Majeure 34. L'effet-Guattari

Les cartes et les ritournelles d’une panthère arc-en-ciel

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Le film La Panthère rose, la bande-son, puis le dessin animé, ont promu la panthère au rang d’animal politique dès 1963-64[1]. En 1966 naît aux États-Unis le mouvement des Panthères noires, imité un temps par de jeunes Israéliens séfarades ; plus tard les Panthères grises demandent la reconnaissance sociale des droits des personnes âgées. Dès 1974 Eddy Mitchell essaie de conjurer la dimension subversive de la panthère : « Au pays bleu, la panthère rose est bleue » (1974). Mais la panthère rose fait partie du bestiaire des références possibles pour une schizoanalyse : « La panthère rose n’imite rien, elle ne reproduit rien, elle peint le monde à sa couleur, rose sur rose, c’est son devenir-monde, de manière à devenir imperceptible elle-même, faire sa rupture, sa ligne de fuite à elle, mener jusqu’au bout son évolution ‘aparallèle’ »[2]. Depuis 2002, les Panthères roses luttent dans le monde entier pour un féminisme ouvert à toutes les pratiques réprimées. La panthère rose a changé de visage et de sonorité, mais elle continue de faire mouche.

La panthère arc-en-ciel désire un autre monde, elle cumule toutes les couleurs, tous les genres et toutes les positions. Sur son corps sans organes le mélange est toujours imparfait et lui donne toutes les nuances, tous les genres. Mais dans la Chaosmose les couleurs deviennent invisibles, recomposent la lumière. Le pelage de la panthère-arc-en ciel est blanc comme le soleil au zénith, blanc comme « le maillot qui couvre la poitrine d’un lutteur »[3]. La couleur et le son sont les deux matériaux privilégiés de la panthère. Ils sont faits de vitesses différenciées, ils s’expriment dans une variation continue saisissable seulement de manière discrète, et différemment suivant les cultures. La couleur, le son changent à chaque nouveau milieu traversé. La couleur, le son, n’ont pas de réalité signifiante intangible, leurs perceptions sont culturelles ; leurs déterritorialisations permanentes sont les œuvres de la peinture et de la musique.

De la psychothérapie institutionnelle à la schizoanalyse, Guattari, grâce à son couplage avec Deleuze, a construit une vision intensive du monde et de l’histoire, qui englobe le travail d’exploration de l’inconscient et de fabrication de capacités d’invention mis en œuvre à la clinique de La Borde ou dans les mouvements militants. Il affirme avec Deleuze dans L’Anti-Œdipe que ce qui est refoulé par l’enfant, c’est l’inconscient du père et de la mère en lui, et que les difficultés du jeune adulte ne sont que les ratés de la tentative de donner une expression et un contenu autonomes à sa propre subjectivité. Comme Le Deuxième Sexe (Simone de Beauvoir), nous ne sommes pas nés ce que nous devenons ; du jour où nous luttons pour notre libération, ce devenir n’est pas une imposition mais une construction, de l’art.

Avoir une attention suffisante à la multiplicité des affects qui saisissent chacun, et à la diversité des manières concrètes dont ces affects nous pénètrent, implique des méthodes d’analyse nouvelles : le flux verbal sur le divan n’est qu’un indice des agencements dans lesquels se déroule la vie quotidienne, et masque, comme l’arbre pour la forêt, la concrétude de l’agencement. Le patient vit dans des groupes qui métabolisent sa problématique, et dont les modifications vont, plus que sa volonté propre, le faire évoluer, l’ouvrir à de nouvelles idées et réalités.

L’observation des remaniements subjectifs à la clinique de La Borde, et dans les groupes politiques, fait espérer que le psychotique, et le schizophrène tout particulièrement, pourront entrer dans un redéploiement de leur accroche au monde. Faire de tous les êtres humains des multiplicités sensibles hétérogènes, interconnectées en rhizome, reconnaissant les particularités des unes et des autres, modifiées par elles, et poussées vers un déploiement de leurs propres spécificités : Guattari défriche de nouveaux territoires existentiels qui n’ont l’allure de jungles que pour ceux qui n’osent pas y pénétrer. L’expérience de Fernand Deligny avec les enfants gravement autistes est un repère pour aller de l’avant : puisque le comportement de ces enfants, tournoyant sur eux-mêmes en aboyant, fait problème aux adultes qui les accompagnent, Deligny leur propose de cartographier les mouvements des enfants dans le territoire local, sans omettre les comportements qui gênent. Le signe de ces derniers disparaît au fur et à mesure de l’empilement des cartes. La relation des adultes aux enfants a donc changé, ce qui ne veut pas dire pour autant que le comportement réel des enfants ait changé. C’est déjà ce qu’avait pointé François Tosquelles au début de la psychothérapie institutionnelle : c’est l’institution qui enferme les fous qu’il faut soigner, le traitement infligé aux malades mentaux qui est malsain.

