Vers une revue Multitudes postnationale et transeuropéenne !
Multitudes a passé le cap de son dixième printemps en mars 2010. Dès le départ, nous affichions l’ambition d’une ouverture résolument internationale, tant dans nos thématiques que dans les contributions et grâce à la bigarrure du collectif de rédaction. Depuis 2007, nous caressions le projet de monter une revue Multitudes Transnational qui pourrait traduire un véritable décentrement par rapport à l’hexagone.
Le problème n’est pas tant de produire des thématiques européennes, donc post-nationales, et post-européennes ou post-coloniales (donc a-blanches, a-mâles), que de les traduire pour commencer dans le véhicule même de la langue. La façon dont on résout d’ordinaire cette difficulté mondiale consiste à passer par une seule langue de travail, le globish ou anglais global, dans lequel on est prié de s’exprimer et de réaliser quelques abstracts courts. Nous n’avons rien contre le latin moderne qu’est devenu l’anglais international. Langue de communication immédiate, il facilite grandement les voyages intellectuels. Mais pour exprimer sa pensée de façon un peu subtile et singulière (chaque langue est une grille de paroles et de pensées), chacun a droit d’écrire dans sa propre langue s’il le désire. Cette exigence se heurte toutefois aux réalités de la diffusion encore « nationale » en librairie ou dans les autres circuits de distribution. Un livre comportant plusieurs langues non traduites se voit sanctionner d’un définitif : « personne n’achètera ou ne lira ça ! ». Quant à tout traduire en plusieurs langues, cela se heurte à une autre réalité économique : la traduction coûte cher et prend beaucoup de temps.
Comment avons-nous résolu cette difficulté dans ce numéro ? En commandant les articles aux auteurs dans leur propre langue (allemand, anglais, français, portugais) et en réalisant un véritable résumé, fouillé et substantiel, de leur article en deux autres langues de passage (anglais, allemand, français). Cela a coûté du temps et beaucoup de soin : sans le travail infatigable de Roman Schmidt, Frédéric Neyrat, Yves Citton et Lucia Sagradini pour les ponts entre l’anglais et le français, et celui d’Hannes Loichinger, Britta Peters, Alexander Neumann, Roman Schimdt et Gaëtane Douin pour les passages par l’allemand, ce numéro n’aurait pas été possible. Sans Madeleine Mathé et Lucia Sagradini qui ont assumé cette charge de travail et de coordination supplémentaire délicate, ainsi que l’aide de Marie Luise Birkholz pour la réalisation du programme TV, nous n’aurions pas mené ce numéro si rapidement à bien.
Pareille expérience n’aurait pas été possible sans une subvention généreuse et la participation à l’édition du cneai = et des centres allemands, la Halle für Kunst de Lüneburg et la Kunstvereine Hamburger Bahnhof de Hambourg, qui ont couvert les frais de réalisation de ce numéro spécial.
Ce numéro est expérimental, il constitue l’un des numéros zéro d’un format de Multitudes devenu véritablement transnational. Sans le décès brutal du regretté Joaquim Herrera Flores, Professeur de droit à l’Université Pablo Olavide de Séville, il aurait été précédé d’un numéro à dominante ibérique sur la propriété intellectuelle et les transformations du travail. Nous sommes persuadés que l’avenir culturel d’une Europe post-nationale dépend d’une circulation transnationale multilingue, même si nous constatons tous les jours l’extrême réticence ou le retard cynique d’une politique fédérale européenne. Quand nous avions fondé Multitudes, nous avions parié sur la culture pour prendre la politique « de revers », selon la belle expression de Michel Foucault. Aujourd’hui, la même question se pose mais à l’échelle européenne. Sur ce chemin, nous avançons même si c’est encore à pas modestes. Le reste dépendra des concours permanents que nous trouverons pour conférer à Multitudes Transnational une régularité de parution et une ouverture dans toutes les directions de l’Europe, en particulier en direction des pays de l’ancienne Europe de l’Est, et du monde.
An Experimental Issue of Multitudes: Towards a Post-national and Trans-European Journal
The journal Multitudes has just reached its tenth year of existence in March 2010. From its inception, we have attempted to give it a resolutely international scope, in the themes we discuss, in the origin of our contributors and members of our editorial board. For a couple of years, we have toyed with the idea of launching a multilingual version of the journal, Multitudes Transnational.
The main difficulty we face in this endeavor is not so much to produce themes carrying European, hence post-national, or even post-European and post-colonial stakes (beyond the white male perspective), but rather to find proper ways to translate such themes across our various languages. The usual way to solve this problem tends to adopt one common working language (globish or global English), which contributors are asked to adopt or in which short abstracts are proposed. We have no qualms with the current use of English as a global language; as a medium for immediate communication, it greatly facilitates intellectual travels and exchanges. However, in order to express one’s thought with a minimum of subtlety and singularity, each one of us should be entitled to write in her own language. This basic demand, legitimate as it is, runs against the reality of the current circuits of distribution, which have remained largely national and linguistically isolationist. In today’s market, a book comprising articles written in several languages is supposed to be unsellable. The solution consisting in translating all articles in several languages, while intellectually more satisfactory, runs against another economic limitation: translation is expensive, in costs or in time.
In this issue, we have attempted to solve this problem by asking authors to write their contribution in their favorite language (German, English, French, Portuguese) and by composing substantial presentations of the main points of the articles in two other languages (English, German, French). This extended (even if still limited) work of translation has been made possible thanks to the generous efforts of Roman Schmidt, Frédéric Neyrat, Yves Citton and Lucia Sagradini (for the back and forth travels between English and French), and of Hannes Loichinger, Britta Peters, Alexander Neumann, Roman Schmidt and Gaëtane Douin (for the passage to and from German). This special issue would not have been possible without the hard work of Madeleine Mathé and Lucia Sagradini, who coordinated the whole project and fine tuned its realization, with the help of Marie Luise Birkholz for the TV Program insert.
It would not have been realized either without a generous contribution by the cneai =, on the French side, and by the Halle für Kunst in Lüneburg and the Kunstvereine Hamburger Bahnhof in Hamburg, on the German side, which supported its cost of publication.
This special issue is experimental, and could be considered as a first attempt to produce a format for Multitudes Transnational. Without the sudden and much regretted disappearance of Joaquim Herrera Flores, Law Professor at the Pablo Olavide University of Sevilla, it would have followed a Spanish-oriented issue devoted to questions of intellectual property and transformations of labor. We are more than ever persuaded that the cultural future of a post-national Europe depends upon a transnational, multilingual circulation of ideas, even if we witness the cynical negligence of European policies regarding this matter. When we founded Multitudes, we betted on culture to rub politics against its usual grain. The same task remains at the order of the day, but at the European level. We keep advancing in our project, even if only with modest means. The rest will depend upon the stable collaborations we will be able to find in order to give Multitudes Transnational a regular rhythm of publication, as well as a truly multidimensional scope, towards all European cultures (especially in Eastern Europe) and towards many other parts of the world.
Multitudes’ Editorial Collective
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