Intériorités extranéisées ; extériorités rebelles aux réductions signifiantes univoques. Peuple des surfaces engendrant de nouvelles profondeurs, de sorte que le dedans et le dehors n’entretiennent plus les rapports d’opposition exclusive auxquels les occidentaux sont accoutumés et que les matières signalétiques propres à la texture de la subjectivité se trouvent inextricablement liées aux composantes énergéticospatio-temporelles du tissu urbain (Tokyo l’orgueilleuse[[ Félix Guattari « Tokyo l’orgueilleuse », Multitudes 3/2003 (no 13), p. 55-58. ).
Penser malgré Fukushima
La catastrophe du 11 Mars au Japon résonne aujourd’hui comme l’exemple même de la folie technocratique, rendant réel un accident qu’on nous disait toujours impossible, ou réservé à des pays utilisant des technologies vétustes. Au delà de toutes les précautions qu’on voudrait instaurer, au delà des exhortations à sortir définitivement de cette technique incontrôlable, les choix technologiques restent, la voie du nucléaire semble s’imposer d’elle-même à ceux qui nous dirigent. Fukushima nous crie son danger au visage, mais aujourd’hui les dirigeants européens, ne pouvant plus invoquer l’argument de la sécurité, se rabattent sur l’argument de son impossible remplacement. « Trop cher » d’en sortir dira le président français. Le nucléaire comme industrie n’obéit pas à une logique rationnelle, mais bien à une logique machinique au sens de Guattari. Ce type de fonctionnement s’accommode bien de notre effarement, de tous les « nous le savions » malsains. Nous voudrions revenir sur l’événement en tissant quelques traits de singularité de ce qui se passe aujourd’hui au Japon, tout en tentant de relire l’événement écologique Fukushima à travers les outils de Félix Guattari.
Objet Multiple
Le 11 mars est une catastrophe multiple à bien des égards. Il s’agit d’un triple événement, tremblement de terre, tsunami meurtrier, accident nucléaire. Cet accident lui-même doit se lire de manière plurielle : accident technique, mais aussi politique, humain, sanitaire, mental, etc.
Les bilans prolifèrent : telle quantité de Césium a été relâchée dans l’atmosphère, on peut mesurer la radioactivité résiduelle, dresser des cartographies de la pollution, tenter de montrer à quels endroits la contamination est maximale, pour qui cela sera le plus dangereux. Les rapports s’accumulent sur les mensonges de l’appareil étatico-industriel, sur la gestion partielle et partiale de la catastrophe. Les dégâts du tsunami venant s’additionner à ceux de l’accident de la centrale. Le bilan humain, politique et sans doute bientôt médical ne cesse de s’alourdir.
Les questions et interpellations alors prolifèrent. Pourquoi avoir construit des centrales nucléaires en bord de mer dans le pays qui compte le plus de tremblements de terre par an ? Où une catastrophe de ce type est prévue par tous les japonais, en attente du grand tremblement de terre ? La littérature japonais fait état de cet attente du « big one », du tremblement meurtrier qui détruira Tokyo, on retrouvera cette crainte à l’œuvre dans des romans, mangas ou dessins animés. Il y a un an encore était diffusé sur la chaîne Fuji TV un anime intitulé « Tokyo Magnitude 8 », racontant les péripéties d’un jeune garçon et de sa grande sœur lors d’un tremblement de terre destructeur touchant Tokyo de plein fouet.
Pour tout cela, on trouvera sûrement des coupables. L’état japonais fera certainement le tri entre ceux qui ont réagi correctement, honorant ce stoïcisme dont ils sont si fiers, et punissant ceux qui n’ont pas réagi comme ils le devaient. On prendra certainement des mesures visant à rassurer, qui hausseront encore le niveau de sécurité des centrales. On nous dira que cette fois-ci, pour de bon, les centrales sont sûres.
La tentation est grande de dénoncer à la fois les choix techniques qui ont été posés et la gestion de l’après Fukushima. Il y a un « on le savait que cela pouvait arriver » qui insiste en nous, malsain, nous donnant un sentiment de vérité enfin advenue, la preuve que ce genre d’accidents n’était pas réservé aux « autres », comme ce fut le cas lors de Tchernobyl. Cette fois, Fukushima arrive dans pays qui ne fait pas partie d’un autre bloc, d’un autre tiers du monde. Il s’agit d’un pays qui est en « avance » sur cette ligne temporelle d’horizon factice qu’on nous vend sans cesse : celle du progrès technologique.