6 Guattari affirme sans relâche que l’individu, dans son corps propre, son moi, ne coïncide nullement avec les territoires existentiels dont il relève, et qui le débordent de tous les côtés. Par un travail culturel d’intégration des affects aux univers incorporels dominants dans la civilisation à laquelle on appartient, on arrive en général à contenir ces univers et ces affects dans la limite individuelle qu’on incarne ; on est alors normopathe. Cette intégration n’est jamais parfaitement réussie, mais elle est plus ratée pour certains, dès lors enclins à adopter des comportements répétitifs, qui font problème à la majorité. L’appréciation de la nature de ce problème est très difficile car toutes les ritournelles sont singularisantes ; ce sont elles qui font émerger les individus dans les territoires existentiels, qui indiquent leur présence, tel le générique de La Panthère rose.

Pour Guattari, l’individu ne peut apparaître que sur fond de collectif, mais le capitalisme s’acharne à détruire les collectifs, et à construire une équivalence directe entre les individus, condition tendancielle de leur mise au travail la plus productive. Dès lors l’anti-travail de l’opérateur de santé mentale doit être non seulement d’écouter la plainte du patient sur le divan, mais de constituer des collectifs suffisamment différenciés pour accueillir le maximum d’hypothèses véhiculées par les individus, et par leurs agencements collectifs divers. Le cinéma, la littérature, l’ensemble des pratiques sociales témoignent de l’existence de nombreuses fabriques à désirs, de la prolifération des foyers de l’anti-travail.

Petit à petit, Guattari a forgé un ensemble d’outils à même de soutenir chacun dans son désir d’échapper à l’injonction capitaliste, en s’appuyant sur ses passions, sur les actions auxquelles il participe, sur les universaux culturels qu’il reconnaît, et sur les flux libérés à la surface de la terre par l’aventure humaine. Le sujet, mis à distance de l’impuissance que la centralité de son moi engendrait, développe sa réflexion et la capacité d’action dans une infinité de situations différentes. Ces outils viennent de la psychothérapie institutionnelle et de la psychosociologie dans un premier temps ; puis Guattari se tourne vers des sémiotiques non limitées par l’effondrement des « lieux de parole », sensible depuis 1975 ; enfin il invente les « cartographies schizoanalytiques » et jette les bases de l’« écosophie ».

Les outils de la psychothérapie institutionnelle et de la psychosociologie

Guattari avait pour habitude de créer des groupes. À la clinique de La Borde, il y avait des groupes appelés unités thérapeutiques de base, des groupes affinitaires autour de certaines activités, un « groupe des groupes ». À Paris, il y avait le « groupe du mardi » et les groupes de la FGERI (Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles). Il créait des groupes à propos de tous les problèmes qui étaient apportés au CERFI (Centre d’études, de recherches, de formation institutionnelles) et disait : « faites un groupe ». Un groupe déploie le problème dans x directions, cela permet des accroches imprévisibles entre les préoccupations des uns et des autres. Cela mutualise les associations d’idées et les savoirs. Cela a une force érotique propre qui augmente le rendement par rapport à ce qu’auraient fait les gens individuellement. Un groupe, c’est une machine désirante.

Mais cette machine peut parfaitement se coincer, c’est sans garantie ; seule l’expérience peut dire si cela marche ou pas, si l’agencement collectif sait prélever sur l’environnement ce qu’il lui faut pour fonctionner. D’où toujours la politique guattarienne : le groupe n’est pas seul, il est dans un ensemble de groupes, il est coordonné par « un groupe des groupes » à La Borde et par une assemblée générale au CERFI, qui sont ouverts à des non-membres des groupes, dont les points de vue « profanes », ou de « passants », sont pris en compte, quitte à exaspérer, mais à produire des rebondissements inespérés.

Le sujet agit entre les groupes auxquels il collabore, et apporte sa territorialité singulière, comme point de rhizomatisation, d’accrochage social particulier. Le centre de l’organisation n’a pas d’objet, sauf celui d’assurer la cohésion de l’ensemble, avec tous les risques de prise de pouvoir sur les contenus que cela représente ; et pourtant il faut que cette position centrale, cette chefferie, soit tenue, pour des raisons administratives, financières, d’attachement à la normalité. Qu’à cela ne tienne : l’occupation du centre va faire aussi l’objet d’un groupe, pas choisi n’importe comment. Au CERFI, Guattari l’a appelé par dérision la Mafia, ceux qui ont l’ancienneté, l’intérêt, qui font partie de la famille, bref des critères classiques par lesquels le groupe a son adhérence à la société dominante.

