Majeure 53. Histoires afropolitaines de l’art

La critique d’art et l’Afrique – Pensées pour un nouveau siècle

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Nous avons souhaité republier et traduire cette conférence prononcée en novembre 1996 par l’artiste, historien de l’art et commissaire nigérian Olu Oguibe, devant la Conférence de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA), Courtauld Institute, Londres, comme étant également décisive et significative du changement de paradigme survenu dans les années 1990 pour la critique d’art et l’historiographie de l’art pensées depuis l’Afrique.

Mesdames et Messieurs,

Il y a presque cinq ans, j’ai eu l’honneur de parler de la critique d’art et de l’Afrique non loin de cet endroit. À l’époque, j’avais pris ce que beaucoup considèrent comme une position pure et dure, intransigeante, en faisant valoir que les questions de l’état de la critique d’art en Afrique devaient être laissées aux Africains. Je pensais également que cette entreprise devrait être menée, idéalement, en Afrique. Alors, l’idée même de discuter de la critique d’art et de l’Afrique, à Londres ou à New York, ne me semblait pas particulièrement appropriée. Elle ne me le semble toujours pas. Que cinq ans se soient à nouveau écoulés pour parler, en dehors du continent, de la critique d’art et de l’Afrique est, je crois, un reflet de la triste situation de ce continent et de ses dirigeants. Peut-être devrais-je mentionner que, pendant ces cinq années, je n’ai eu qu’une seule occasion de visiter l’Afrique, une seule occasion de visiter mon pays, et ne peux toujours pas le faire librement aujourd’hui, en raison d’une dictature qui a conduit et continue de conduire les esprits les plus brillants, y compris les historiens de l’art et les critiques, hors de ce pays.
Au moment de nous pencher à nouveau sur l’état et le devenir de la critique d’art en Afrique, les circonstances qui ont rendu impossible mon retour au Nigeria depuis quatre ans sont significatives, ce sont ces circonstances mêmes qui font qu’il est inévitable que nous devions discuter et contempler l’Afrique depuis l’extérieur. Ces circonstances sont cruciales parce que, tandis que certains peuvent croire le contraire, l’activité de l’art et sa critique sont inextricablement liées à des questions beaucoup plus larges et complexes de dynamique de l’environnement social et politique, de santé ou décomposition d’une société, qui se reflètent inévitablement dans l’état de sa critique d’art. Alors que l’art peut se développer et s’épanouir dans des circonstances éprouvantes, quoique dans une direction presque déterminable, la critique d’art souffre en même temps que les configurations intellectuelles et morales générales d’une société en détresse.

La critique, après tout, est une quête intellectuelle qui ne dépend pas des mêmes inclinations compulsives que nous associons à l’imagination créatrice ; le désir de créer, l’obsession morale de déclamer sur l’état de la société, l’héroïque propension de l’imagination créatrice à défier les obstacles et inhibitions, la volonté de se rebeller.
Au lieu de cela, la critique – la critique d’art – comme la cuisson du pain ou la réparation automobile, dépend des conditions de la critique et de son environnement : sa disposition personnelle et sociale, son niveau de stimulation, sa capacité à répondre à des demandes d’interaction avec des objets et des entités souvent hors des frontières de ses priorités, sa disposition à fournir un service qui, à la différence de la cuisson du pain, n’a, en fait, pas encore été perçu par le public comme essentiel et indispensable. La corvée de la critique est souvent ingrate, et en raison du fardeau et des attentes que l’appréciation populaire fait peser sur cette vocation, la critique est vulnérable aux aléas de son environnement social et peut très rarement s’élever au-dessus des échecs et des lacunes de cet environnement. Dans des cultures où la valeur « rigueur » est constamment sous la pression de la prévalence du compromis moral et de l’imminence de la décadence, et où la quête de l’excellence cède la place à l’urgence et au laxisme, la critique souffre inévitablement. Une culture critique doit inextricablement aller avec un climat social de tolérance, de curiosité, de disponibilité à l’examen, et de désir de progrès. De même, il doit y avoir une compréhension et une acceptation publiques de l’objet et de l’utilité de la critique. Sans elles, et sans une volonté générale d’excellence, une tradition critique saine est presque impossible.