Japon et Guattari
Le Japon occupe une place particulière dans le travail de Guattari. Cité à de nombreuses reprises à côté du Brésil ou de l’Italie comme exemple d’un pays où des formes de résistances et d’existences s’organisent, il est également un pays que Guattari a visité à plusieurs reprises. Il y a été reçu, aussi bien en personne qu’en tant qu’auteur, ses livres se vendant assez bien, « Les trois écologies » vient d’y être publié à nouveau en format de poche. On sait que Guattari fit également venir à La Borde le danseur Min Tanaka, mais a également tenté de faire venir des artistes japonais à Paris a plusieurs reprises[[ Sur les voyages et la réception de Guattari au Japon on lira Gary Genosko, « Félix Guattari : An Aberrant Introduction », Continuum, 2002, et plus particulièrement les pages 122 à 154. .
On s’en doute, le Japon qui intéresse Guattari n’est pas un pays fixé dans une identité forte, qu’il s’agirait de penser sur le mode de l’essence japonaise ou de la fixité. Il s’agit d’un Japon en pleine transformation, bouillonnant à la fois d’une révolution économique majeure, mais également riche d’un passé, d’une tradition de maintien de valeurs qui diffèrent de l’occident. Il ne s’agit donc pas d’une fascination de récit de voyages pour un pays ayant conservé des richesses anciennes, mais un pays où on peut sentir agir un clash entre économie capitaliste, transfusion occidentale d’une nouvelle économie, et des manières d’êtres traditionnelles, des modes de subjectivations très différents, mais eux-mêmes en prise avec ce nouveau capitalisme mondial. On pourrait dire que ce Capitalisme Mondial Intégré (CMI) s’y intègre justement différemment[[ Félix Guattari, « Les trois écologies », Galilée, 1989, p63, faisant sentir à la fois que le CMI fait des ravages sur la subjectivités, et que les sujets sont toujours bien en prises avec leur production, qu’il n’y a de sujet que comme un à-côté des agencements qui les produisent.
En plus de se demander ce que Guattari aime dans le Japon, il est sans doute aussi important de poser la question de ce que Guattari fait de ce Japon qu’il rapporte avec lui ? Si ce qui l’attire, c’est la créativité qu’il repère, la défonce machinique[[ Voir le texte « Les défoncés machiniques », dans Félix Guattari, « Les années d’hiver : 1980-1985 », Bernard Barrault, 1985 (réédition Les Prairies ordinaires, 2009). élevée au niveau de la collectivité, il y repère aussi des archaïsmes, un rôle pour la féminité qu’il n’hésite pas à dénoncer, etc. Mais avec le Japon, Guattari fait exister de tout autres modes de production de la subjectivité, modes branchés autrement malgré un ancrage similaire du capitalisme.
Il ramènera des danseurs, des architectes, des défoncés, des auteurs, des sujets qui ont su se produire sur un mode mutant autant par rapport à la subjectivité japonaise que la subjectivité française[[ Félix Guattari, La machine visagéitaire de Keiichi Tahara, dans « Cartographies schizoanalytiques », Galilée, 1989 . Ce qu’il rapporte, c’est une différence par rapport à la France, mais une différence aussi dans le Japon de son époque. Jamais Guattari ne s’arrête sur des traits « typiquement Japonais », sauf quand il s’agit de montrer des grands mouvements de déteritorialisation, ou de créer une différence par rapport à nos modes à nous.
Son insistance sur une autre articulation entre archaïsme et modernité peut à ce titre nous intéresser. C’est un cliché du premier guide touristique venu de qualifier la Japon de « pays entre modernité et traditions ». Mais lorsque Guattari s’arrête sur les accroches toujours présentes de l’archaïsme Japonais, ce n’est pas pour célébrer, critiquer ou s’étonner. Mais pour montrer aussi que quelque chose peut résister. Faire exister un « autre » dans le capitalisme, un autre mode d’agencement entre des traits hérité de la tradition, la modernité de machines, les ravages de l’économie. Montrer, si c’est encore nécessaire, que des traits peuvent encore résister autrement à ce grand laminage de la subjectivité, résister collectivement, autrement, avec d’autres défauts, à d’autres prix. Ainsi, le Japon n’est pas un contenant produisant des sujets japonais, mais un milieu dans lesquels des mutations dans les modes de production des subjectivités sont en cours, produisant des espaces nouveaux de liberté autant que des nouvelles aliénations.
