En entendant le ministre de l’Économie puis la Ministre du Travail parler de trous dans la raquette à la radio, je me suis étonnée. Il et elle parlaient de catégories de personnes non encore couvertes par la protection sociale. Il et elle allaient y mettre bon ordre. Il et elle avaient tous les outils réglementaires pour ce faire. La finance suivrait. Nous pourrions tous continuer de jouer, de vivre, il suffisait d’observer les règles du confinement. Après on verrait.
Je me suis dit : Quelle légèreté ! Quel élitisme ! La protection sociale, un jeu à au plus deux fois deux joueurs ! Alors qu’au foot on est deux fois onze, et au rugby deux fois quinze. Là on assure le collectif ! Et puis j’ai retrouvé cette désinvolture sous la plume d’un des deux auteurs du rapport de la Fondation Jean Jaurès (socialiste) en faveur du « revenu républicain ».
Alors j’ai cherché où on pouvait retrouver cette formule à large spectre politique. C’est une liste à la Prévert : ont trouvé des trous dans la raquette, dans le désordre, et de façon non exhaustive : les transporteurs routiers, les services régionaux du ministère du travail, les cultivateurs, le Secours catholique, les services des régions s’occupant de l’investissement des entreprises, les banques pour les clients changeant de banque, les associations de solidarité avec les exilés, le Moniteur des pharmaciens, l’ONG Food Watch, la Fondation Abbé Pierre, les auteurs compositeurs, la Direction de La Prévention, de la Sécurité et de la Protection à la Préfecture de Police de Paris, le ministre de l’éducation dans sa « continuité pédagogique » mais aussi dans l’enseignement de l’environnement à l’école, le député socialiste Jean Marc Germain, la grande distribution, les urbanistes, la mairie de Grigny, les associations sportives du département de l’Essonne…Même l’ex-commissaire européen en train de devenir « premier président de la cour des comptes » a déclaré dès 2015 qu’il fallait en finir avec les trous dans la raquette fiscale !
Notre raquette a donc quitté le chevet de la protection sociale pour représenter tout ce qui possède une assez large surface à points inconnus et qui est chargé de nous aider à répondre aux coups du sort, voire à les prévenir. La liste ci-dessus montre qu’il faudrait plusieurs raquettes pour couvrir tous les besoins, comme il faudrait trois planètes pour nous offrir toutes les ressources que nous consommons. Pour la nouvelle bible dans laquelle j’ai trouvé cette liste qui, malgré sa commodité, est souvent imprécise, « la raquette est un instrument comportant une surface large », alors que pour mon vieux petit Robert c’est un « instrument de forme ovale adapté à un manche permettant de lancer une balle ou un volant ». Eh oui ! Le manche ! La main qui tient la raquette, le bras qui porte la main, le corps qui tend le bras ou le plie en revers. Il est rarisssime que ce soient le trou ou les trous de la raquette, bien vérifiée avant le match, qui fassent faute ! Au tennis l’expression « il y a un trou dans la raquette » d’où vient la métaphore qui sert aujourd’hui de clef universelle à notre pensée sociale et journalistique, est une expression de mauvais joueur, qui se défausse sur le matériel de son erreur, qui nie sa responsabilité. N’est-ce pas le spectacle que nous offrent tous ces « responsables » parmi lesquels l’expression « Il y a un trou dans la raquette » rebondit ?
Il faut tout de même voir le bon côté de choses : cette universalité du trou dans la raquette indique en pointillé un déplacement des représentations sociales vers l’universalité, quand hier on tenait encore à faire assurer sa protection par corporation, histoire de contrôler qu’elle est meilleure. Un déplacement léger et risqué pour lequel il va falloir sortir du trou, trouver la main. Les premiers balbutiements de ceux qui veulent « combler les trous » ne sont pas encourageants. Dès l’examen du budget 2020 en 2019 certains députés signalaient ne pas voir où trouver les sources d’économies pour combler les trous de la raquette. Ces députés ne savaient pas qu’il y a une différence irréductible entre les économies accumulées dans le passé et l’Économie capable d’anticiper les dépenses à venir et de convaincre le monde entier de les financer. Les raquettes de l’État ratissent large.
Parmi ces organisations collectives quelques-unes, pas vraiment nouvelles, pointent davantage le nez : les régions. Nous étions inégales face à Covid 19, plus épargnées que la capitale ; il y a de quoi se réjouir, attirer les entreprises, « combler les trous de la raquette » dans laquelle l’État nous tenait enfermées avec ses règles qui ne profitent jamais qu’aux plus gros. Nous, régions, plus petites que l’État, allons soutenir les petites entreprises et les associations, fabriquer la raquette de la proximité. Je m’y connais mal en raquettes, je ne sais pas quelle sera la consistance de leurs produits de comblement ; la raquette ne va-t-elle pas peser trop lourd pour pouvoir encore être maniée ?