Majeure 21. Subjectivation du Net : postmédia, réseaux, mise en commun

Syndication, information nomade et médias intimes

Partagez —> /

La notion de média massif, formaté, rigide, unilatéral, opérant la séparation des acteurs et des spectateurs est, on le sait, largement remise en cause par l’internet. Mais l’étude du mécanisme portant le nom de syndication RSS montre que la notion même de média doit être profondément réinterrogée : s’il est préférable, pour reprendre le slogan des pratiques alternatives, de « devenir » le media plutôt que de le « haïr », on se demandera désormais aussitôt : quel média ? La syndication RSS permet en effet de transformer l’information en pratiques de production permanente de subjectivité. Circulant automatiquement de blogs en blogs, de sites en sites, sans cesse renouvelée, archivée, sélectionnée, personnalisée, enrichie, l’information devient le combustible malléable des individus comme des communautés qui en font usage. Historique et potentialités en devenir de ces innovations seront ici présentées.

Conceiving the media as something massive, solid, rigid, unilateral, opposing agents and viewers, makes less and less sense in view of the development of the internet. However the analysis of the mechanism known as RSS Syndication shows that it is the very notion of the media which must be questioned. If it is better to “become” the media than to “hate” it, as the slogan for alternative practices invites us to do, we are clearly led to ask : what media? RSS Syndication allows us to transform information into practices of permanent production of subjectivity. Circulating automatically from blogs to blogs, from sites to sites, constantly renewed, archived, selected, personalized, enriched, information becomes the smooth fuel that feeds the individuals and the communities which use it. This article discusses the history and future becomings of such innovations.
En quelques années les modalités et les possibilités de circulation de l’information et, plus globalement, des savoirs et des créations via l’Internet se sont assez largement diversifiées et étendues, bien au-delà du modèle même du Web et de la publication en ligne, au-delà en particulier des modèles contraignants du portail ou de la publication en ligne. L’innovation la plus visible dans le domaine, parce que la plus médiatique aussi, est très certainement le phénomène des blogs, ces carnets de notes sur le Web, tout à la fois intimes et publics, tout à la fois capables de combiner les propos personnels et le commentaire sur le monde tel qu’il va ou ne va pas, d’exprimer les passions, les désirs et les colères au quotidien, et de relayer le débat politique ou culturel, tout en construisant de véritables réseaux d’intérêts et de connivence, tout en devenant un puissant vecteur de diffusion et de circulation.
Si le paradigme du blog est un miroir de subjectivités, il est aussi un moteur de l’innovation techno-scientifique, poussant à une véritable invention et/ou renouvellement des dispositifs de communication, ouvrant ainsi de nouveaux horizons de cette communication rhizomatique que les réseaux cultivent depuis l’origine. Pour s’en convaincre, il suffit de penser, par exemple, à la possibilité de publication sur le Web via email ou via un téléphone mobile (moblogging), à l’extension du domaine de la publication instantanée aux « sons » écoutés simultanément sur un ordinateur ou un baladeur (podcasting) et à l’envoi direct de photos sur le Web (prises avec un mobile, bien sûr), ou encore à la capacité des blogs à échanger automatiquement des liens et des références entre eux (trackback).