Inévitablement, l’institution de la critique développe et étend, simultanément, les fondements de l’esprit républicain. La liberté et la volonté de remettre en cause, de reconnaître la possibilité d’alternatives, d’évaluer et, faisant cela, de découvrir les zones de force et de faiblesse, de suggérer — et, si besoin est, de revendiquer – le changement, sont les constituants requis de l’idéal républicain. Partout où une chose est, une autre se trouve à ses côtés, dit un adage Igbo. Sans une telle compréhension de l’impossibilité de l’absolu, la liberté d’interroger est effacée. Partout où la liberté de remettre en cause est menacée ou oblitérée, où la possibilité de substitution et de transition est refusée, la place pour une culture critique disparaît également. Cette dynamique de tension et de réévaluation continue qui anime une société à la fois vers sa consolidation et son auto-dépassement, cette dialectique du progrès sont effacées. La critique. Le républicanisme. La reconnaissance de points de vue multiples. La reconnaissance de la faillibilité. Une culture sans l’un(e) est une culture sans l’autre. En fin de compte, une tradition critique est comme la capacité des animaux à ressentir la douleur. Sans elle, la société perd la capacité à bien articuler ses forces et ses faiblesses, et, peut-être plus important encore, à se démarquer des risques et de la propension à l’automutilation.

La critique de l’art moderne en Afrique

Comme je le soulignais, il y a cinq ans, chaque tradition d’art produit invariablement une certaine forme de conscience critique et de pratique. Pour citer cet exposé d’alors, « la vérité de l’histoire, c’est que partout où il y a une tradition de pratique artistique, et cela signifie donc dans toute société et toute culture, il y a toujours un système d’appréciation, d’évaluation, de définition des valeurs et du goût ».
On est obligé, cependant, de revenir sur cette affirmation à la lumière des observations qui précèdent et des conclusions sur la nécessité d’une libre atmosphère républicaine comme condition d’une tradition critique florissante. Car, comme je l’ai également souligné, tandis que les cultures classiques d’Afrique ont créé des institutions critiques d’appréciation de l’art, il faut tenir compte de l’échec général du continent, jusqu’à présent, à l’exception de quelques cas, à aller au-delà de la critique populaire pour produire, à l’ère de l’État-nation, des systèmes tout aussi sophistiqués et durables d’appréciation, d’évaluation et de définition des valeurs et des goûts.

Il est à noter que, durant le xxe siècle, la vocation de la critique de l’art moderne, en Afrique, pouvait être incarnée par Aina Onabolu, l’homme qui a également été cité simultanément, bien que de manière pas tout à fait exacte, comme étant le premier artiste moderne du continent. Comme l’excellente étude d’Ola Oloidi sur Onabolu, ainsi que les propres publications de l’artiste, ses dossiers et ses carnets, le révèlent, son abandon de la forme traditionnelle et du canon reposait non seulement sur une profonde réévaluation critique de ce canon à la lumière des exigences et des possibilités d’un nouvel âge et d’une nouvelle société, mais la pratique critique d’Onabolu a également été étendue à la nouvelle forme qui a émergé en grande partie de ses efforts. Les divergences de l’artiste avec la position du professeur Kenneth Murray, sont aujourd’hui bien connues, et l’évidence montre que ses convictions et son application à ces convictions, à la fois dans sa pédagogie et ses exposés critiques, devancent Murray.
En Afrique de l’Ouest, alors que toutes sortes de journalisme d’art et de commentaires peuvent être situées dans l’intervalle des années 1930 aux années 1950, un tel niveau de criticalité systématique ne trouvera plus tard de réplique que dans les écrits de Akinola Lasekan, autre artiste et enseignant.
Bien sûr, on ne peut manquer de reconnaître le discours de Léopold Sédar Senghor sur l’art africain. Cependant, les discours de Senghor sont restés dans un domaine théorique, révélant une connaissance assez étroite de l’art contemporain africain pour son époque, mais livrant, dans l’ensemble, une lecture très vague, essentialiste plutôt que critique, de l’art africain classique.
Dans les années 1950 et au début des années 1960, le Nigeria demeure la plaque tournante de la critique d’art moderne de la région, et peut-être que les plus beaux exemples de cette tradition se manifestent dans les écrits de deux individus rarement associés à l’évolution positive de la critique d’art dans la région : Ulli Beier et le peintre et sculpteur Okpu Eze. Le travail pionnier de Beier dans le magazine Nigeria, à la fin des années 1950, a introduit à une nouvelle génération d’artistes nigérians et, considéré dans ce contexte culturel, fut aussi important que l’annonce par Clement Greenberg de l’avènement des expressionnistes abstraits dans l’art américain. À notre époque, le dénigrement de Beier est devenu le sport favori d’une nouvelle vague de critiques, qui sont autant pesants sur la passion que minces sur la rigueur, critiques dont certains, si je puis dire, ne sont pas les auteurs de leurs propres textes. Cependant, la réputation de Beier ne peut pas être évaluée correctement sans une reconnaissance de ses contributions à la critique de l’art moderne en Afrique de l’Ouest. Okpu Eze, aussi, bien mieux connu pour ses sculptures que pour ses peintures expressionnistes ou sa pratique de critique d’art, se distingue au sein de cette culture d’écrivains sur l’art au Nigeria dans les années 1960, qui inclura le romancier Cyprian Ekwensi, pour sa profondeur et l’immensité de sa connaissance des arts visuels, manifeste dans ses écrits, malheureusement trop rares, dans le magazine Nigeria.

