Les autres éducations donnent accès à des fonds, à des champs d’expression sensible n’ayant pas droit de cité, sans dogmatisme. Il s’agit de revaloriser l’incertitude et le désir de fouiller le réel comme mode d’existence, la fragilité comme nécessité de vie. Il s’agit d’arrêter de cloisonner, pour apprendre à marcher en terrain mouvant. Car le ressort de l’assurance est de savoir en manquer. C’est le ressort de la recherche scientifique également.
Les autres éducations reposent sur un triple pilier : cet investissement social et associatif qui reconnaît le rôle crucial de l’éducation et de la formation en démocratie ; le développement d’un enseignement par la pratique autrement que sur la base d’un message ; la valorisation de méthodologies alternatives d’apprentissage ne mettant plus le/la maitre-sse au centre et favorisant les collectifs de formation, comme le fait l’école mutuelle.
L’éducation, qu’elle soit destinée aux adultes ou aux enfants, qu’elle intervienne en début de carrière ou tout au long de la vie, comme ce sera de plus en plus le cas, mérite un investissement social et associatif au-delà de ce qui lui est consacré aujourd’hui. L’un des défis majeurs des éducations de demain sera d’aborder les questions écologiques et environnementales autrement que comme une nouvelle idéologie à transmettre sous la forme de contenus de savoir. Cela exigera de pratiquer des pédagogies qui essaient de mettre en œuvre les attitudes écologiques, ainsi que la découverte de la fragilité. L’incertitude grandit, mais les modes de gouvernement et d’instruction ne veulent y penser. Prenons l’incertitude comme gouvernail de nos collectifs et voyons ce que cela donne. Expérimentons en ce sens. Fouillons l’avenir dans ses enchevêtrements, et ses écheveaux. La question du réchauffement de la planète est une question sensible et recouvre des enjeux de civilisation, de rapport aux autres, de limite de soi, de mesure dans son comportement. Les efforts de maîtrise et d’exploitation doivent être profondément repensés pour reconnaître des fragilités personnelles, collectives et écologiques comme nouvel horizon de vie. Les questions écologiques fondamentales sont affaires de seuil, de mesure et d’autonomie, plus encore que de température, qui n’en est qu’une condition.
Contre la démagogie cognitive et le durcissement des consciences, les autres éducations remettront en valeur les fragilités énonciatives, reconnaîtront l’insécurité discursive en dialogue avec les situations de rupture des équilibres naturels. Elles devront promouvoir différentes méthodes éducatives favorisant l’autonomie de l’apprenant et de l’apprentissage. La critique du système scolaire et des pratiques éducatives françaises porte sur plusieurs points fondamentaux. Notre éducation est fondée sur un intégrisme de l’autorité du Maître, sur la reproduction des savoirs dominants, sur une rigidité bureaucratique qui étouffe les intelligences et les initiatives. Montessori, Freinet, Steinert-Waldorf, Decroly, écoles d’inspiration écologique,démocratiques ou mutualistes, etc. : il existe bien des alternatives, qui favorisent la sensibilité, le faire et la multiplicité des trajectoires. L’éducation populaire invente partout des méthodes permettant à des populations variées de développer des choix de vie, professionnels ou politiques,réellement émancipateurs. L’école mutuelle où les élèves s’entraident en petits groupes, s’appuyant, les uns les autres, permet de réels développements de l’apprentissage collectif.
Pour se libérer de la triple aliénation politique, scientifique et technologique, les autres éducations doivent aider à démocratiser la culture scientifique pour rendre compréhensibles les problématiques contemporaines, telles les transformations écologiques, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les nanotechnologies. Elles doivent nous aider à nous réapproprier les médias, à mieux comprendre et à mieux critiquer ce qui y circule. Cela suppose d’instaurer un droit de préemption citoyenne des médias de service public, une mise à disposition gratuite des fonds de l’INA, une renationalisation massive des médias privés, et d’exiger, en retour de l’attention qui leur est prêté, un temps d’antenne significatif et systématique aux expressions citoyennes les plus diverses.
La baudruche de la compétitivité
Individus, entreprises, collectivités locales, tout le monde est sommé de se mettre en rang de bataille pour la compétition sans merci que nous serions tous censés exercer les uns sur les autres. Mais qui joue vraiment à ce jeu de gladiateurs (Marche ou crève!) ? Qui accepte de réduire la vie sociale à cet alpha et oméga des argumentaires économistes ? Un néodarwnisme absurde a fini par nous convaincre que tout était compétition, alors que biologistes, anthropologues et sociologues observent quotidiennement que nos vies sociales reposent d’abord sur des pratiques de coopération. La prochaine fois qu’on nous appelle à être « plus compétitifs », répondons que nous désirons être mieux coopératifs.
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