Je cherche depuis plus d’un an des points d’entrée dans une masse proprement océanique de matériaux que j’ai collectés au fil des années. Ces matériaux sont l’expression d’un intérêt et d’une attirance pour les grandes étendues d’eau que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de manifester. Au-delà de l’intérêt, il y a aussi une ou plusieurs forces de mouvement, le désir de se mouvoir dans l’eau. Bien d’autres en ont fait l’expérience avant moi, plusieurs générations avant la mienne, et c’est cette expérience qui a donné l’impulsion d’un projet qui interroge les désirs incessants et les différentes tentatives, parfois futiles, qui ont visé à la réaliser. Le projet interroge les impulsions qui conduisent à traverser l’eau – qu’est ce qu’on y trouve, qu’est-ce qu’on n’y trouve pas ?
Les îles paraissaient résonner puissamment dans cette configuration. Malgré leur caractère modeste à l’échelle des continents, il m’a paru tout à fait évident que les îles avaient donné naissance à des penseurs remarquables, et qu’elles étaient devenues avec le temps les curieux miroirs d’une vaste gamme de désirs. Je continuais de m’interroger sur la nature des liens entre le désir et la perception, en cherchant dans différentes directions, dans l’espace comme dans le temps. Je songeais à ces lieux qui avaient été perçus comme nouveaux par les premiers arrivants, à l’exemple du nouveau monde, et à un certain nombre d’îles en particulier. Je m’interrogeais sur ce qui est censé émaner de ces lieux, sur un plan matériel comme sur un plan imaginaire, sur les liens qui se sont tissés entre des jeux d’associations physiques et mentaux. Ces questions sont à l’origine du film que je suis en train de tourner, Endless Dreams and Water Between.
Divers emprunts au cinéma, à la littérature, à l’histoire et à la musique infléchissent la direction de mes recherches. Ils recoupent d’autres pistes qui parcourent le film : celle de la nature et de l’humilité qu’elle nous inspire ; celle des artistes et de leur vocation, qui fait d’eux des chercheurs par excellence, des capteurs/traducteurs de désirs.
Les références cinématographiques, littéraires, historiques et musicales sont étroitement liées à la langue, aux langues qui portent le témoignage de différentes sortes de migrations. L’histoire des langues est liée à leur circulation. Les langues se propagent et suscitent des conflits d’un territoire à l’autre, d’un système de croyances à l’autre. Laquelle de ces langues finira-t-elle par s’imposer ? Quelles sont celles qui survivront ? Pour combien de temps ? Comment les rencontres transformeront-elles ce qui peut se dire, et dans quelle langue ? Où ces rencontres se produiront-elles ? Peuvent-elles se produire sur des territoires aussi petits que des îles ? Quelle importance ces îles peuvent-elles bien avoir ?
On avait imaginé qu’une vie nouvelle – une tabula rasa, une pureté et une beauté imaginaires –, source d’une satisfaction elle-même imaginaire, pouvait naître de ces îles. On croyait aussi d’un certain nombre de sites dont on fabulait la beauté qu’il s’agissait d’îles. C’est le cas de ce que l’on appelle aujourd’hui le Brésil ou la Californie. On ne saurait sous-estimer l’importance des îles : elles assuraient dans l’océan des points de liaison entre les continents, les oasis et les déserts, et offraient le salut à partir d’une quantité de ressources, tant matérielles qu’imaginaires. Dans le répertoire de la pensée occidentale, où elles figurent en grand nombre, les îles apparaissent comme des projections mentales répétées et variées.
Pour restreindre le champ de mes recherches, je m’en suis tenue aux sites qui avaient exercé sur moi un fort attrait, et dont on peut dire qu’ils ont affecté ma vie. Ils partagent une relation aux grandes étendues d’eau, qu’il s’agisse d’îles au sens propre (Majorque et Manhattan) ou au sens figuré (San Francisco). Parmi ces dernières, le Portugal a exercé lui aussi un fort attrait sur ma vie, même de manière détournée. Plus viscéralement, il a su me rappeler l’inscription de l’histoire dans le présent et la complexité des relations entrecroisées. Le court métrage Come Closer (2008) constitue le prélude du projet de plus grande envergure qui est en cours.
L’exposition de Renée Green Endless Dreams and Water Between se tiendra au National Maritime Museum de Greenwich (Londres), du 21 janvier au 28 juin 2009.
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