En Afrique australe, bien que le journalisme d’art ait prospéré surtout à partir des années 1930 jusque dans les années 1960, ce fut inévitablement et grandement entaché par les complications éthiques d’un discours racialement ségrégué, comme cela est demeuré le cas jusqu’à récemment. Une « rédemption » significative pourrait peut-être apparaître dans la forte culture critique de la jeune Nkosi Lewis dont le premier recueil d’essais a annoncé l’arrivée de l’un des meilleurs cerveaux du continent au début des années 1960. En dépit des difficultés que je viens de souligner, persistantes jusqu’à aujourd’hui, l’Afrique du Sud, et dans une certaine mesure moins compréhensible, le Zimbabwe, sont aujourd’hui à la pointe de la critique d’art en Afrique. En fin de compte, je dois m’en remettre à nos conférenciers d’aujourd’hui qui sont très bien placés par leur origine, leur expertise et leur implication, pour continuer à nous éclairer sur les détails de la pratique critique moderne dans ces régions. Pourtant, je crois qu’il est pertinent de faire mention de ce que je considère comme un autre point de repère important dans l’élaboration de la critique d’art moderne en Afrique, à savoir l’institution d’un débat sur l’essence et le but de la critique, et l’avènement d’une critique sociale de l’art à travers la promotion d’une « esthétique de la pertinence » au Nigeria à la fin des années 1970. Ce changement capital ne peut être comparé, peut-être, qu’à l’émergence récente des débats sur le provincialisme et l’internationalisme ainsi que sur la licence et la censure dans l’art sud-africain et sa critique. Un homme en est responsable, et j’espère que votre attention pourra y reconnaître la position centrale d’Ola Oloidi dans l’articulation et la mise en forme de l’histoire et de la critique de l’art moderne au Nigeria et en Afrique. Bien que certaines des questions soulevées par Oloidi à son retour de Howard, dans le milieu des années 1960, aient été abordées quelques années plus tôt par le Ghanéen Ato Delaquis dans Transition et par la suite dans Ch’Indaba, Oloidi a apporté une rigueur intellectuelle et une profondeur nouvelles à ces questions et surtout à l’enquête sur la nature et le but de l’art, et à l’adoption du fonctionnalisme comme paradigme critique. L’héritage de cette intervention aujourd’hui au Nigeria est manifestement celui de l’un des plus subtils écrits sur l’art. La reconnaissance potentielle dans ce pays de la critique comme une vocation, l’acceptation publique de la figure du critique, sont manifestes dans la décision d’écrivains et de critiques d’art nigérians de se réunir sous une tribune officielle pour l’examen des questions d’esthétique et de pertinence dans la production culturelle émergente, peut-être la première organisation formelle de ce genre en Afrique. On peut douter que la rigueur et la minutie qui caractérisaient la pratique critique d’Oloidi trouvent leur équivalent dans le niveau et la qualité de la critique d’art aujourd’hui au Nigeria. Pourtant, il est certain qu’il a jeté les bases d’une culture significative et rigoureuse de la critique, et toutes les défaillances vivaces ou émergentes dans la poursuite et la perpétuation de cet exemple doivent trouver leur explication dans cette arène de luttes plus vaste d’une société contre l’effacement de sa propre excellence.