Le groupe produit un bulletin ou une revue. Recherches universitaires explorait au début des années 60 les contours de l’identité étudiante ; Guattari et ses amis y avaient proposé de créer un hôpital de jour pour jeunes ouvriers et étudiants, où aurait commencé d’être mise en question la barrière subjective entre université et usine, qui constituait le cœur du malaise étudiant à l’époque. Recherches fut la revue des groupes d’études et de recherches institutionnelles et de leur fédération créée en 1965. Assemblage de groupes hétéroclites de médecins, de psychiatres, d’enseignants, d’étudiants, de femmes, d’architectes, la FGERI se proposait de changer quelque chose à partir d’entrées méconnues des groupes politiques. Mai 68 a multiplié les tentatives de cette sorte. Recherches a continué, revue plus ou moins sérieuse, toujours faite par des groupes de travail, réunissant des contributions de tailles diverses et des compétences inégales – le projet répété de fabriquer des patchworks chatoyants à partir d’une remise en cause radicale de la division entre les sciences humaines, et d’un cordial mépris pour la neutralité requise dans les sciences asservies au pouvoir. Le chatoiement a culminé avec le numéro Trois milliards de pervers : grande encyclopédie des homosexualités, qui a pu compter avec l’humour décapant de Guy Hocquenghem. Mais bientôt un effet de centrifugeuse s’est saisi de ce qui avait été une succession de feux d’artifice. D’autres numéros de la revue Recherches ont suivi, parfois écrits par des individus, ou par des couples. Les Untorelli rassemble des leaders des mouvements de l’autonomie ouvrière, et marque la naissance d’un nouveau groupe félicien, le CINEL, Centre d’initiative pour de nouveaux espaces de liberté, qui participe aux luttes des écologistes, des Palestiniens, des Italiens, des radios libres, des Yougoslaves non nationalistes. Quant à Recherches, envahie par de vrais chercheurs qui n’ont plus l’éthique de l’ouverture au passant, elle s’endort un peu et décide de se doter d’une maison d’édition de vrais livres, écrits par des individus et non des collectifs. Félix publie à Encres Recherches deux livres : La Révolution moléculaire (1977) et L’Inconscient machinique (1979). Et puis c’est la crise : certains chercheurs cerfiens veulent une revue expurgée des branchements italiens et « pédophiles », et des risques que fait courir une l’exploration multidimensionnelle du monde. Le dissensus, à peu près équilibré en termes de rapport de force, a raison du CERFI.

Cet effondrement est lié au tarissement du flux fondamental qui innerve toute action humaine au temps du capital : l’argent. Guattari y a toujours été sensible et a su organiser au sein de la clinique de La Borde des circulations d’argent qui ont donné une certaine autonomie aux pensionnaires : le club, comme dans certains autres hôpitaux psychiatriques. Le CERFI fut créé avec l’idée qu’en vendant des études aux ministères, français ou étrangers, on arriverait à « faire du fric » et à financer des activités militantes à déterminer. La circulation du fric y fut en fait très différente : elle permit de salarier au niveau technicien environ vingt-cinq personnes, tout en dégageant de l’argent pour la revue. Les contrats de recherche parlaient, eux, de la rémunération en hommes-mois de directeurs de recherches moins nombreux et beaucoup mieux payés. En 1974, le gouvernement changea son fusil d’épaule : plus de contrats pour des jeunes chercheurs prometteurs, intégration de ces jeunes au CNRS ou à l’Université, et transfert de l’argent réservé aux contrats vers le financement de postes de fonctionnaires. Plus de CERFI central, que des petits CERFI croupions, sur des queues de contrat sans panache.

Ce tour d’horizon de quelques-uns des premiers outils utilisés par Guattari serait incomplet sans un arrêt sur le transfert, qu’il soit un transfert d’argent, une redistribution, comme dans l’exemple de l’argent de la recherche ci-dessus, ou analytique. Le flux d’argent, en passant d’une main à l’autre, change les positions désirantes des agents. Guattari insiste plutôt sur le fait qu’il n’y a pas que de l’argent qui se transfère dans la situation analytique, mais des affects, des attentes, de la capacité d’analyse, un apprentissage de part et d’autre. Venant du mouvement des auberges de jeunesse, des loisirs partagés avec de jeunes ouvriers, il est particulièrement sensible au caractère réparti de la relation de soin à la clinique de La Borde[4], et au caractère réparti du travail dans toutes les organisations. Il va même jusqu’à indiquer que le transfert ne concerne pas seulement les relations avec les personnes, mais aussi les liens avec les objets, avec le décor et l’environnement qui peuvent avoir un effet pathologique ou bénéfique. Surtout, expérience clinique comme expérience politique aidant, il se rend compte que le transfert doit être entretenu institutionnellement comme prélèvement sur un flux, que les relations doivent être en permanence remaniées, si l’on veut que l’organisation ne sombre pas dans la routine et soit le support pour chacun de sa schizoanalyse. D’autres outils sont donc à trouver pour la schizoanalyse, en dehors de la psychothérapie ou de l’analyse institutionnelles qui, au moment où il écrit, commencent à se heurter à la crise de la sécurité sociale, à la raréfaction des flux d’argent qui alimentent la pratique psychiatrique.

