« Nous ne sommes pas un problème, nous sommes la solution » scandent des
centaines de jeunes diplômés des écoles et universités françaises, menacés
d’expulsion parce qu’étrangers. À l’appel du « collectif du 31 mai », ils se sont
donné rendez-vous les 12 novembre, 18 décembre, 12 février à Paris, Lyon,
Toulouse pour manifester leur incompréhension, leur colère, leur amertume
vis-à-vis des promesses non tenues du gouvernement français qui après les
avoir formés et entretenus dans l’espoir de trouver des emplois à hauteur de
leurs diplômes, excelle maintenant à leur opposer une kyrielle de motifs de
renvoi. Ils demandent le retrait de la circulaire – qui transforme une simple
formalité en Graal – circulaire éponyme du 31 mai 2011, conjointement signée
par Claude Guéant et Xavier Bertrand, ministre de l’intérieur et ministre du
travail, qui a changé la vie des étudiants étrangers fraîchement diplômés.
L’objet de cette note à l’adresse des préfets est la maîtrise de l’immigration
professionnelle, son objectif la réduction du nombre d’étrangers
non-européens sur le marché du travail, sa méthode un examen rigoureux de toute demande d’autorisation du travail « notamment lorsqu’elle vise un
étranger demandant à changer de statut ». La circulaire vise donc prioritairement
ces étudiants qui, diplômés (niveau master minimum), demandent
à passer du statut d’étudiant à celui de salarié, potentiel ou réel : certains
étudiants ayant déjà des contrats d’embauche, CDD ou CDI suite à des
stages ou à des périodes d’essai, lorsqu’ils déposent une demande de CDS
(changement de statut) à la préfecture.
La question qui se pose immédiatement est comment s’effectuent
ces contrôles préalables à une autorisation qui, pour diminuer le flux des
immigrés demandeurs d’emploi, doit se raréfier. La circulaire énonce des
moyens, la pratique en fournit d’autres.
Selon le texte administratif, le respect du code du travail par l’entreprise
doit être vérifié, tout manquement à la longue liste des dispositions
énumérées (régularité du paiement des cotisations sociales, régularité des
procès verbaux enregistrant les absences, hygiène, sécurité…) peut motiver
un refus. Ces mesures qui semblent plutôt viser des entreprises clandestines
ou négligentes sont néanmoins applicables à toutes ; elles peuvent devenir
aussi le prétexte d’un contrôle spécial d’une PME ou servir à motiver
un refus d’autorisation de travail quand il n’y en a pas d’autres. Mais, dans
le cas d’étrangers diplômés demandant un CDS, sont le plus fréquemment
opposables les mesures qui concernent l’emploi. Ainsi l’absence de traces de
recherche par l’employeur de candidat (français ou étranger en situation irrégulière)
susceptible de satisfaire l’offre, l’inadéquation entre l’offre d’emploi
et le profil du postulant (étranger), la sur-qualification du candidat par
rapport à l’emploi, la discordance entre la rémunération offerte et l’emploi
proposé, peuvent justifier un refus d’autorisation de travail.
Puisque le but de la circulaire est de renvoyer les étrangers chez eux,
quand ils n’ont pas compris qu’ils ont « vocation à l’issue de leur séjour d’études
en France, à regagner leur pays pour y mettre en oeuvre les connaissances
acquises », les préfets n’ont pas eu de mal à arguer de telle ou telle disposition
pour émettre ou confirmer des avis d’expulsion. Il en résulte des situations les
plus absurdes comme celles des jeunes déjà employés par des entreprises qui
doivent quitter leur emploi parce qu’ils n’obtiennent pas leurs papiers, ou des
jeunes qui ont fait des reconversions pour s’adapter au marché du travail et trouver un emploi et se voient refuser l’autorisation de travailler, ou d’autres
qui, ayant un contrat de travail signé, sont lâchés par l’employeur parce que
l’avis du préfet est trop long à venir. Ce sont aussi les qualifications des diplômés
qui sont épinglées parce que ne correspondant pas aux « métiers en
tension », où manque de la main d’oeuvre française mais qui pour la plupart
ne sont pas en phase avec les diplômes bac+5 et bac+6. Il est aussi fréquent
que des problèmes viennent du fait que les employeurs n’ont pas déclaré l’offre
d’emploi au Pôle emploi avant de la proposer au diplômé étranger ou ne
connaissent pas la nouvelle circulaire. Cette méconnaissance n’épargne pas
les administrations qui émettent des avis disparates et contradictoires selon
les régions, quand elles ne diffèrent pas indéfiniment leur réponse ou encore
refusent délibérément de traiter les dossiers de réexamen (nombreux depuis
les nouvelles circulaires), laissant ces jeunes dans le plus grand désarroi juridique,
financier, psychologique et les jetant dans l’illégalité.