De fait les blogs ont incontestablement poussé les dispositifs de publication sur le Web dans leur ensemble au renouvellement et à l’innovation. L’une des plus puissantes et des plus prometteuses de ces innovations à l’œuvre, que l’on voit particulièrement émerger sur les blogs justement – mais qui en réalité va bien au-delà – est sans doute l’élargissement du domaine et des possibilités de la syndication de contenu. Derrière cet anglicisme de « syndication », quelque peu barbare, il y a en réalité la possibilité d’une information désormais capable de circuler d’elle-même de façon autonome et capillaire sur les réseaux, suivant des mécanismes de flux qui dépassent la simple publication sur un site Web ou la simple mise en ligne, pour se diffuser de façon plus ou moins aléatoire, mais massive.
Si la syndication RSS([[J’emploie dans ce texte indistinctement les termes de syndication ou de « syndication RSS » (Rich Site Summary ou Really Simple Syndication) pour désigner la circulation de contenu via l’Internet. En fait le terme de syndication désigne à l’origine dans le monde anglo-saxon le principe d’échange (achat-vente) de contenus « clefs en mains » entre des médias, qu’il s’agisse de chaînes TV, de radios ou de journaux.
) reste d’abord connue, dans la période récente, comme ce mécanisme qui permet de rendre disponibles, au moyen d’un fichier texte généré et mis à jour de façon dynamique, des données de et sur son propre site Web pour qu’elles soient ensuite annoncées automatiquement sur d’autres sites… c’est désormais aussi la possibilité de récupérer ces contenus avec une application desktop (comme le logiciel libre de courrier électronique Evolution) ou un agrégateur de nouvelles (comme en propose le navigateur Firefox, qui peuvent ainsi être consultés localement sur un ordinateur personnel, ou encore, hors connexion, sur un ordinateur de poche type Palm ou PocketPC, voire un téléphone mobile. Sans oublier les services d’agrégation sur le Web (comme Feedster ou News Is Free) qui permettent à tout un chacun de composer son propre kiosque et de personnaliser son rapport au flux global d’informations et de données.
Ce faisant la syndication émancipe, dans une large mesure, les contenus de l’espace du site (celui où elle est publiée à l’origine) en les diffusant d’un site à un autre, mais aussi du Web dans son ensemble, en investissant d’autres canaux comme les mailing lists ou les logiciels « locaux » de nos ordinateurs – voire de l’Internet([[Rappelons que le Web (World Wide Web ou WWW) n’est qu’un des réseaux qui compose l’Internet, construit autour du principe de la navigation hypertextuelle entre les documents. L’Internet, qui est un réseau de réseaux, comprend, outre le web, les réseaux de courrier électronique, de transfert de fichier (FTP et Gopher), les systèmes d’échange de fichiers p2p, ou encore les forum (Usenet).) en permettant des usages hors connexion (lecture, archivage, conversion vers d’autres supports).
C’est donc bien un nouveau modèle de média qui est en train de se constituer, avec ce mécanisme capillaire de production et de circulation de l’information et des savoirs. Un modèle où la globalité des réseaux se combine avec la reconquête d’une certaine intimité, d’une proximité qui fait tant défaut au modèle des médias tout court. Un modèle post-média où l’information se fait nomade, auto-organisée en flux autonome, circulant entre les supports et les espaces de publication et de réception.