La recherche d’outils ne privilégiant pas la parole

Dans les groupes, la parole, commune ou non, est le principal outil d’investigation et de décision. Pour pouvoir parler, le groupe doit être amené à l’existence par une institution ou un mouvement. Quand mouvements et institutions semblent se fossiliser, comme dans les années 1975, il faut trouver des processus qui soient capables de déborder de leurs conditions institutionnelles de naissance. L’observation de l’évolution des technologies montre par exemple une transformation fonctionnelle et formelle des machines vers toujours plus de puissance à moyens énergétiques identiques, ce qui implique une mobilisation de ceux qui contribuent à les concevoir et à les réaliser. Cette transformation agence des composantes hétérogènes, des savoirs multiples dans le cas des productions industrielles ; elle correspond à une capacité d’agencement quasiment adjacente à l’objet à produire dans le cas de l’artisanat. Si l’on suit les analyses de Simondon sur l’objet technique, il y a une sorte de pilotage de l’innovation humaine par l’objectité en cours de constitution[5]. Cette machine abstraite, transversale, susceptible de donner une puissance d’affirmation « auto-ontologique » à l’assemblage des composantes est une machine désirante, entraînant le désir dans son adjacence.

La levée du désir s’exprime dans le double mouvement de déterritorialisation-reterritorialisation qui travaille l’invention et la reproduction des objets matériels, artisanaux ou artistiques. Mais le développement du capitalisme tend à sélectionner très étroitement les ressorts de la production. Le désir se reporte vers les univers incorporels de l’image, du son, de la science, du sens, vers toutes les formes de création. L’écriture, d’origine bureaucratique, devient machine désirante si l’écrivant se place en adjacence au processus qu’il dessert, se met à tracer la tangence de son existence sur le corps sans organes et non au service de sa compagnie d’assurances ou de son ministère. La lettre, déterritorialisée du divan, devient véhicule d’un transfert tout terrain. Kafka a excellé dans le montage d’une machine littéraire, faite de lettres à ses Amies, de son journal, de ses nouvelles, de ses romans : quatre types de compositions pour machiner son exode de la conjugalité et de la bureaucratie[6]. Le mi-temps qu’il gardait chez son employeur, dénigré à longueur de lettres, lui servait de prise de terre, de pouvoir et d’argent ; il prélevait ainsi sur l’ennemi de quoi alimenter sa machine de guerre.

Guattari a déjà pratiqué l’écriture de textes politiques et d’articles dans le champ de la psychothérapie institutionnelle, ou dans une perspective plus théorique, dans les premiers numéros de Recherches par exemple, avant de rencontrer Deleuze et la rigueur d’une écriture méthodique. Sa méthode d’écriture est celle de la mise au point par rabotages et corrections successifs d’un flux d’idées jetées sur le papier sans souci de la réalisation d’un plan. Donner à voir la complexité du jeu des composantes d’une question, et le point où porte le désir en acte. L’acte d’écrire va se terminer par un trait droit, non formé, une ligne de fuite qui continue sans signifiance. Ses livres suivants, de Psychanalyse et Transversalité à Chaosmose, s’attaquent inlassablement au même problème : en vivant à la clinique psychiatrique de La Borde, avec les psychotiques, on constate l’existence d’un réel antérieur à la discursivité, et pouvant se singulariser d’une infinité de manières différentes selon les évènements. Projeter sur cette réalité des catégories unifiées, c’est interdire l’émergence de nouveaux processus de subjectivation. Inviter à écrire, à participer à une machine d’écriture impliquant la régularité, l’échange, ou en tout cas une relation transférentielle, c’est ouvrir des opportunités de changement là où la pression sociale les dénie. Il en va de même dans les mouvements politiques en déroute, ce que fut le mouvement du 22 Mars après son interdiction en juin 1968. La mise en place d’une machine littéraire, ou orale, de partage des trajectoires des uns et des autres a pu rendre sa consistance à un territoire existentiel en déshérence et préparer le CERFI.