Japon et Machine
Le Japon d’aujourd’hui n’est plus tout à fait celui de Guattari. Certaines des choses qu’il dénonçait sont restées d’actualité, comme le difficile rôle des femmes, le machisme ambiant, bien que la situation soit toujours en voie d’amélioration, travail en cours. La bulle économique qui permettait au Japon des années 80 de se tenir royalement en tête de l’économie mondiale n’est plus. Les emplois à vie ont cédé petit à petit la place à un précariat de plus en plus important : aujourd’hui près d’un tiers des jeunes vivent d’emplois précaires et sont désignés par le terme « freeters » concaténation de « free » et « arbeiters », les travailleurs libres. Les partis verts au Japon n’ont presque pas de succès, et les organisations du type Greenpeace comptent très peu d’adhérents, bien moins qu’en Europe ou aux Etats-Unis. La rigidité de l’éducation, les messages incessants de bonne conduite sont accompagnés par de plus en plus de liberté, conquises par la jeunesse prônant d’autres espaces de désirs.
Des phénomènes subjectifs étranges y sont apparus, comme ces célèbres Hikikomori, vivants reclus, dans leur chambre, refusant tout contact extérieur, désertant les exigences d’une société compétitive, ligne de fuite qui se referme sur elle-même, fuite sans issue en dehors de l’ordinateur connecté. Moins violentes, d’autres lignes sont apparues, comme celles des Otakus, ces jeunes gens imprégnés de culture mangas et de jeux vidéos au point de devenir incapable de sortir de leur monde imaginaire. Là aussi il y a le pire comme le meilleur : imaginaire débridé et fuites créatives extraordinaires y côtoient l’isolement autodestructeur.
C’est dans cette société entretenant d’autres rapports entre extérieur et intérieur qu’arrive Fukushima. On a beaucoup parlé du Japon comme le pays de la retenue, de l’implicite, pays où l’opinion ne doit pas se manifester en public, et est toujours allusive.
Et pourtant, ce Japon là est bien en train de changer. Si tout cela reste en grande partie, molairement, vrai, d’autres formes réapparaissent aujourd’hui. Après Fukushima, d’autres lignes se tracent, jusque dans les médias de masse. Ainsi l’édition en anglais du Asahi Shimbun, un des plus grands journaux japonais, s’est permis une série en huit épisodes sur le devenir d’un groupe d’habitants de Fukushima ayant été prévenus par des travailleurs en combinaison blanche, alors que ceux-ci avaient reçu pour consigne de ne pas alarmer les habitants[[ http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201112020100a . La désobéissance civile trouve sa place aujourd’hui dans les grands médias japonais, même si cela reste, une fois de plus, allusif.
Ces modifications subjectives en cours, ces reprises de lignes qui préexistaient mais qu’on peut requalifier aujourd’hui, elles sont là malgré les discours rassurants sur le nucléaire, malgré tout ceux qui voudraient qu’une fois de plus, il n’y ait rien à penser dans Fukushima, que ce ne soit qu’un événement technique, certes important, mais qui ne concernerait qu’un pauvre rayon de 30km autour de la centrale. Avec Guattari, on pourrait dire que Fukushima machine la situation japonaise actuelle pour grand nombre de japonais, mais aussi pour certains groupes concrets, plus facile à discerner, en dont on peut parler sans rester à trop de généralité, sans concept massifs.
Le concept générique de Machine renvoie chez Guattari à un agencement de processus hétérogènes qui « machinent le monde ». Il s’agit d’un processus en acte, résultat relationnel de ses diverses composantes historiques, sociales, écologiques, techniques, etc. La force de l’opération est de cartographier la manière dont les composantes hétérogènes fonctionnent ensemble, sans mise en hiérarchie, sans causalité supérieure, chaque composante gardant son existence propre, mais étant transformée par le type de fonctionnement dans lequel elle est prise. Machiner, c’est produire, avoir des effets à la fois en dehors de l’agencement, mais aussi sur ses composantes. Ce qui est important, c’est comment ça fonctionne, ce que ça produit, permet, la manière dont la machine s’affirme, sa « consistance énonciative spécifique[[ Félix Guattari., « Chaosmose », Galilée, 1992, p.54 ».
