La Covid et la guerre russe en Ukraine ont réveillé l’Europe, démunie en masques et en vaccins au début de la pandémie, et d’armes au déclenchement de la guerre d’Ukraine. L’Union Européenne s’est mise en marche très vite : emprunts et investissements communs, recherche d’une défense commune. Les graves menaces que fait peser le dictateur russe sur l’Ukraine et l’Union Européenne (UE) contraignent la vieille Europe à dépasser, non sans douleur, les vieux schémas auxquels elle aimait s’accrocher. L’Est européen s’affirme, le centre de gravité de l’Europe se déplace vers l’Est. Cette démarche ne réussira que s’il y a un rapprochement avec les citoyens et que si l’UE réforme sa gouvernance en franchissant le saut fédéral notamment à la veille de l’élargissement.
Lutte contre la Covid 19.
Le moment où l’UE prend un accent fédéral
Avec la Covid, l’Union Européenne opère un véritable tournant qui prend une sorte d’accent fédéral. Pour lutter contre la pandémie et les ravages économiques qu’elle a engendrés, l’UE finance la recherche et les préachats de vaccins. La Commission européenne valide les vaccins en circulation dans l’UE, dont elle a négocié le prix et l’encadrement juridique au nom des États membres. C’est ainsi qu’émerge une politique de santé commune. L’UE décide également d’un plan de relance de 750 milliards d’euros financé par un emprunt contracté par la Commission européenne. Les États membres n’ont pas sensibilisé leurs citoyennes et citoyens au rôle de l’UE. À la veille des élections européennes, il est capital de leur rappeler, que sans l’UE, nous aurions assisté à une concurrence sans pitié entre pays et labos privés. Les habitants des États les plus fragiles auraient regardé, impuissants, le désastre économique et social s’abattre sur eux. Oui, la meilleure défense a bien été européenne.
Le choc de la guerre aux portes de l’UE
L’Europe a cru vivre dans la paix éternelle avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’Union soviétique. Mais le 24 février 2022, l’Europe est tirée de sa léthargie avec le bruit des bottes de la Fédération de Russie en Ukraine. L’Union Européenne, une fois de plus, s’active, réagit avec des sanctions sans précédent contre la Russie. Cette dernière diminue drastiquement ses approvisionnements via Nord Stream 1 qui peut transporter plus de 50 milliards de m3 de gaz vers l’Allemagne. L’Allemagne est contrainte d’annuler le projet Nord Stream 2. Si un pays est sous le choc, c’est bien l’Allemagne qui, après plus de 60 ans de dépendance au gaz russe, est contrainte d’opérer un virage énergétique à marche forcée.
Pourquoi cette
dépendance allemande au gaz russe ?
En 1959, d’énormes gisements de pétrole et de gaz récemment découverts doivent être exploités en Union soviétique. Malgré la guerre froide, les dirigeants des entreprises sidérurgiques allemandes décident de produire à grande échelle pour les Soviétiques les tubes d’acier nécessaires, contribuant ainsi à faire de l’Union soviétique une grande puissance énergétique. Tous les chanceliers, depuis cette époque, ont poursuivi activement ce gigantesque commerce, peu importe l’écrasement du Printemps de Prague, la guerre soviétique en Afghanistan, la loi martiale en Pologne. Ce deal germano-soviétique accompagne le nouvel Ostpolitik, ou politique de détente à l’est, menée par le chancelier social-démocrate (SPD) Willy Brandt de 1969 à 1974, qui mise sur le « changement par le rapprochement ». Son successeur, le chancelier Helmut Schmidt (SPD), qui a pour devise « Ceux qui font du commerce ne se tirent pas dessus », intensifie le marché.