La vidéo est apparue à cette époque, d’abord dans le Mouvement de libération des femmes. Sa relative facilité d’usage a donné l’espoir d’un outil de description collective des situations qui tournerait entre tous les membres d’un groupe. Des expériences en ce sens ont été menées en entreprise : par exemple lorsque EDF est passée d’une réparation exigeant la mise en panne de tout un secteur à une réparation sous tension, c’est en se filmant les uns les autres que les ouvriers ont appris à vaincre leur peur et à pratiquer les gestes adéquats. Mony Elkaïm, psychiatre belge ami de Guattari, utilise la vidéo dans une pratique de thérapie familiale organisée sous forme de psychodrame. Le regard vidéo permet de ne pas se fixer sur ce qui est dit explicitement, mais plutôt sur un ensemble de « manifestations sémiotiques » qui échappent au regard ordinaire[7]. Guattari fait l’hypothèse que si on confie une caméra vidéo à des membres de gangs d’adolescents à New York, on apprendra ce qui les fait marcher, se machiner ensemble, et se machiner avec des armes. Porteuse de cette hypothèse, Martine Barrat, photographe, s’enracine dans les quartiers noirs de Harlem, et rapporte aujourd’hui les images de leur destruction par la gentrification[8]. Avec le groupe vidéo du CERFI, les désirs sont plus cinématographiques : François Pain réalise un film dans le métro[9]. On découvre expérimentalement que la Topographie pour une agression caractérisée, fantasmée par Rachid Boudjedra, est impossible à filmer : la sociabilité du métro est en fait civile, serviable même. Cependant, pour être véritablement déterritorialisante et connective, la production vidéo aurait besoin de reposer sur des flux financiers suffisants. Le mouvement des intermittents du spectacle, en revendiquant une continuité de revenu, essaie actuellement de dégager cette possibilité. Quant à la vidéo des chaînes télévisées, de la publicité, elle est comme nos ordinateurs, utilisée au point le plus faible de ses possibilités expressives.

La connectivité qui se développe avec les objets techniques, autour des nouvelles relations professionnelles dans une société de services, autour des nouvelles relations de consommation, dessine des relations bien différentes de celles des classes sociales d’antan, ou de celles des communautés ethniques ou religieuses. Dans l’optique schizoanalytique, il convient d’accueillir cette mutation des relations sociales et de faire « rhizome », notion qui ajoute à celle de réseau, outre celles d’horizontalité et de construction de proche en proche, une dimension souterraine et de réémergence qui peut faire illusion, faire croire à la tige unique alors qu’il s’agit de tout un ensemble. Faire rhizome, c’est aller vers l’autre, non pas en ennemi ou en concurrent dans une perspective de destruction, mais dans une perspective d’alliance et de construction d’une micro-territorialité temporaire susceptible, bientôt, d’être partagée avec d’autres, par de nouvelles ramifications du rhizome.

Le groupe, qui a montré ses limites, n’est plus au poste de commandement. La schizoanalyse s’adresse maintenant à des individus qui entrent dans des relations changeantes aux multiples directions, par des adjacences toujours partielles, des objets transitionnels, sans jamais rien solidifier définitivement. En indiquant comment puiser ses ressources dans l’ensemble des moyens technologiques, naturels, sociaux, existants, la schizoananlyse construit une alter-société qui n’a pas le pouvoir pour idole mais entend se développer sur toute la surface de l’Empire. Le mouvement des radios libres a fait espérer à Guattari qu’on pouvait fédérer cette alter-société grâce à des technologies de communication légères, qu’on pouvait faire entendre son grouillement souterrain, et la faire chanter comme Joséphine dans la nouvelle de Kafka, « Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris ».

Les quatre dimensions de l’objet écosophique

Guattari s’applique inlassablement à « créer des foyers locaux de subjectivation collective ». Prenant la clinique de La Borde pour exemple, il explique comment l’organisation des diverses activités vise à donner des possibilités diverses de se recomposer une corporéité existentielle, de sortir de ses impasses répétitives et de se singulariser. Le territoire labordien a été doté ainsi d’une capacité transférentielle, d’une puissance analytique, constatée y compris par les experts du ministère de la Santé. En conduisant les remaniements successifs de la clinique, en confrontant son organisation avec celle d’autres expériences psychiatriques, en interrogeant ces réalisations de différents points de vue théoriques, Guattari a dégagé les composantes d’un territoire institutionnel, puis schizoanalytique, susceptible de développer des vertus semblables. Il s’agit de donner à chacun des repères à la fois individuels et collectifs, une « cartographie » pour gérer ses angoisses, ses inhibitions et ses pulsions. Guattari forge des instruments à utiliser par chacun pour cesser de rabattre ses « problèmes » sur son histoire infantile, sans l’ignorer, et frayer son chemin au milieu d’autres territoires existentiels, en les faisant entrer en composition avec le sien dans la construction de nouvelles machines sociales. Pour cela, il faut disposer d’une cartographie approximative de la situation la plus adéquate possible.