Les parcours d’une innovation

Peut-être faut-il s’arrêter un instant sur la généalogie d’un mode de diffusion émergent, né un peu par hasard, comme pur produit du mirage de la « nouvelle économie » et qui – finalement à l’image de l’histoire de l’Internet lui-même – se fera innovation en acte une fois devenu pratique massive et diffuse sur les sites personnels.
Le premier mécanisme de syndication pour le Web a été développé à l’origine (en 1997) par l’éditeur de logiciel Userland, sous le nom de Scripting News, un peu comme un gadget pour son fameux outil commercial de blogging RadioUserland : il s’agissait tout simplement de permettre à un blog d’annoncer les titres des contributions publiées par d’autres blogs utilisant le même script. Reprenant en 1999 un principe similaire pour son portail My Netscape Network (MNN), la société Netscape – alors en pleine gloire – fait de la syndication (baptisée au passage RSS) un standard visant à structurer des canaux d’information sur le Web.
Le portail MNN entendait ainsi s’offrir comme un point d’entrée sur l’Internet pour la masse des nouveaux internautes qui commençaient alors à affluer, et ainsi présenter une sélection d’informations et de ressources que l’on pouvait choisir à volonté et organiser en fonction de canaux thématiques. Le modèle du portail était né, et avec lui, au passage, une norme pour permettre aux éditeurs de fournir un instantané de leurs contenus. On comprend tout l’intérêt commercial de cette démarche.
Suite à ses multiples déboires sur le marché du Web, Netscape abandonnera par la suite le développement de ce format (RSS est alors en version 0.9.1), que maintiendra plus ou moins Userland en produisant quelques versions mineures visant simplement à compenser les insuffisances majeures du standard. Cependant le format RSS, qui commence tout juste alors à rencontrer un certains succès, continuera d’évoluer, pour donner naissance, d’une façon ou d’une autre, aux formats actuels de syndication (RDF 1.0, RSS 0.93 puis 2.0, et Atom, pour ne citer que les plus courants à l’heure actuelle). Malgré une certaine cacophonie de standards et des débats sans fin sur la définition d’une norme universelle, la syndication devient peu à peu, dans la pratique, une façon effective de permettre la circulation de contenus entre sites Web, même si encore limitée aux « effets d’annonce ».
Les portails qui se multiplient, puis les systèmes de gestion de contenu sur le Web (Content Management System, ou CMS) s’épanouissent les années suivantes, usent et abusent de la syndication RSS, permettant ainsi aux sites de « générer du trafic » par la mise en page d’accueil d’un contenu syndiqué abondant, mais aussi finalement de s’associer par des liens réciproques réguliers – et régulièrement renouvelés – vers les titres des dernières contributions mises en ligne. De l’artifice d’un contenu quelque peu simulé, nous passons à une première forme d’agrégation non seulement de contenus mais aussi de subjectivités.
Avec les blogs, le mécanisme s’est encore perfectionné et enrichi. Au-delà de l’affichage simple des « nouveautés » d’autres blogs, existe désormais une pratique riche de véritable veille thématique en direction d’un ensemble d’autres sites « amis », c’est-à-dire aux préoccupations proches : agrégations affinitaires de liens (blogroll), possibilité de signaler à un blog précis que l’une de ses « entrées » est mentionnée par tel article, tel commentaire ou telle brève que l’on vient juste de mettre en ligne (pingback), etc.. Ces dispositifs, s’ils vont parfois au-delà du mécanisme même de la syndication à proprement parler, en reprennent les principes et étendent la portée d’une circulation capillaire, décentralisée et automatisée des contenus et des échanges.
Aujourd’hui, d’un côté, tous les systèmes de publication et de gestion de contenus dynamiques sur le Web, qu’il s’agisse de CMS comme Spip ou d’outils de blog comme WordPress ou DotClear, permettent assez simplement, à la fois de générer ce type de fichier pour les mettre à disposition des internautes, et de récupérer des flux RSS d’autres sites, pour en afficher les parutions récentes, y compris avec des possibilité de sélection de telle rubrique ou de tel sujet. La pratique de la syndication s’est ainsi banalisée au point d’être, pour les sites Web, presque aussi rituelle que la traditionnelle page de liens.
De l’autre, RSS a vu apparaître de nouvelle normes – concurrentes bien sûr ! – qui toutes cependant, d’une façon ou d’une autre, contribuent à étendre substantiellement les possibilités de syndication, par exemple en permettant la diffusion du contenu lui-même (c’est-à-dire le texte intégral), ou encore d’y ajouter toute une série d’autres éléments – et non plus uniquement le « titre » et le « résumé ». Qui plus est, toutes ces normes sont désormais des standards ouverts, et non plus des formats propriétaires comme ce fut le cas pour les versions originelles d’UserLand et de Netscape([[En 2003, la société UserLand a mis sous licence Creative Commons la norme RSS 2.0,dont elle était détentrice du copyright, et confié la propriété intellectuelle de celle-ci à une fondation universitaire.
), ce qui facilite grandement leur diffusion et leur intégration à d’autres logiciels ou services.

