi de meilleures stratégies pour déjouer les manœuvres de nos aînés.

La controverse de  la  restitution

Lorsque je considère les discussions actuelles sur la restitution des objets africains pillés, j’ai le sentiment qu’une situation similaire est en train de se reproduire et que, dans un avenir pas trop lointain, les écoliers se demanderont comment il se fait que toutes les plus belles pièces en or d’Asante se trouvent en Europe et en Amérique, que les plus somptueux bronzes du Bénin se trouvent en Europe et en Amérique, que les fabuleux objets éthiopiens se trouvent en Europe et en Amérique. Cette fois, les Européens n’ont pas utilisé de fusils mais une meilleure stratégie et des incitations pour obtenir le consentement des Africains à ce que les plus beaux objets africains, auparavant pillés avec des fusils, restent dans les musées occidentaux, malgré les objections de certains Africains et de leurs partisans dans le monde occidental.

La Fondation du patrimoine culturel prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz), en Allemagne, a annoncé le 19  septembre 2019 que 23 des 1 400 objets namibiens pillés, aujourd’hui conservés au Musée d’ethnologie/Humboldt à Berlin, seront transférés en Namibie. Au cours de cette annonce, Herman Parzinger, président de la Fondation, a déclaré que les Namibiens obtiendront –  pour le moment  – ces objets en prêt temporaire mais qu’à la fin des prêts, il serait ouvert pour discuter de leur séjour permanent en Namibie. Il a laissé ouverte la question de savoir s’il s’agira d’un prêt permanent ou d’une restitution. Un participant a exprimé l’opinion que cela risquait de ne pas être correct. Un des présentateurs est alors intervenu pour expliquer que Herman Parzinger avait été mal interprété. J’ai écouté un enregistrement de la réunion et j’ai cru comprendre que le président de la Fondation prussienne pour l’héritage culturel disait en effet que les Namibiens pourraient conserver certains des 23 objets.

Mais je ne suis pas surpris de cette inutile confusion. C’est le jeu habituel des partisans des musées, dits « universels », que de faire des déclarations ambiguës aux significations différentes selon des publics différents.

La stratégie générale suivie par les Allemands et les autres Européens, dans le cadre de ce que l’on appelle le « groupe de dialogue sur le Bénin » consiste à ne pas admettre, par principe, que le pillage des objets d’art était une erreur et qu’il faut à présent les restituer. La restitution, selon eux, conduirait à admettre que les divers massacres et génocides, ainsi que l’impunité coloniale qui a permis les divers raids et pillages, étaient également répréhensibles. Les Allemands n’accorderont pas aux Namibiens que le génocide des Herero et des Nama est un crime contre l’humanité. Les Britanniques n’admettront pas que l’invasion de Benin City en 1897 ainsi que le pillage de milliers d’objets d’art béninois furent des erreurs.

La négation de la question de principe

Une fois la question de principe laissée de côté, les Britanniques comme les Allemands sont prêts, ou du moins, disent qu’ils sont prêts, à aider les Africains. Les Allemands ont même rendu la Cape Cross à la Namibie et disent que des retours futurs ne sont pas exclus. Les Européens sont tous prêts à nous prêter nos objets pillés, y compris les objets du Bénin. Mais pourquoi ne peuvent-ils pas restituer les objets ?

Certaines explications, telles que les difficultés juridiques, peuvent être avancées, mais de telles excuses boiteuses ne trompent personne. Il n’y a pas de difficulté juridique s’il y a une volonté de faire ce qui est juste. Ils ont conservé ces objets pillés pendant cent ans ; ils pourraient les conserver pendant les deux prochaines années ou le temps nécessaire pour mettre en place la législation requise. Les ministres allemands de la culture ont déclaré en mars  2019 qu’il n’y a pas de difficultés juridiques pour la voie de la restitution et que si nécessaire, une nouvelle législation serait fournie.

Mais comment les Africains réagissent-ils à tout cela ? Les Éthiopiens ont clairement fait savoir qu’ils n’accepteraient pas de prêt de leurs objets d’art pillés par les Britanniques à Maqdala en 1868. Les Nigérians semblent même avoir accepté l’idée de prêts d’objets d’art Edo-Bénin pillés. Cependant, lorsque j’ai mentionné cela dans un article, j’ai été sévèrement critiqué par un juriste nigérian qui a conseillé la Commission nationale nigériane des monuments et des musées, mais il n’a pas avancé un seul argument pour justifier l’idée que le Nigeria emprunte des artefacts béninois pillés à ceux qui les ont pillés en 1897, les Britanniques.

Comment les futurs enfants nigérians et namibiens verront-ils tout cela lorsqu’ils réaliseront que, cette fois, les Européens n’ont pas utilisé d’armes ni de puissance militaire ?

Traduit  de l’anglais par Elara Bertho

Titre original : Are Europeans outmanoeuvring africans again ? Paru dans Modern Ghana,
Revue en ligne, le 19.09.2019
www.modernghana.com/news/957223/are-
europeans-outmanoeuvring-africans-again.html