Une expérimentation collective
Vouloir dire la voix par l’écriture, la phrase par la parole, cela reste une entreprise impossible, située au bord de la folie. | Comment empêcher le mal de progresser si l’un de ses symptômes est précisément l’aphonie de ceux qui auraient intérêt à le décrire ? | Il est illusoire de se fier à sa propre voix, qui ne nous appartient pas plus que notre façon de nous mouvoir ou que notre regard. | Ma voix semble bien déterminée, mais elle est une détermination grammaticale qui dépend d’une place que j’occupe. | Une voix ne dispose donc jamais totalement de sa propre voix. Elle est d’emblée embarquée dans des systèmes d’enregistrement qui la disposent comme telle. Toute voix est portée par une autre voix qui la reprend et parle à sa place. | Mille voix s’entendent, se mélangent, se séparent au cœur d’une seule voix ; il n’y a jamais de voix « propre » autrement que par le fait d’être un composé d’étrangetés les unes envers les autres, un instant tenues dans un seul filet de matières. |
Cette politisation de la voix par résonance se distingue encore de sa version électorale (par décompte) en ce que les voix n’y font plus partie d’un ensemble dénombrable, mais d’une collectivité ouverte, susceptible de s’agrandir à chaque fois qu’on écoute une de ses voix. | Nous avons cessé de nous entendre, et l’unité rassemblée à portée de voix se défait irrésistiblement. | Même dans le plus routinier des systèmes administratifs, l’agent le plus zélé devra tôt ou tard réagir trop vite, et proposer des noms qu’il n’aura pas eu le temps de faire correspondre à son cahier des charges. | L’humour est dès lors peut-être une voix possible pour se faire entendre, pourvu que ce genre de subversion ait encore sa place dans les rapports entre grands et petits. | Le sujet qui est voix – et non derrière la voix – est un sujet en métamorphose, il est une multitude de possibilités. |
Cultiver la démocratie, ce n’est ni simplement donner voix à tous, ni cultiver les dispositions à l’écoute, mais surtout entretenir celles à devenir voix. | Les voix : elles qui se multiplient dans le brouillard désolé. On les entend, on les devine partout. | C’est précisément à travers une telle incertitude que se proposent de nouveaux noms, qui demeurent le plus souvent et pour longtemps inaperçus comme tels. | Autant ma parole peut se dérober à mon corps, autant ma voix peut m’échapper, raison pour laquelle elle est si difficile à trouver. | Les voix sont les inappartenances mêlées de la matière qui désapproprie tous les corps dans l’infinie vibration irrécapitulable de ses ondes sonores. |
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