L’invention d’une information nomade

Si nous parlons bien d’un dispositif automatisé de circulation et de réception, la richesse et le caractère innovant de la syndication RSS tient, plus qu’à toute autre chose, aux pratiques et aux usages qui y sont attachés, à sa capacité effective de produire de l’échange et de la communication. C’est d’ailleurs ces pratiques et ces usages qui ont forcé dans une large mesure le passage pour une modernisation des normes de syndication, et leur considérable enrichissement…
De fait, la syndication est rapidement devenue bien plus qu’un simple mécanisme quasi-publicitaire d’annonce, pour devenir un outil de sélection de contenu – de media filtering comme disent les médiactivistes anglo-saxons. Lorsque l’on parle aujourd’hui de syndication RSS il s’agit désormais avant tout d’un ensemble de standards ouverts de structuration de documents – sortes de dialectes dérivés de la norme XML – qui transforme l’acte de publication numérique, à la fois par l’extension des canaux de diffusion et de réception, mais aussi en modifiant la nature même des matériaux publiés.
S’il faut donc définir la syndication RSS c’est finalement désormais surtout une façon de construire des documents en vue de leur circulation rhizomatique, ce qui permet en particulier : 1) de rendre disponible du contenu structuré au format texte, sans véritable limite (de longueur ou de nature), de façon à ce qu’il puisse ensuite être diffusé, récupéré et interprété à partir de divers mécanismes automatisés de traitement des données. Ce contenu peut être, on s’en doute, du texte, mais aussi des liens vers des images, des sons ou des vidéos ; 2) d’attacher à ce contenu lui-même des méta-données contextuelles (dates de publication, origine géographique, conditions d’utilisation, etc.) qui en facilitent et complètent l’utilisation et le traitement.
Des données au format RSS peuvent ainsi être publiées sur le Web, comme nous l’avons indiqué, mais tout autant être insérées dans une base de données, transformées en emails (et postées immédiatement sur une mailing list) ou en fichiers PDF, stockées dans un répertoire, etc. Elles peuvent au passage être triées et classées, tant à partir de leur contenu direct qu’à partir des méta-données qui y sont attachées. Une structure de mots clefs thématiques et géographique permettra par ailleurs de produire un filtrage par sujet et/ou par localisation.
D’autre part, si les différents format RSS sont bien des normes – avec ce que cela suppose de contraintes – ils sont conçus de façon à séparer les éléments de structure et de mise en forme du contenu à proprement parler, suivant un modèle finalement assez souple et modulaire. En tout cas à même d’être complétés et enrichis par d’autres apports, d’autres normes imbriquées, qu’il s’agisse d’extensions standards comme le module Dublin Core, ou d’extensions créées de toutes pièces pour des besoins propres : c’est ainsi ce qui a été fait pour le projet de diffusion vidéo via l’Internet v2v, de façon à pouvoir publier des méta-données supplémentaires propres au support vidéo (durée, format, codec audio et vidéo utilisés, etc), mais aussi attacher au document une licence d’utilisation Creative Commons.
Il devient pour le coup relativement aisé d’adapter les mécanismes de syndication à des types de contenus et d’usages diversifiés – au-delà des seuls articles d’un site Web – et d’y attacher des méta-données qui le sont tout autant. Qu’il s’agisse d’articles de revues, d’informations brèves, de fils de discussion sur un forum ou une liste électronique, ou de fichiers mis à disposition sur des réseaux p2p, il n’y a pas de limites au contenu qui peut être proposé à la syndication.
Avec un dispositif de syndication RSS il devient ainsi possible aujourd’hui de suivre l’activité de publication d’un Wiki, d’une mailing list, ou d’un forum Usenet (newsgroup). Il est tout autant possible – comme nous le faisons dans le cadre du réseau v2v et du projet Videobase – de diffuser des annonces de mise en circulation de vidéos, avec liens pour le téléchargement, conditions d’utilisation, résumé du contenu, nom du ou des auteurs, etc.([[Le projet v2v s’est construit sur une intéressante et audacieuse combinaison d’utilisation des réseaux p2p (en particulier BitTorrent et eDonkey) et des mécanismes de la syndication : circulation rhizomatique de l’information au format RSS et des vidéos elles-mêmes en p2p se combinant pour construire un réseau distribué de diffusion de fichiers numériques « lourds », ce qui serait terriblement coûteux en passant par des systèmes centralisés commerciaux. Voir : http://v2v.cc et http://videobaseproject.net
). Ce qui circule sur les réseaux n’est plus alors uniquement de « l’information », au sens médiatique du terme, mais de l’activité et de la subjectivité, des savoirs et de la communauté. De cette façon la syndication devient un moyen concret et puissant pour produire de la communication directement à partir de l’activité même de communautés, de mouvements ou de groupes, qu’il s’agisse de développeurs et utilisateurs de logiciels libres qui veulent suivre les dernières contributions ou discussions en cours, ou d’activistes qui construisent leur propre réseau de diffusion de données.
L’information et le savoir qui se déploient dans ces pratiques trouvent là le moyen de circuler immédiatement, pour être republiés ailleurs sur le Web, pour s’afficher directement sur l’ordinateur des utilisateurs avec un logiciel d’agrégation de nouvelles. Le contenu syndiqué peut apparaître sur un autre site Web, être envoyé sur une mailing list, ou repris pour être imprimé. Le support de destination est divers et multiple, et quelque part finalement indifférent : ce qui importe désormais, c’est que ce contenu, structuré par la norme XML, enrichi de ses méta-données, puisse circuler et se reproduire en version intégrale, accompagné de toute les méta-informations nécessaires pour définir les conditions et possibilités de son utilisation.