Quelques mots sur l’état de la critique d’art en Afrique

Il est utile à ce stade, peut-être, de faire quelques commentaires sur l’état de la critique d’art en Afrique. Il y a quelques années, un de mes amis, le critique littéraire Afam Akeh, dans une attaque particulièrement acerbe, mais compréhensible, sur la hausse de la paresse au Nigeria a écrit une pièce avec le titre sarcastique Salut, Mon nom est médiocrité ! Malheureusement, alors que la médiocrité peut sembler un qualificatif assez dur pour l’écriture sur l’art dans l’Afrique d’aujourd’hui, une enquête révélerait pays par pays, un état de la pratique pas du tout éloignée de cette catégorie. Avec l’exception possible de quelques-uns des pays déjà mentionnés, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, peut-être l’Égypte, le reste du continent est redevable à la tradition du journalisme d’art qui laisse beaucoup à désirer. Il n’y a pas si longtemps, un autre ami, l’artiste Wosene Kosrof est retourné en Éthiopie où il a été beaucoup célébré. En revenant aux États-Unis, il a rapporté avec lui, en plus de beaucoup de tristesse, une poignée d’articles sur son travail dans la presse éthiopienne, tous apologétiques. Nous devons, bien sûr, reconnaître que la distinction qu’Oloidi avait également opérée, il y a quelques décennies, entre la critique d’art sérieuse et la vocation plutôt tranquille du journalisme d’art, doit nous permettre de nous prémunir de l’utilisation dangereuse de la dernière pour évaluer l’état de la première. Il nous faut également garder à l’esprit que le journalisme d’art, en Occident également, est en général une occupation livrée en grande partie à des gens qui n’ont souvent aucune idée de comment écrire sur l’art et la vocation de critique d’art sérieux, reste donc celle de rares individus, que ce soit au Nigeria ou au Zimbabwe, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Néanmoins, l’absence presque totale de toute critique sérieuse dans de grandes parties du continent de la Gambie au Kenya, est assez troublante, et tandis que je me suis hasardé vaguement dans une certaine direction pour obtenir des explications, cet état de choses doit engager nos intervenants aujourd’hui, si nous devons articuler des interventions spécifiques et nécessaires pour combler ce manque.

Pour l’instant je m’arrêterai brièvement sur les lieux où une critique sérieuse est évidente, même si c’est parfois à une échelle qui est loin d’être idéale. Entre l’indépendance en 1960 et l’avènement de nouvelles dictatures au début des années 1980, la production culturelle et critique au Nigeria a été à la fois témoin d’une inflorescence et en grande partie guidée par un esprit d’ouverture et d’engagement et par une compréhension certaine d’une culture de l’excellence. Pendant ces années, cependant, le tissu moral du pays s’est effondré, et les anciennes valeurs, qui présidaient non seulement à la production culturelle, mais, aussi, la conduite de la vie quotidienne, ont été remplacées par une nouvelle ère écrasante d’incompétence, de corruption, de décadence morale et sociale généralisée, et de vulnérabilité aux revendications d’urgence. Par conséquent, dans toutes les œuvres de la vie et toutes les activités, qu’elles soient intellectuelles, politiques ou même religieuses, une nouvelle culture a émergé au cœur de ce qui est le sacrifice de la recherche de rigueur. Cela se manifeste en fin de compte par une baisse générale du niveau, à la fois dans l’art et sa critique. En outre, en raison de l’institutionnalisation systématique de l’autoritarisme dans ce pays, une culture parallèle d’intolérance et de militarisme a surgi. Discours et débats qui ont donné lieu à l’utilisation de la force dans presque tous les domaines de la vie quotidienne, de la recherche intellectuelle et culturelle à la conduite des affaires intérieures. Une nouvelle génération a grandi sans connaître d’autres valeurs que celles de l’incompétence, du dogmatisme et la conviction que rien ni personne n’a de prix. Dans de telles circonstances, les critiques sérieuses sans compromission deviennent une vocation dangereuse, et cela, non pas par menace directe ou reconnaissance de l’État, mais parce que les conditions fondamentales pour la nourriture et la croissance de la culture critique ont gravement souffert. Une société sans réel sens de possibilités d’alternatives produit une culture sans place pour une vision alternative. C’est ce qui menace aujourd’hui de détruire complètement les germes de la critique et les efforts qui avaient été semés dans ce pays.