Les Cartographies schizoanalytiques[10] donnent une représentation synthétique et opératoire de cette élaboration. Les dessins des cartes, superposés comme dans l’expérience de Deligny, font jouer le désir entre quatre foncteurs, travaillés par des processus de déterritorialisation, qui en font des pôles en mouvement, des intensités, qui parcourent le champ de l’inconscient et le champ social. Les flux matériels, naturels, se déterritorialisent dans le phylum machinique, l’invention continuée des technologies qui en commandent la capture. Les territoires existentiels se déterritorialisent dans des univers incorporels qui constituent le commun cher à Toni Negri : musique, peinture, mathématiques, sciences et autres productions humaines. Les flux et les univers incorporels se figent dans les territoires existentiels. Les univers incorporels informent les flux pour composer le phylum machinique. Et les machines, pour transformer les territoires existentiels, sont obligées de passer par les univers incorporels, de la même manière que les flux, pour s’inscrire dans les univers incorporels, sont obligés de faire le tour par le phylum machinique ou par les territoires existentiels. Il n’y a pas de circuit court pour produire le commun, sinon l’abolition et la mort.

Guattari situe la problématique inconsciente par rapport aux flux de matières, et à leur transformation à une vitesse accélérée en outils aussi bien utiles que destructeurs, suivant l’usage qu’on en fait. Par rapport à quelles machines se met-on en adjacence pour inventer sa propre situation de création ? Dans Cartographies schizoanalytiques, la déterritorialisation semble devenir objective, et s’opposer directement à Heidegger, qui stigmatisait l’arraisonnement du monde par la technique. Les Cartographies se projettent dans un au-delà des savoirs existants, « tendent la main vers la futur » et l’infinie possibilité de nouvelles inventions. Une modification de la position sur le phylum machinique, qui n’est pas constitué que de machines techniques, mais aussi de machines sociales comme la psychothérapie institutionnelle ou toute organisation opérationnelle dans un domaine limité, peut permettre de modifier un territoire existentiel en souffrance, via l’interprétation fournie par des univers incorporels de référence pertinents, par une discursivité appropriée.

La découverte par Guattari des travaux écologiques norvégiens et allemands, notamment le livre Le Principe responsabilité, de Hans Jonas, est venue tempérer la croyance dans une ère post-média, où la miniaturisation des outils informatiques et leur mise en réseau permettrait le développement d’une nouvelle créativité. Les réalisations en ce sens commencent à montrer leur dépendance vis-à-vis des représentations existantes, la difficulté par exemple de passer d’une vision arbrifiée à une conception en rhizome. Dans Chaosmose, les cartographies deviennent multiples, attachées à tous les systèmes de repérage éco-systémiques, et la cartographie schizoanalytique n’est plus que la plus aboutie d’entre elles, celle qui permet de ne pas ramener les situations sous la domination, toujours, de deux variables au maximum. Guattari donne les moyens d’éviter les alternatives binaires et d’explorer la multiplicité des variations possibles de la subjectivité. La ritournelle, l’espace sonore qui indique un territoire existentiel à la fonction bien déterminée, devient plus importante dans le raisonnement que le flux. La ritournelle était déjà apparue, dans L’Inconscient machinique et la réflexion sur Proust, comme l’indicatif sonore d’un agencement de désir local. La ritournelle se présente toujours comme le détachement d’un « motif » existentiel s’instaurant comme « attracteur » au sein du chaos des sensations et des significations, mais elle acquiert dans Les Cartographies schizoanalytiques une position nouvelle : elle fonde la déhiscence possible des agencements dominants. La ritournelle, simple indicatif de territorialité chez l’oiseau ou de présence pour la Panthère rose, attire l’attention du partenaire ou du téléspectateur. Freud la confond avec le symptôme dans le cas du névrosé ou du psychotique, en parlant d’un automatisme de répétition constitutif de son identité. Mais la recherche écosophique va en explorer les possibilités de déformation et de connexion rhizomatique avec d’autres univers, comme dans la création musicale ou dans la peinture. Une activité narrative est déclenchée grâce à la cartographie schizoanalytique, à la mise en relation des territoires existentiels avec les univers de valeurs et les productions machiniques. Il s’agit de lester l’histoire individuelle, de lui faire prendre terre, s’ancrer non pas dans un retour à l’enfance ou dans une régression familialiste, mais dans la connaissance des nœuds de signification qui lui sont propres et de leur possibilité de dénouage par le suivi des embranchements auxquels ils ouvrent. Les territoires de la ritournelle existentielle sont fortement remis en question par la déterritorialisation qu’exerce sur eux le capital-argent, soit qu’il les aspire vers la réalisation toujours plus déterritorialisée des valeurs de la civilisation capitaliste, soit qu’il les détruise du fait de leur incompatibilité complète avec ces mêmes valeurs. Mais confortés par le travail schizoanalytique, ces territoires de la ritournelle vont mettre en œuvre de nouvelles productions collectives et individuelles qui permettent de survivre dans le flux déterritorialisant, sans pour autant y faire fortune, cette chance étant réservée à ceux qui choisissent de servir corps et âme la reterritorialisation capitaliste.