Il est impossible de comprendre la politique russe du SPD jusqu’aujourd’hui si on ne prend pas en compte l’Ostpolitik
Au nom de la politique à l’Est, le SPD entretient des relations amicales avec les partis uniques des pays du bloc soviétique. En 1999, Gerhard Schröder (SPD) devient chancelier. Dans les derniers jours de son second mandat en 2005, il approuve le projet Nord Stream malgré l’opposition de la Pologne et de la Lituanie. Puis, il est nommé par Gazprom Président du conseil de surveillance chargé de construire le Gazoduc Nord Stream et devient ami de Vladimir Poutine.
Durant 3 mandats sur 4, Angela Merkel est la chancelière d’une coalition entre la CDU et le SPD, lequel est le parti minoritaire. C’est l’époque du « changement par le commerce », la modernisation de l’économie russe devant mener à l’État de droit. Les camarades de parti de Schröder sont aux manettes dans ces trois gouvernements Merkel : l’ancien vice-chancelier qui fait le forcing pour Nord Stream, l’actuel Président de la République et l’actuel chancelier.
Dès lors que la sortie du nucléaire est proclamée par Angela Merkel suite à Fukushima, le gaz russe devient la première source d’énergie à des prix très bon marché. Angela Merkel pensait que la Russie n’utiliserait pas le gaz comme arme contre l’Allemagne. Elle ne voulait pas entrer en conflit avec le SPD et l’industrie sidérurgique allemande.
Cette génération de l’après-guerre a vécu dès son plus jeune âge la démesure des crimes nazis, il était donc normal d’avoir de bonnes relations avec l’Union soviétique. Une grande partie des Allemands de l’Est, insatisfaits de la façon dont s’est faite la réunification allemande, même s’ils étaient pour, manifestent une grande sympathie pour la Russie au nom d’une paix fantasmée. Ils n’ont pas oublié la présence soviétique en RDA, qu’ils vivaient comme les vainqueurs du nazisme dont les Allemands sont coupables.
Changement d’époque et discordances franco‑allemandes
Trois jours après le début de la guerre, Olaf Scholz prend conscience des dangers pour l’Union Européenne et pour l’Allemagne que renferme la guerre menée par le dictateur russe contre l’Ukraine. Il fait un discours historique devant le Bundestag, expliquant que cette guerre conduit à un changement d’époque de la politique étrangère allemande et européenne. Il déclare la création d’un « fonds spécial pour la Bundeswehr » qui sera doté par le budget fédéral de 100 milliards d’euros. Une révolution pour cette Allemagne pacifiste.
Si Emmanuel Macron et Olaf Scholz sont d’accord sur le constat, ils divergent profondément sur la mise en œuvre de ce changement d’époque. La France affirme la souveraineté stratégique européenne. L’Allemagne, dans sa pure tradition de liens indéfectibles avec les États-Unis, considère que ceux-ci sont incontournables. Elle décide de porter le projet de « bouclier antimissile européen », qui réunit aujourd’hui au moins 17 pays européens, dont le Royaume-Uni, ainsi que la plupart des pays de l’est européen. Berlin mise avec ce bouclier sur un système allemand de courte portée, américain de moyenne portée et israélien de longue portée, sans aucun équipement français. Cette décision de ne pas recourir au mécanisme de l’UE dont fait partie la France, qui a réagi donc clairement contre cette initiative allemande, montre que l’Allemagne ne dérogera pas de sa dépendance des États-Unis. Une question se pose : comment le chancelier anticipe-t-il une potentielle victoire de Donald Trump ?
Mais les divergences s’approfondissent quand le Président français propose d’envoyer des troupes au sol et critique l’Allemagne sur l’envoi de casques au début de la guerre. Il a fallu une réunion du Triangle de Weimar – France, Allemagne, Pologne – créé en 1991, pour sortir des divergences franco-allemandes, le Premier ministre polonais Donald Tusk appelant à « moins de mots et plus d’actes « et à parler d’une même voix ». Aussi, ces divergences montrent que le tandem franco-allemand, qui a joué un rôle incontournable dans les différentes étapes de l’histoire européenne, est dépassé.