Comme au Nigeria, l’indépendance a déclenché une nouvelle vague d’optimisme culturel au Zimbabwe, qui a été rapidement suivi par un activisme culturel sérieux, manifeste dans la poursuite vigoureuse du progrès dans l’éducation, la littérature, les arts et la critique. Même s’il n’est pas du tout certain que cet esprit ait duré. La difficulté la plus concrète de la critique d’art au Zimbabwe, est, peut-être, l’absence de constituants suffisants pour un appareil critique : au sein des médias, des institutions, et en raison de la promotion et du clientélisme. Durant la dernière décennie, un certain nombre de publications ont apparu et disparu, et certaines ont réussi à tenir le coup, mais il est évident que pour un pays encore aux premiers stades de sa consolidation nationale et socio-politique, le niveau nécessaire de soutien de l’État à la culture et à la promotion d’un établissement critique a fait défaut. Et ce n’est que par une phase soutenue de soutien et d’encouragement, et un engagement pour l’éducation et la reconnaissance de la valeur de la critique, qu’une telle fondation peut prendre racine.

La place de la critique d’art dans la nouvelle Afrique du Sud est d’un grand intérêt, et je m’excuse si je suis incapable, par manque de temps, de parler de ce qui y est si appréciable. Il est à noter, toutefois, que dans les années qui ont suivi la mise en place de la démocratie libérale dans ce pays, une nouvelle ère de participation culturelle et critique traversant les partitions raciales s’en est suivie. Néanmoins, les apparatus de la critique restent, pour l’essentiel, dans les mains d’un groupe de classe particulier, et les dangers de cette situation se sont manifestés récemment dans l’emploi de ces appareils pour réprimander ou rendre silencieuses les interrogations noires des pratiques artistiques blanches qui impliquent l’utilisation du corps noir. Un exemple concret de cela est le mépris, proche de la censure, des critiques d’art pour les protestations de femmes noires contre la violence de la représentation du corps noir dans l’imagerie visuelle blanche, et l’insensibilité au pouvoir de l’appareil critique à promouvoir, sans s’interroger, des artistes dont la pratique relève de ces domaines d’une grande importance historique et politique. Nous aurons, je l’espère, le temps d’aborder ces questions aujourd’hui, à savoir la valeur et les caprices du pouvoir dans la détermination de la pratique critique, et la question toujours pérenne de la sensibilité et de la responsabilité critique, y compris des artistes, de s’exprimer, au sein d’une démocratie, sans violation des droits de la personne.

En théorie, l’Afrique du Sud a aujourd’hui le plus de potentiel pour nourrir une fondation critique vigoureuse et effervescente, celle qui servira au retour de la confiance envers ses artistes, et un élargissement nécessaire des attentes du public et de la compréhension de l’art. L’institution de la démocratie libérale, si elle est réellement suivie par la mise en place et la consolidation d’un véritable environnement républicain, combinée à la résistance des acteurs du pays et à leurs aspirations à une place centrale dans le monde au cours du siècle prochain, tout cela offre d’énormes possibilités pour la promotion d’une critique d’art sérieuse. J’ai espoir que nos collègues sud-africains profitent de cette opportunité pour nous éclairer encore plus sur cette situation, et que nous soyons en mesure de contribuer à travers nos discussions d’aujourd’hui à l’articulation d’une vision qui puisse permettre de transformer ces potentiels jusqu’à leur achèvement.
Perspectives et défis
En conclusion, et comme nous en discutons aujourd’hui, je voudrais faire une mise en garde : une tradition critique viable et vigoureuse n’est pas produite par des idées abstraites et ésotériques et des registres tirés de la rhétorique redondante de libération pseudo-gauchiste, mais à travers la production, la participation, la consécration, la mise en place et la promotion d’appareils concrets de la pratique critique. Il n’est pas suffisant d’extrapoler sur les avantages et les inconvénients de la critique d’art en Afrique, ou de déplorer, avec ou sans conviction, l’intervention de ce qu’on appelle « l’extérieur », ou même de se livrer à des logorrhées sophistiques et rêveries philosophiques, si l’on ne pèse pas de tout notre poids pour soutenir les efforts admirables pour fournir les outils et les avenues, ainsi que la bonne atmosphère sociale et politique, pour la conduite de la critique d’art africaine. Il est bon de parler, Mesdames et Messieurs, parler ne coûte pas cher, tout comme la foi sans travail est vaine et n’a pas de valeur. La responsabilité critique, la vigilance culturelle, l’acquisition d’un langage compétent doivent être fondées sur la volonté de contribuer à l’édification de structures et d’opportunités pour la critique. En les sécurisant, il ne fait aucun doute que la critique de l’art africain moderne trouvera sa place, lentement mais sûrement, d’autant plus que nous nous aventurons dans un siècle nouveau.

Merci.

Traduit de l’anglais par Kantuta Quirós