Fukushima existe ainsi sur plusieurs plans, reconfigure des ensembles de la société japonaise, retrace des lignes nouvelles, fait prendre de nouvelles directions à des groupes existants, et en fait émerger d’autres. Les couplages sont multiples et machiniques, ils transforment à chaque fois des territoires existentiels pour recréer des territoires nouveaux, avec leur propres temporalités. Il y a le territoire naturel du Japon, celui qu’on peut cartographier comme pollué, l’espace requadrillé par le césium, transformation de l’espace habitable, sacré, vécu, en un espace de pollution invisible, sujet des omissions et mensonges d’état. Sa temporalité devient celle de la dépollution : marqué pour des dizaines d’années du sceau de l’impénétrabilité.
Mais d’autres territoires et d’autres couplages s’organisent. Il y a celui du quotidien, où loin des groupes formés capables de s’auto-poser, on retrouve des citoyens individuels, préoccupés de leur avenir, de cette même pollution invisible, connectés aux compteurs geiger. Couplage de machines : les compteurs geiger se sont très rapidement bien vendus au japon. Les citoyens se sont organisés en groupe de mesure de la radioactivité, pour pallier l’absence d’information, mais se sont alors mis à réexplorer leur quotidien. Vaste territoire mental collectif en prise avec celui des normes de comportement japonaises : ne pas réagir de manière brusque, ne pas paniquer, ne pas faire déshonneur, mais tout autant en prise avec les normes occidentales : faire vérité, exiger, revendiquer sur le mode de la manifestation.
Ainsi, le groupe des « Shiroto no ran », la fronde des amateurs, aujourd’hui sur le devant de la scène. Le groupe militant existe depuis quelques années, et a petit à petit pris possession de l’espace public, ouvrant cafés et magasins de seconde main, objets de récupération contre le consumérisme de masse. Ces activistes font partie, comme les syndicats défendant les droits des freeters, de cette génération de japonais organisés, rendus capables par leurs expériences d’agencements avec une consistance énonciative spécifique. Ce n’est pas parce qu’ils auraient « prévu » la catastrophe, où qu’ils avaient déjà tenté de penser que faire dans un monde avec moins de ressource (pétrole ou uranium) qu’ils sont capables de penser l’action contre le nucléaire. Mais ces groupes sujets rendus capables de penser par le collectif se sont vu machinés par Fukushima, bien malgré eux, organisant manifestations, sittings, groupes de paroles, reprenant à leur compte la puissance de réinvention dont ils ont besoin aujourd’hui.
Dans ces nouvelles manifestations nous voyons des conjonctions, des transversalités d’art, de remise en question de la subjectivité, de la nature, de la politique, et le tout autour de gestuelles, de chorégraphies, de musique, de manières de se poser par rapport aux autres, de manière de jouer un rôle, bref, des creusets nouveaux de subjectivation. Shiroto no ran : la création de processus concrets d’expérimentation urbaine, humaine, politique. Cette conjonction de révolutions n’est pas le fruit du hasard, mais n’est pas non plus évidente. Ce n’est pas parce qu’on décide de vivre autrement qu’on doit s’occuper du nucléaire. Une autre subjectivité japonaise est peut-être en train de voir le jour. Non pas une subjectivité pour tous les japonais et japonaises, mais une subjectivité tout autant japonaise que les autres, et pourtant mutante, sur une ligne qui lui est propre, qu’elle forme en existant. C’est un fil ténu d’existence.