Certes, Kafka a indiqué narquoisement dans la nouvelle « La colonie pénitentiaire » que ce serviteur y passerait finalement aussi, et ferait exploser la machine en la mettant au travail sur son propre corps. Mais cette justice dernière n’a aucun intérêt, elle est celle du dernier vivant. Face à la carte qui flue, au torrent technologique et financier qui nous emporte, comment construire un radeau, comment transformer le flux en ressource ? Guattari nous suggère dans Cartographies schizoanalytiques, et plus encore dans Chaosmose, d’être attentifs à ces ritournelles existentielles, aux signes à peine perceptibles d’une « rupture paradigmatique des amarres technico-scientifiques et d’un ré-amarrage des pratiques sociales et analytiques du côté des paradigmes éthico-esthétiques »[11]. La schizoanalyse doit être complétée par une « ritournelle-analyse » qui s’intéresserait spécifiquement aux modalités énonciatives, non seulement langagières, mais sonores, olfactives, comportementales, à la diversité des manières de disposer l’existence. Les flux technico-financiers seraient maintenus à distance et n’auraient plus alors la fonction de pilotage des machines désirantes qu’ils tendaient à prendre dans les théorisations précédentes. Ils seraient adjacents au corps sans organes, comme toute fonction subjective.

Bien que le corps plein sans organes soit mentionné dans les Écrits pour L’Anti-Œdipe, il me semble que le concept de corps sans organes, dans son articulation avec les machines désirantes, soit une production caractéristique du couple Deleuze-Guattari et reste quasiment absent de l’élaboration propre de Guattari, qui lui préfère le plan de consistance venu de la géométrie descriptive et projective, celle qui sert à dessiner les machines. Si dans une conception mathématique élémentaire on peut imaginer les lignes de fuite comme des tangentes au corps sans organes, et se représenter le sujet comme prenant la fuite en ligne droite à l’infini, une réflexion mathématique plus poussée fait au contraire de la courbe dans l’espace-temps la limite entre deux lignes indéfiniment brisées qui tendent l’une vers l’autre. La ligne de fuite entre les segments du désir est, à la surface du corps sans organes, une surface courbe infinie dans le fini. Cette limite est infinie car elle repousse indéfiniment dans le temps la suite des opérations qui permettraient de la définir complètement ; elle tend donc la main vers le futur comme le souhaite Guattari. Sa simple approche par la forme finie, dans la doxa dominante, permet de se contenter du présent, et de ne pas se livrer aux affres de l’hystérie anti-travailleuse, d’obéir au capitalisme, au désir près.

Le corps sans organes est alors une surface courbe à la fois illimitée et fermée, finie et infinie, qui sépare par ses tensions énergétiques le dedans et le dehors, le territoire existentiel et les univers incorporels. Le corps sans organes se sent, s’éprouve, comme disait Artaud, par les tensions, par l’énergie que consomme aux dépens du corps la bataille des forces entre le dedans et le dehors. Une bataille que chacun est seul à pouvoir mener. Dans leur complexité, les Cartographies schizoanalytiques se présentent comme un quasi-outil professionnel pour géomètre de l’inconscient, alors qu’elles voudraient être une carte pour le randonneur. Il reste un important travail de traduction à faire !

La production du corps sans organes à partir de ses intensités subjectives, recommandée dans Mille Plateaux, est un tout autre exercice. Il ne s’agit plus d’une représentation sur papier comme dans le schéma ci-dessus mais d’une mise en tension des sensations, d’une attention à la filtration des évènements qui passent du dehors vers le dedans et réciproquement, et d’un agencement de ces éléments au gré du désir. La doxa dirait de configurer l’agencement vers le minimum de tension, vers l’équilibre. Guattari affirme que cet équilibre est variable, décline l’infinité des combinaisons qu’on rencontre sur le corps sans organes, produit des singularités toujours nouvelles. À la doxa qui fait de cet agencement la pulsion de mort, l’attraction de l’être vers le néant, Guattari répond que l’histoire montre au contraire le creusement permanent d’une différence, la poursuite de la déclinaison du corps sans organes. S’inventer un corps sans organes consiste certes à diminuer au maximum les tensions entre le dedans et le dehors, mais pour arriver à sentir le désir comme envol d’un point de singularité. La panthère arc-en-ciel synthétise les couleurs du monde et les diffracte en chacun des points de sa peau. Elle a le monde dans la peau. Le chaos n’a plus besoin d’être ramené aux conditions initiales qui l’ont engendré. La récurrence de ses occurrences a pris le dessus et entraîne l’écosystème vers des états non prédictibles sur le long terme. Il convient alors d’habiter le moment où l’on vit dans une hypersensibilité aux devenirs, de restituer le chatoiement du monde de la place où on le découvre. Une œuvre collective qui déploie l’art à toutes les échelles.

