Au cours de l’automne 2008, des débats du comité de rédaction de Multitudes ont conduit plusieurs de ses membres à quitter la revue. Les départs de ces amis et collaborateurs de longue date ont ébranlé notre aventure intellectuelle et éditoriale. La dynamique et la vie collective d’une revue dépassent toutefois les personnes qui ont pu s’y investir au cours de son histoire. Multitudes, c’est non seulement une équipe qui travaille dur à la production d’un objet trimestriel (papier et numérique), mais c’est aussi tout un essaim de lecteurs, de compagnons, de libraires et de collaborateurs lointains. La nébuleuse ainsi mise en place au fil des années d’existence de la revue exige de continuer cette entreprise commune, avec la conviction que sa montée en puissance n’en est encore qu’à ses premiers pas. Nous comptons en particulier élargir la diffusion internationale de la revue en intensifiant et en élargissant son branchement sur des réseaux de diffusion et de réflexion opérant dans les mondes hispanique et anglophone.
Au moment où le capitalisme connaît une crise de confiance qui ouvre des possibilités politiques insoupçonnées, et au moment où les gauches traditionnelles s’avèrent incapables de développer des analyses à la mesure de ces réalités émergentes, Multitudes est plus que jamais nécessaire comme plateforme de propositions et de débats « prenant la politique à rebours ». Nous avons donc profité de ces départs pour compléter une équipe renouvelée, dont rend compte l’ours du premier rabat de ce numéro. Ceux qui ont préféré quitter cette aventure collective sont regrettés : la porte leur reste toujours ouverte pour intervenir dans ce qui demeure le fruit de leurs efforts passés et reste fidèle à une impulsion alors commune. L’ours de ce numéro comprend l’arrivée de nouveaux membres ainsi que le retour d’anciens amis, qui ouvriront ensemble d’autres voies d’explorations et d’expérimentations.
À travers la mue qu’elle vient de connaître, Multitudes poursuit son projet d’injecter dans le débat politique des forces de propositions alternatives qui déplacent les cadres d’analyse communément admis. Une critique radicale des méfaits du capitalisme doit de notre point de vue dépasser les condamnations dogmatiques (quoique bien intentionnées) pour pointer les innovations portées par ceux qui prennent de vitesse (ou de lenteur) la mondialisation, et qui dessinent des itinéraires bifurquant des lignes dominantes. Nos analyses reposent sur l’intuition que les multitudes ne sont pas seulement exploitées mais aussi encapacitées par le développement de technologies, de relations et d’affects qui se trouvent quotidiennement réappropriés de façon inventive. Tout autant qu’il est un système économique ou politique de domination, le capitalisme émane de certains rapports de forces, qui sont en état de recomposition permanent. Multitudes se situe sans ambiguïté en opposition à son pouvoir de captation et en soutien des forces de création qui avivent les tensions génératrices de possibles. C’est ce renouvellement des possibles qui constitue notre projet intellectuel dans les domaines de l’art, de la philosophie, de l’économie, de la sociologie, de la théorie politique, de la critique culturelle, et de toutes les formes de réflexion dont la nature indisciplinaire reste heureusement encore sans étiquette. Multitudes est plus que jamais une plateforme ouverte à toutes les initiatives que son devenir investit depuis maintenant huit ans.