Archives par mot-clé : esthétique

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées, par

Subjectivités computationnelles et consciences appareillées

Cet article revient sur la notion de « subjectivité computationnelle » formulée par David M. Berry visant à développer une approche critique des technologies numériques. Afin de comprendre les implications philosophiques d’un tel rapprochement entre « subjectivation » et « computation », nous revenons tout d’abord, via Leibniz et Hannah Arendt, sur l’émergence des sciences modernes qui visent à faire du « sujet » classique une entité calculante. Nous voyons ensuite comment les sciences « comportementales » ont influencé la conception des ordinateurs en substituant à la raison humaine des modélisations rationnelles déléguées à des machines. Pour sortir de l’impasse d’une déshumanisation annoncée dès la fin des années 1970 par des auteurs comme Ivan Illich ou Gilles Deleuze, nous envisageons enfin la « subjectivation » comme un processus qui ne nécessite pas qu’il y ait sujet. Le concept d’« appareil », tel que le propose Pierre-Damien Huyghe à propos de la photographie et du cinéma, peut ainsi être étendu aux machines computationnelles pour penser de possibles « consciences appareillées ».

Computational Subjectivities and Apparatus-Consciousness

In continuation with David M. Berry’s considerations on “computational subjectivities”, this paper goes back to the emergence of modern science, via Leibniz to Arendt, questioning the attempt to see the classical “subject” as a calculating machine. After behaviorism had greatly influenced computer science, after Ivan Illich or Gilles Deleuze’s redefinition of the subject, we can now envisage processes of subjectivation without a subject. The concept of apparatus, as theorized by Pierre-Damien Huyghe’s analysis of the photographic camera, can be extended to computation and help us conceive of “apparatus-consciousness”.

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable, par

La raison instrumentale, le capitalisme algorithmique et l’incomputable

La cognition algorithmique joue un rôle central dans le capitalisme contemporain. Depuis la rationalisation du travail industriel et des relations sociales jusqu’à la finance, les algorithmes fondent un nouveau mode de pensée et de contrôle. Dans cette phase du tout-machinique dans l’évolution du capitalisme numérique, il ne suffit plus de se mettre du côté de la théorie critique pour accuser la computation de réduire la pensée humaine à des opérations mécaniques. Comme le théoricien de l’information Gregory Chaitin l’a démontré ; l’incomputabilité et l’aléatoire doivent être conçus comme les conditions de bases de la computation. Si le technocapitalisme est contaminé par l’aléatoire computationnel et le chaos, la critique traditionnelle de la rationalité instrumentale doit elle aussi être remise en question : l’incomputable ne pleut plus être réduit au statut de contraire de la raison.

Instrumental Reason, Algorithmic Capitalism, and the Incomputable

Algorithmic cognition is central to today’s capitalism. From the rationalization of labor and social relations to the financial sector, algorithms are grounding a new mode of thought and control. Within the context of this all-machine phase transition of digital capitalism, it is no longer sufficient to side with the critical theory that accuses computation to be reducing human thought to mere mechanical operations. As information theorist Gregory Chaitin has demonstrated, incomputability and randomness are to be conceived as very condition of computation. If technocapitalism is infected by computational randomness and chaos, the traditional critique of instrumental rationality therefore also has to be put into question: the incomputable cannot be simply understood as being opposed to reason.

La Cimathèque, centre alternatif du film, par

La Cimathèque, centre alternatif du film

La Cimathèque, un centre alternatif du film, situé dans le centre du Caire a ouvert ses portes le 3 juin 2015. Elle est née d’abord du désir de jeunes cinéastes de créer une société de production indépendante. Avec la révolution le projet s’est étoffé, et la Cimathèque est devenue un lieu de rencontre, de projection, de production, de digitalisation, d’archivage, de débats à l’adresse de tous les cinéphiles. L’Égypte possède une longue tradition cinématographique, interrompue par des années de négligence, de corruption et un manque d’ambition pour un art profondément aimé par la population. La question de l’archivage du patrimoine cinématographique mais aussi des productions contemporaines sur divers supports est centrale dans le projet de la Cimathèque, surtout dans une époque de déconstruction du sens de l’histoire collective.

Cimatheque, Alternative Film Center

Cimatheque – Alternative Film Centre is a multi-purpose venue located in the heart of downtown Cairo. It opened its doors to the public on June 3 2015. It came from the wish of young filmmakers to create an independent production agency. Following the revolution, the scope of the project expanded, bringing about the idea to build an analogue hand-processing lab, the only one of its kind in the country, in the hopes of reviving a lost art form that capitulated in recent years to the cost-effectiveness of digital filmmaking. And because everything that was being implemented in Cimatheque till this point arose from a desire to at once respect legacies and collective histories, while deconstructing their meanings in the current political and social climate, the idea of devoting a room or two to film archives came into being. This concern is central to the way in which Cimatheque’s team approaches programming based on film history and archiving, with the hope that it can give voice and expression to peripheral memories, and material made on the margins of society.

Humanités numériques. Une médiapolitique des savoirs encore à inventer, par

Humanités numériques
Une médiapolitique des savoirs encore à inventer

Cet article essaie de distinguer trois strates au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « humanités numériques » (hum num) ou « humanités digitales ». Les hum num 1.0 font le travail concret de numérisation, balisage, reformatage, design d’interfaces en reprenant le plus souvent des corpus déjà identifiés et circonscrits. Les hum num 2.0 tirent de ce travail de numérisation l’opportunité de constituer de nouveaux corpus et d’expérimenter de nouvelles procédures et de nouvelles formes de collaboration, qui débordent et érodent les frontières entre les disciplines, comme entre l’université et ses dehors. Les hum num 3.0 essaient de comprendre comment les pratiques et savoirs constitués depuis des siècles autour des humanités peuvent nous aider à comprendre et à nous repérer dans les façons dont le numérique informe de plus en plus profondément nos modes de subjectivation.