Vivre autrement
Au delà de l’indignation, ces groupes-sujets se sont remis à penser autrement, bousculant les catégories prédéfinies, et tentant des solutions concrètes, des expérimentations qui ne demandent qu’à proliférer. C’est la relance de la machine-pensée qu’il s’agit alors de mettre en avant, celle qui permet de sortir des pièges que notre monde fabrique. Par exemple le piège de « c’est le nucléaire ou on brûlera des énergies fossiles, augmentant le réchauffement du climat, on n’a pas le choix pour couvrir les besoins en énergie ». Tenter de se réapproprier sa vie, le pouvoir sur sa vie. Travailler ensemble. Il ne s’agit pas spécialement d’une mutation sociale globale, mais de mutations concrètes, dans des groupes réels. Ce qui importe dans ces différences par rapport aux clichés véhiculés sur le Japon, ce sont les lignes de fuites que cela crée, les nouvelles positions qui sont établies, les postures nouvelles. Comme toutes lignes, elles se font en rapport avec le milieu, en commerce avec l’existant, témoignant à la fois « du Japon » et des virtualités à mettre en œuvre.
Le point de l’objet écosophique est qu’il est relationnel. Il ne tire sa signification pas seulement de lui-même, mais des relations qu’il tisse avec son milieu. L’objet écosophique se trouve pris dans des rapports multiples et hétérogènes, qui déterminent des significations pour l’objet dans d’autres lieux. Pensée de l’assemblage : quel assemblage mortifère rend possible une catastrophe telle que Fukushima ? Quel assemblage peut anesthésier la pensée au point de continuer aujourd’hui dans la course folle de l’atome ? L’agencement rend les travailleurs du nucléaires incapables de penser le risque cumulé tremblement de terre – tsunami. Là aussi, il ne s’agit pas de penser que nous ne savons pas, qu’ils ne savaient pas, mais que c’est l’agencement qui rend incapable de penser le possible.
La question du nucléaire au Japon devient une vraie question écologique, maintenant qu’elle se connecte avec des luttes différentes, qu’elle prolifère en concernant non plus seulement des techniciens, mais également ceux qui tentent de rendre possible un autre mode de vie au Japon. Certes, il s’agit aussi d’honorer ceux qui se sont battus depuis des décennies contre cette technologie, ceux qui ont acquis un savoir sur le nucléaire et son industrie et dont tout le monde peut profiter aujourd’hui. La vitesse avec laquelle s’est propagé le savoir sur ce qu’est un Becquerel, sur comment utiliser un compteur Geiger pour trouver des poches de radioactivité et pallier aux mensonges d’état, doit beaucoup aux activistes anti-nucléaires agissant de longue date. Aujourd’hui la question se connecte, de la quotidienneté du supermarché où les clients refusent d’acheter des produits en provenance de la région de Fukushima, à celle des activistes freeters cherchant un autre mode économique, en passant par les cultivateurs de thé ne sachant que faire de leur production irradiée au-dessus du seuil légal. Le quotidien est machiné par cet être nouveau, le problème nucléaire, jusqu’ici sans grande prise, mais qui se retrouve au centre de l’attention. Aujourd’hui les enseignes lumineuses d’Akihabara sont en berne. Dans les transports publics, à côté des annonces demandant aux jeunes femmes de ne pas se maquiller pour ne pas déranger leurs voisins ou des appels à ne pas téléphoner dans les wagons, des affiches exhortent les citoyens à diminuer leur consommation électrique. L’heure est à la vague du « setsuden », l’économie d’énergie. Certaines firmes encouragent leurs employés à réduire leurs horaires de travail afin de ne pas consommer d’électricité pendant les heures de pic de production. Le site internet de TEPCO propose de visionner en ligne la disponibilité de l’électricité[[ http://setsuden.yahoo.co.jp/tokyo/denkiyoho/ de la nation.
L’électricité change de statut. D’une ressource invisible, elle se produit comme une denrée rare et problématique. Elle ne change pas de statut toute seule, c’est l’agencement de sa production et son lien avec le reste du monde qui la produisaient comme non problématique et qui aujourd’hui la rendent visible, politique. Déterritorialiser l’événement Fukushima, ce n’est pas le penser en dehors du Japon, c’est penser à la fois la catastrophe comme localisée, mais aussi comme laboratoire des catastrophes prévisible en dehors du Japon. L’énergie de ceux qui pense aujourd’hui pourrait bien se propager, à l’aide des nouveaux médias, tweeters, blogs, facebook, dans une reprise post-medias que Guattari appelait de ces vœux. L’espoir a la chance d’être en partie mondialisé : indignés d’italie, occupy wall street, printemps arabes, etc. Le monde sent bon l’expérimentation, le reclaim.
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