Post-média intime contre modèle médiatique

Si chacun et chacune peut, grâce à la syndication RSS, recevoir dans son navigateur Web les informations d’un certains nombre de sources sélectionnées, sans devoir passer d’un site à un autre ; si chacun et chacune peut publier sur un blog ou un site Web et, dans le même temps, nourrir une liste de diffusion et un fil RSS ; si chacun et chacune peut envoyer un e-mail qui devient aussi un article sur un blog et dans le même temps être « syndiqué » sur quelques centaines d’autres sites Web ; si chacun et chacune peut publier un texte et en même temps le retrouver (annoncé ou re/publié) sur divers autres sites, mais aussi le voir archivé comme fichier PDF, diffusé sur une liste de diffusion…, c’est que le modèle même du média, comme monopole de la publication, est en train de s’épuiser.
D’une certaine façon, le mécanisme de la syndication apparaît bien comme un facteur de crise d’un modèle médiatique déjà mis à mal par la facilité avec laquelle peuvent circuler et s’échanger les données via les multiples canaux de l’Internet. En effet, en démultipliant les circuits de diffusion/publication en ligne, en réduisant toujours plus la séparation entre production, circulation et réception des informations, la syndication fait à sa manière exploser le modèle de publication linéaire et centralisé – en d’autre termes, médiatique – dont le Web est, soit dit en passant, resté jusqu’ici largement tributaire en naviguant entre l’analogie avec la presse écrite (ou le livre) et celle avec la télévision.
Il devient alors possible de penser véritablement un processus de publication largement indépendant des contraintes du formatage pour un média déterminé. Un processus où la publication et la circulation sont un seul et même moment d’un flux de données émancipées du modèle du média unique puisque, désormais, l’information et les savoirs circulent suivant des flux aléatoires et potentiellement massifs, passant d’un support à un autre. Ils peuvent surtout être sélectionnés, organisés et (ré)utilisés par ceux et celles qui jusqu’ici étaient réduits à la catégorie de « lecteurs » ou de « spectateurs ».
Le modèle de médias des multitudes que dessine un tel procès de publication/circulation fait aussi, d’une certaine façon, voler en éclat le modèle des médias alternatifs ou indépendants tel qu’il s’est développé et tel que nous l’avons pratiqué grosso modo entre Seattle et Gênes. Il nous impose aussi des remises en cause et des ajournements, en particulier de sortir d’une certaine logique de concurrence envers les médias mainstream – qui est de fait aussi une forme de fascination et de dépendance, une façon de rester sur le même terrain. De ce point de vue, le slogan « Don’t Hate the Media, Become the Media »([[« Ne pas haïr les médias devenir les médias », phrase du chanteur Jello Biafra, exhumée en 2000 au moment de la ZeligConf de Paris, et depuis devenue une sorte de devise collective des médiactivistes, répétée, modifiée et altérée à satiété, au point finalement de perdre beaucoup de sa pertinence.
), symbole de ce puissant désir de communication autonome au sein des mouvements sociaux et des communautés activistes, reste d’actualité… mais non dénué d’ambiguïté. Peut-être faut-il aussi poser la question : quel média ?

Les potentialités de la syndication – tout autant que celles des réseaux d’échange p2p -, la richesse actuelle des blogs, des expériences de réseaux auto-constitués comme v2v (ou Videobase), la puissance des échanges via p2p, sont sans doute autant d’incitations à penser enfin la communication alternative non plus dans une logique opposant une « autre vérité » à celle des médias, mais comme production et diffusion de sensible et d’identités, comme flux de subjectivités et de données, bref comme dissémination de médias intimes([[Une invitation à relire Hakim Bey « Le credo médiatique fin de siècle » : http://biblioWeb.samizdat.net/article12.html
), c’est à dire comme information et production de sens au-delà des médias…