Digital Humanities
Three Strata of a Mediapolitical Approach

This article attempts to articulate a mediapolitical approach of Digital Humanities (DH), based on three different (but complementary) layers. DH1 digitalizes pre-defined corpuses inherited from the traditional disciplines. DH2 takes advantage of the digitalization to generate new corpuses, new forms of analysis and of collaborations which erode the borders between pre-existing disciplines, as well as between academia and the outside world. DH3 mobilizes the Humanities to better understand and reappropriate the computational subjectivations induced by the digital media.

Subjectivités computationnelles, par

Subjectivités computationnelles

Nous commençons à mesurer l’importance culturelle du numérique comme nouvelle idée unificatrice d’une université totalement redimensionnée. Au-delà d’une simple question de littéracie informatique ou informationnelle, les humanités numériques nous offrent l’occasion de développer une approche critique de l’écriture numérique conçue comme une forme d’alphabétisation et de littérature, de façon à développer une culture numérique partagée comme une nouvelle forme de Bildung. Tandis que les technologies numériques produisent de nouvelles formes de subjectivités computationnelles, les humanités numériques peuvent nous aider à aller au-delà d’un rapport consumériste aux nouveaux gadgets et à casser ces boîtes noires qui, à la fois comme objets techniques et comme métaphores, absorbent aujourd’hui une si grande partie de notre attention.

Computational Subjectivities

We are beginning to see the cultural importance of the digital as the unifying idea of a redesigned and reconfigured university. Beyond a mere issue of “information literacy” or “digital literacy”, the digital humanities provide us with an opportunity to develop a critical understanding of the literature of the digital, and through that develop a shared digital culture through a form of digital Bildung. As the digital technologies are producing new forms of computational subjectivities, the digital humanities can help us move beyond the commodity layer and open these so-called black boxes, as both technologies and metaphors, that so demand our attention today.

Penser le sécularisme, par

Penser le sécularisme

Ce texte, écrit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, tente de redéfinir les notions de laïcité et de sécularisme en marge des grands récits de sécularisation. La modernité laïque n’est ni la simple séparation du politique et du religieux, ni ce qui reste lorsque la religion décline ou s’efface. Dès lors que le concept de « religion » renvoie lui-même à une construction historique qui diffère selon les espaces politiques, l’on doit affirmer que la modernité laïque est la production d’un nouveau partage entre le religieux et le politique, d’une redéfinition de ce qu’est censé être la « religion » et, avec elle, l’éthique et la politique. Le texte discute ensuite le libéralisme politique de Charles Taylor de façon critique. L’unité de la modernité politique n’est pas factuelle, c’est l’unité d’un projet moderne : elle a un but politique dont l’hégémonie se lit dans le fait que les peuples extra-européens sont perpétuellement invités à s’y mesurer. Cette analyse dessine enfin la voie d’une anthropologie du sécularisme défini comme une doctrine qui cherche à émanciper la sphère publique d’un religieux oppressif, mais aussi et surtout comme une forme de vie laïque : un ensemble d’attitudes spécifiques, un certain rapport au corps et à la souffrance ainsi qu’un modèle de subjectivité.

Thinking about secularism

The text was written at the aftermath of 9/11. It tries to redefine secularism without presupposing any narrative of the decline of religion. Secular modernity is neither the mere separation of politics and religion nor what remains after religion has withered away. Insofar that the concept of “religion” is itself a historical construction, secularism can be seen as the production of a new binary division between the secular and the religious, as a redefinition of what religion, ethics and politics are supposed to be. The text critically engages with Charles Taylor’s political liberalism. It then asserts that modernity is a hegemonic political project forcing non-European people to measure themselves to it. It eventually paves the way for an anthropology of secularism defined as both a political doctrine and a form of life – a set of attitudes, a specific relationship to the body and pain, and a mode of subjectivity.

Inconscient technologique et connaissances positionnelles, par

Inconscient technologique et connaissances positionnelles

Cet article donne une première description de notre « inconscient technologique », terme qui désigne les formes basiques de positionnement et de juxtapositionnement qui rendent possible la « structure atomique » de base de la vie contemporaine en Amérique du Nord et en Europe. Il montre comment, au cours des dernières années, la mise en pratique de ces grilles de repérage ont évolué au fil d’une standardisation considérable de nos espaces, standardisation qui a conduit graduellement à la cristallisation d’un nouveau type d’inconscient technologique. L’article analyse l’émergence de quelques-uns des appareils à travers lesquels cet « inconscient technologique » structure aujourd’hui notre expérience du quotidien : l’adressage postal, le code-barres, la carte SIM, la puce RFID.

The Technological Unconscious

This paper provides a description and preliminary analysis of the current “technological unconscious”. I use this term to signify the basic forms of positioning and juxtapositioning which make up the basic “atomic structure” of contemporary Euro-American life. I argue that in recent years the practice of these templates has been changing as a full-blown standardisation of space has taken hold. This standardisation is gradually leading to the crystallisation of a new kind of technological unconscious. I further argue that the traces of this new kind of unconscious are taking hold in social theory as well, leading to the assumption of a quite different event horizon which can be thought of as a different kind of materiality.

Multitudes