La mort de George Floyd s’inscrit dans la droite ligne du sort réservé aux Afro-Américains lors de l’épidémie. Floyd est une victime collatérale de l’épidémie, et une victime très directe du racisme. Je lisais le New York Times durant le Covid ; je me rappelle la Une consacrée aux 100 000 morts aux USA, et la tentative du journal d’en évoquer le plus grand nombre possible et dans le détail ; souvent des vies noires. Pour que la Une du Times abandonne le Covid, il aura fallu la mort de trop, celle de George Floyd, Afro-Américain, rappeur et champion de basket, tué à Minneapolis par un policier blanc. L’image, et surtout le son, de son agonie – I can’t breathe – étaient insupportables, rappelaient la mort, non filmée mais tragique de Breonna Taylor, une ambulancière paramédicale de 26 ans tuée chez elle le 13 mars par des policiers de Louisville à cause d’une erreur d’adresse.

« Stop killing us » – arrêtez de nous tuer – affichent les multiples manifestations qui se sont organisées aux USA. Le mouvement Black Lives Matter est né en 2013 du constat qu’un Président noir était incapable d’empêcher l’impunité des assassins d’Afro-Américains ; de faire importer leurs vies à une société pour qui ils sont expendables, sacrifiables.

Comment faire pour que des gens qui s’en foutent – I don’t care – se mettent à se soucier des vies des Noirs, et des vies des autres en général. Ce I don’t care c’est ce qu’exprime l’absence ostensible de masque chez les Trump et autres Bolsonaro ; déclarations explicites et virilistes de l’absence de souci des plus vulnérables et même des autres en général.

La mort de George Floyd ouvre mondialement une nouvelle ère : un mort noir est devenu le symbole de toutes les victimes de violences policières. Cette mort, succédant au lourd tribut payé par les Afro-Américains au Covid, est la mort de trop, celle qui n’aurait jamais dû exister. Aux USA plus de 60 % des morts du Covid parmi les soignants sont Afro-Américains ou Hispaniques. En Grande Bretagne, 66 % des morts du Covid parmi les soignants sont des immigrés, ceux que Boris Johnson veut chasser du pays. En France… on n’a pas le droit de faire des statistiques indiquant combien parmi les morts « au front » (aides-soignantes, caissières, livreurs, agents de nettoyage…) sont arabes, noirs ou asiatiques. Mais vous pouvez voir les photos, dans tous les quotidiens régionaux, dans divers reportages qui se sont attachés à ces destins individuels.

Les Afro-Américains ou Hispaniques sont très nombreux, aux USA, dans les professions dites « de première ligne » (santé, commerce, nettoyage, transports, soins). Ils – elles – ont porté l’essentiel du fardeau de la crise sanitaire, beaucoup ont perdu leur emploi, et sont particulièrement vulnérables à la crise économique qui arrive. Expendables pour la santé du pays.

Dans de nombreux pays, la préservation des vies a été la priorité face au Covid et on a décidé de tenter, d’abord, de soigner. Mais des vies ont été sacrifiées au bien-être collectif de ceux mis à l’abri. Les habitants des « quartiers populaires », majoritairement racisés, et travailleuses ou travailleurs de tous les types de soin, se sont entassés dans le métro et le tram et se sont exposés aux postillons des clients des supermarchés et des binge-acheteurs sur Amazon.

Le droit à la vie, le droit d’être protégé par l’État et les institutions publiques, n’est pas également distribué en France : l’inégalité dans la protection passe par les inégalités de race, de classe, de genre. Et ce droit à la vie, enfin proclamé dans la crise, n’est pas garanti aux Afro-Américains. La mort de George Floyd sous le genou d’un policier symbolise le sort fait aux Afro-Américains aux USA, pendant le Covid comme toujours.

Si la pandémie pouvait, par la révolte contre cette mort de trop, conduire à un élargissement du groupe toujours trop restreint des acteurs de la politique, tout ne serait pas perdu. Le mot d’ordre de Justice, partout dans les manifestations, dans le monde entier, sonne comme la revendication d’une génération. Par son universalité il exige un point de non-retour, d’en finir avec le racisme inhérent aux politiques européennes et étatsuniennes.

[voir Distantisme, Identités, Incendies]