Le décompte quotidien des morts du coronavirus réduit la vie à la survie biologique. Le confinement nie et étouffe certains des besoins sociaux qui sont pourtant inhérents à notre survie psychologique. Mais l’enjeu de la politique est d’élever nos capacités et nos jouissances communes au-dessus des seules questions de subsistance – pour nous donner accès à une sur-vie plus haute que la simple persistance dans l’être.
Exemple : ma maman, déjà bien avancée dans son départ pour Alzheimer, réside dans une maison de retraite située à 500 km de chez moi, qui n’autorise de visite que pendant une demi-heure et à une distance d’au moins deux mètres. Lui tenir la main, l’embrasser longuement, lui faire des bisous lorsque je pouvais aller lui rendre visite : c’est cela qui constituait depuis quelques mois notre seule forme de communication. Ma maman n’aura aucun moyen de comprendre pourquoi je resterai loin d’elle lors de mes rares visites. Ce sera plus cruel d’être aussi proche et aussi distant d’elle, sans raison apparente, que de ne pas la voir du tout.
Les réglementations qui protègent les EHPAD sont parfaitement rationnelles. Elles visent à maximiser les chances de survie des populations fragiles dont il faut prendre soin. Mais ce souci de la survie ampute l’existence des personnes protégées de la part de sur-vie – de vie-plus-intense : s’embrasser, et non seulement se voir – qui donne sens et valeur à nos existences.
Une tendance forte des dispositifs immunitaires et sécuritaires à venir sera de rabattre nos questions de formes de vie sur des calculs de quantité de vies. Le défi des sociétés virales – et de cet abécédaire – sera d’affirmer l’aspiration à une sur-vie, nourrie par des facteurs difficilement quantifiables, que la zoopolitique dominante risquera de condamner comme « non-essentiels ».
[voir Nos aînés, Vivantité, Zoonose]