Pour lutter contre ces procédures se sont levés le « collectif du
31 mai », l’appel à signer « notre matière grise est de toutes les couleurs »,
l’université universelle, la CGE conférence des grandes écoles, la CPU
conférence des présidents des universités ; ils se sont unis pour dénoncer
les traitements abscons et arbitraires des services préfectoraux, la dimension
contre productive de la politique du ministère de l’intérieur, les procédures
contradictoires et incohérentes qui nuisent au rayonnement de la
France, au développement et à l’enrichissement de l’enseignement supérieur
comme aux intérêts des entreprises. La loi de 2006 ouvrait des portes
aux étudiants étrangers diplômés de haut niveau en disposant d’une part
l’APS (autorisation permanente de séjour), qui donnait droit à une expérience
professionnelle de 6 mois prorogeable (sous couvert cependant d’un
retour au pays, non daté), et en instituant d’autre part une carte « compétences
et talents » délivrée pour trois ans renouvelable à un étranger « susceptible
de participer, au développement économique ou au rayonnement,
intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et
du pays dont il a la nationalité ». En 2008, le Président de la république
s’était déclaré favorable à une immigration choisie (ce qui était déjà le cas).
En 2011, le ministère de l’intérieur s’évertue à semer d’embûches le recrutement
de jeunes diplômés, à l’encontre de l’attractivité de l’enseignement
supérieur français, au mépris des volontés des universités, des laboratoires
de recherche, des entreprises privées souhaitant travailler avec « les compétences
et les talents » dont l’État lui-même encourageait les projets et les
séjours. En effet la colère a grondé dans les universités et les grandes écoles
qui ont saisi le ministre de l’enseignement supérieur ; Laurent Wauquiez a
obtenu que soit corrigée la première circulaire par l’édition d’une deuxième
(la circulaire du 12 janvier 2012), censée assouplir la précédente. Les critères
« assouplis » concernent essentiellement l’APS ; cependant l’obtention de
celle-ci étant conditionnée à un engagement d’un retour au pays d’origine
non déterminé, le collectif estime que cette ouverture est un piège tant que
le flou demeure sur la durée de la première expérience professionnelle. Par
ailleurs, la nouvelle circulaire demande aux préfets de porter une attention
particulière sur certains critères liant formation et entreprise, favorisant
les parcours d’excellence, privilégiant les contrats passés entre la France et
le pays d’origine. Plus qu’assouplir, il s’agit de préciser des critères qui surenchérissent
le tri et affinent la sélection. Quoiqu’il en soit, sur le terrain
ces corrections ou dits assouplissements ne sont pas connus, ni entendus.
Soit les administrations préfectorales n’ont pas connaissance des nouvelles
mesures, soit elles ne veulent ou ne peuvent pas les appliquer – pour des raisons
rarement avouées, à savoir le sous-effectif des services déjà peu valorisés
de la MOE (la main d’oeuvre étrangère), alors que croissent les consignes
de contrôle et d’exigence. Ces dysfonctionnements se traduisent par une
durée d’attente des réponses qui va bien au-delà du délai légal et du possible
pour une personne dont le travail, le logement, la survie dépendent de cette
réponse. Deux mois d’attente signifient un refus tacite dit-on, mais qui le
dit ? De surcroît des informations fallacieuses ou fantaisistes courent sur
les dates limites de dépôt des dossiers de CDS condamnant trop souvent les
diplômés à abandonner leur droit – alors qu’ils sont encore dans les délais.
Bref rien ne change, les préfets continuent à faire du chiffre en
expulsant. Refuser 50 % des dossiers, tel est l’ordre du ministre de l’intérieur
qui a dit haut et fort qu’il fallait réduire de 20 000 les autorisations
de travail par an.
Selon les statistiques récentes du « collectif du 31 mai », 20 %
d’étrangers partent sans tenter de recours. Parmi ceux qui restent, sur 800 personnes interrogées, 50 % ont obtenu leur changement de statut,
18 % sont en attente de changement de statut (depuis 1 mois jusqu’à
1 an). Enfin, 17 % ont été refusées et 4 % sont en procédure de réexamen.