La chaosmose

Chaosmose confirme le décrochage du primat de la production machinique, dont Guattari souligne maintenant qu’elle peut « œuvrer pour le meilleur comme pour le pire »[12]. Il continue certes de caresser l’espoir d’une « ère post-media », permise par la miniaturisation et la diffusion généralisée des outils de communication, et anticipée par de nombreuses expérimentations sociales en cours. Travailler à la production écologique sociale et mentale de lieux, comme la clinique de La Borde, qui permettent l’émergence de nouvelles subjectivités détachées de leurs impasses antérieures, reste un objectif. À La Borde, les pensionnaires, quels que soient leurs histoires antérieures et leurs milieux sociaux d’origine, s’inscrivent dans de nouveaux complexes de subjectivation matériels, sociaux et culturels, qui sont autant de machines, d’opérateurs de transfert. Ils vivent dans la clinique une reterritorialisation douce, qui se distingue de la déterritorialisation et de la dépersonnalisation de l’enfermement ; ils entendent là d’autres ritournelles et peuvent développer d’autres attractions, ils peuvent prendre goût à de nouvelles activités ou retrouver le goût de leurs activités antérieures. Comme l’a décrit Jean Oury, directeur de la clinique, dans Chimères, le travail institutionnel vise à développer une certaine « eutonie », à la différence du sentiment d’atonie que dégagent les services psychiatriques ordinaires.

La schizoanalyse avait tendance à insister sur la double attraction vers la déterritorialisation et la reterritorialisation, et à indexer la première d’une valeur positive, la seconde d’une valeur négative. Cartographies schizoanalytiques propose une multiplicité de configurations et laisse ouverte la question de l’équilibre entre les deux tendances ; cependant c’est l’addition d’une nouvelle machine sur le phylum qui semble la solution préconisée pour déplacer les problèmes rencontrés dans les univers incorporels ou sur les territoires existentiels. Face aux individus désorientés, de plus en plus nombreux du fait de l’extension généralisée du capitalisme, la schizoanalyse donne des éléments de compréhension, mais elle construit une métamodélisation, une cartographie de l’ensemble des trajectoires analytiques trop dépendante du développement technologique pour soutenir efficacement la définition de territoires existentiels viables. L’élaboration de Guattari se tourne alors, à la suite de Mikhaïl Bakhtine et Francesco Varela, vers la mise en œuvre d’une autopoïèse, d’une production subjective plus lente et plus attentive à son inscription dans le rhizome de ses relations. « La polyphonie des modes de subjectivation correspond, en effet, à une multiplicité de façons de ‘battre le temps’. D’autres rythmiques sont ainsi amenées à faire cristalliser des agencements existentiels, qu’elles incarnent et singularisent[13]. » Ces recherches étaient déjà présentes dans L’Inconscient machinique, dominées par un souci très fort du sens de l’histoire, dans lequel l’abolition, la catastrophe, la finitude étaient présentes – une machine est habitée par la passion de son abolition – mais conjurées par l’injonction d’urgence et la croyance dans le temporaire. Avec Chaosmose, la voix se fait plus sereine. Guattari prend la mesure du territoire existentiel qu’il a créé, énonce les premiers linéaments de cette discipline qui reste à développer : l’écosophie. « L’écosophie tendra à créer de nouveaux systèmes de valorisation, un nouveau goût de la vie, une nouvelle douceur entre les sexes, les classes d’âge, les ethnies, les races[14]. »

Notes

[ 1] Ce texte donne un tout petit aperçu d’une recherche toujours en mouvement ; merci aux premiers lecteurs, Pascale Criton, Éric Alliez, qui ont aidé à l’améliorer.Retour

[ 2] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 18.Retour

[ 3] Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972.Retour

[ 4] Félix Guattari, Psychanalyse et Transversalité, Paris, Maspéro, 1972, p. 12.Retour

[ 5] Félix Guattari, Chaosmose, Paris, Galilée, 1992, p. 55.Retour

[ 6] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, pour une littérature mineure, Paris, Minuit, 1975.Retour

[ 7] Chaosmose, op. cit., p. 20.Retour

[ 8] Martine Barrat, exposition à la Maison européenne de la photographie, décembre 2007 – janvier 2008.Retour

[ 9] Pour tester la petite caméra à infra-rouge Aäton de Jean-Pierre Beauviala.Retour

[ 10] Félix Guattari, Cartographies schizoanalytiques, Paris, Galilée, 1989.Retour

[ 11] Cartographies schizoanalytiques, op. cit., p. 185.Retour

[ 12] Chaosmose, op. cit., p. 17.Retour

[ 13] Idem, p. 30.Retour

[ 14] Idem, p. 128.Retour