Quand le centre de gravité de l’UE se déplace vers l’Est
Comment les relations franco-allemandes en sont-elles arrivées là ? L’Allemagne et la France ont très longtemps été d’accord sur la Russie. Après le déclenchement de la guerre d’Ukraine, le président français et le chancelier allemand continuent de dialoguer avec le président russe. Le « en même temps » fonctionne à fond du côté français : « Livrer des Césars à l’Ukraine mais ne pas humilier la Russie ».
Les pays de l’Est européen, qui ont vécu un véritable traumatisme entre Hitler et Staline et plus de 40 ans d’occupation soviétique, ont une autre représentation de la Russie. Ils voient que la France et l’Allemagne, plongées dans un modus vivendi avec La Russie, ne comprennent pas les menaces que représente le dictateur russe pour l’Ukraine et l’Europe. Ils ne supportent plus les coups de téléphone incessants à Vladimir Poutine, et la défense d’une paix négociée avec le dictateur. Ils appellent à œuvrer pour la victoire de l’Ukraine et la défaite de la Russie pour empêcher que Poutine reconstruise son empire. Ces pays font bloc et se retournent contre cette attitude, car leur combat est celui de toujours, la liberté et la démocratie. En peu de temps, la vieille Europe, notamment le tandem franco-allemand, est dépassé par les pays de l’Est européen qui bousculent l’Union Européenne. La Pologne lance un grand programme de modernisation de son armée ; les Pays baltes montent en puissance. Le centre de gravité de l’UE se déplace vers l’Est. Depuis lors, la question de la défense européenne n’est plus un tabou.
Élargissement versus réunification européenne
Avec la guerre d’Ukraine, les Français découvrent les pays de l’Est européen membres de l’UE depuis 2004 et 2007. Ils ont souvent rencontré l’arrogance de certains chefs d’État, notamment français. Nicolas Sarkozy ne s’en est jamais privé, méprisant les « petits » comme il disait si bien, oubliant simplement que les « petits », leurs peuples, ont vaincu la peur pour se libérer du joug soviétique.
La vieille Europe pensait à l’époque que tout était réglé lorsque le droit de vote a été rétabli dans ces pays devenus démocratiques. C’est ainsi qu’elle clôt quatre décennies d’occupation soviétique. Ces pays pouvaient donc réaliser le parcours du combattant pour « entrer » dans l’Union Européenne. Le processus d’élargissement était lancé. Après la réunification allemande, ils attendaient mieux qu’un simple élargissement de l’UE, qui était une méconnaissance de ce que représentait la liberté pour ces peuples, et donc leur aspiration à l’Europe. Il aurait fallu lancer le processus d’une véritable réunification européenne permettant à ces pays, comme l’ont connu ceux de la vieille Europe, de vivre un sentiment national enterré par plus de 40 ans de dictature. Les frustrations font surface et débouchent sur le populisme. L’élargissement s’est fait à 27 avec les mêmes moyens et règles qu’à 15, et la réponse aux critères économiques s’est faite au pas de charge.
L’élargissement qui se profile appelle à un saut fédéral
Avec l’émergence d’une politique de santé commune, les emprunts et investissements communs et le nouveau programme pour l’industrie de défense qui indiquent que le tabou de la défense européenne est brisé, un sens fédéral prend corps au sein de l’UE. Il se concrétise par une union politique naissante contre Poutine.
Le dépassement du tandem franco-allemand
signifie la fin du règne de la vieille Europe, conduisant à davantage de cohésion européenne, capable de répondre aux défis de l’élargissement de 27 à 35 qui inclut l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les Balkans pour que ne soit pas vécue la même situation que celle du passage de 15 à 27. Aussi, un changement de gouvernance de l’UE est nécessaire. Pour ce faire, la convocation d’une Convention pour la réforme des traités que le Parlement européen réclame, doit être à l’ordre du jour. Il est capital que la Commission européenne soit investie de pouvoirs d’un vrai gouvernement fédéral, dont la couleur politique serait déterminée par celle de la coalition majoritaire au Parlement européen. Et que vive l’Europe !