Si dernièrement le collectif constate une légère baisse des OQTF (obligation
de quitter le territoire français), c’est plutôt grâce aux actions menées
par le collectif, au recensement des jeunes diplômés menacés d’expulsion et
aux conseils prodigués par les associations telles que le Gisti, la Cimade, le
Diem, le cabinet d’avocats Lysias, tous mobilisés dans cette bataille juridique,
que par un changement des comportements des préfets sur le terrain.
Le « collectif du 31 mai » s’est formé au cours des mois qui ont
suivi la circulaire et s’est étoffé au rythme des OQTF et de façon exponentielle
par les réseaux sociaux. Il fédère une grande diversité de nationalités :
Maroc, Tunisie, Algérie, Colombie, Mexique, Cameroun, Chine, Brésil, Canada,
Ukraine, Palestine, Ile Maurice, et la France par solidarité ; s’y retrouvent
une multitude de formations dispensées dans les grandes écoles
et l’enseignement supérieur. Ces étrangers sont ingénieurs, pharmaciens,
architectes, mathématiciens, diplômés d’HEC, de Sciences Po, de Centrale,
ils ont des mastères en informatique, communication et management, ils
sont même, c’est plus rare, artistes, fraîchement diplômés !
Ils sont tous des « diplômés non grata », ou l’ont été, et ils partagent
le même sentiment d’avoir été floués : ils ont été galvanisés par des
écoles – qui elles aussi veulent des résultats –, mais qui en échange leur
promettaient un avenir. La réalité s’est avérée tout autre, voire dramatique,
pour ceux qui, ayant déjà trouvé un emploi adéquat à leur attente,
doivent y renoncer parce que l’autorisation de travailler leur est refusée ;
ils sont dès lors obligés soit de regagner leur pays soit de rejoindre la multitude
des sans-papiers. Pour tous ceux-là le collectif est la solution, il est
la riposte et la ressource de la lutte. En effet la diversité des cultures et des
compétences réunies à la détermination de ne pas laisser gagner les injustices
et les incivilités, dont ils sont victimes par les services préfectoraux,
a généré une dynamique multipolaire qui témoigne du savoir-faire et de
l’esprit d’entreprise de ces jeunes étrangers et étrangères L’une d’elles faisait
remarquer qu’à résister au stress de la vie professionnelle, ils et elles
étaient maintenant armées !
Le collectif vise deux cibles, le soutien et la solidarité avec les étrangers
d’une part, et l’opinion française d’autre part, qu’il continue d’alerter sur
le sort réservé à cette catégorie de diplômés et sur les conséquences évidemment
désastreuses de ces évictions sur l’image de la France.
Les actions sont menées en vue d’informer et de partager des savoirs
experts ou acquis par l’expérience. En même temps que sont recensés
les cas d’OQTF sont collectés les témoignages qui aiguisent la conscience
collective, alimentent la mémoire mais aussi renseignent le présent. Et
importent autant la saisie des cas individuels que l’actualité disparate des
pratiques administratives. La connaissance mutuelle et l’appréhension
globale de la situation sont des leviers de la solidarité et du combat mené
contre l’exclusion des étrangers.
Le soutien du collectif est renforcé et démultiplié par la contribution
des associations formelles et informelles au sein et à la marge de l’enseignement
supérieur, ainsi que par l’aide des organisations déjà expertes
dans le droit des étrangers. Les premières appuient les revendications, organisent
des parrainages de jeunes par des personnalités des mondes scientifique,
des arts, des entreprises, sont une courroie de transmission entre la
base et le gouvernement. Les secondes ouvrent leur permanence juridique,
conseillent, décryptent, appuient, orientent les dossiers et les démarches.
Ce travail dans l’ombre est essentiel.
La version plus spectaculaire du mouvement, à l’adresse d’une
population plus large, emprunte les voies de la presse écrite, de la radio,
de la télévision qui rendent compte des formes diverses des actions du
collectif ainsi que des situations individuelles qui ne manquent jamais
d’indigner l’auditeur.
Croisant les documents individuels, ministériels, juridiques,
historiques, analytiques, médiatiques, militants, le site du « collectif du 31
mai » archive, informe, produit du savoir, interpelle, relie tous ceux qui,
touchés directement par la circulaire ou indirectement par la politique
de l’immigration du gouvernement, veulent contribuer d’une manière ou
d’une autre à la lutte contre ses mesures discriminatoires.
Mars 2012
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