Au Brésil, le métissage réel de la population se heurte à la proclamation d’un « peuple gris » inventé de toutes pièces, et imposé par la force, destiné à asseoir l’État-nation. Les mouvements noir et indigène doivent aujourd’hui se réapproprier la race pour accéder à une égalité réelle, pour imposer une politique d’affirmative action à l’université comme ailleurs.
In Brasil, a real mixing of populations is prevented by the proclamation of a « grey People », artificially invented and imposed by force in order to stabilize the Nation-State. Black and indigenous movements today have to reclaim « race » in their struggle for real equality, in order to impose policies of affirmative action, in the university as well as elsewhere.
La construction([[Cet article est extrait du livre d’Antonio Negri et Giuseppe Cocco, GlobAL, Biopoder e lutas em uma America Latina globalizada, ed. Record, Rio de Janeiro 2005.) de l’État-nation « faible » en Amérique latine relève d’un processus biopolitique. Il faut l’analyser en ces termes pour comprendre que les hybridations d’une telle construction ne sont ni paradoxales ni accidentelles, mais bien fabrique d’un biopouvoir qui, dès le départ, s’est fondé sur la gestion de la vie, celle des couches sociales exclues et des classes subalternes à travers la modulation de flux de sang, de cultures et de migrations intérieures aussi bien qu’extérieures.
Ces conditions surdéterminent la construction de l’État-nation en Amérique latine : si l’analyse ne part pas de là, il est tout simplement impossible de discuter des rapports entre État et citoyenneté, entre citoyenneté et éléments Welfare qui, le cas échéant, composent ou traversent l’État.
En Amérique latine, au sortir de l’ère coloniale, les processus de constitution formelle ont partie liée à la construction de relations matérielles de citoyenneté très spécifiques : configuration des élites comme opérateurs de domination et d’esclavage, modelage de l’exclusion raciale. Du point de vue de la constitution matérielle, la base coloniale d’où provient le processus de construction nationale ne connaît en effet d’autres liens que ceux de l’exclusion. La différence est considérable entre l’affirmation de Hegel : « L’Allemagne n’est pas une nation » et celle de Louis Couty, un Français résidant à Rio de Janeiro dans les années 1880, qui disait : « Le Brésil n’a pas de peuple ». Les constitutions formelle et matérielle sont autant d’idéogrammes d’un biopouvoir originairement constitutif de tout État-nation latino-américain : d’un pouvoir qui n’aurait en vérité pas besoin de constitution parce qu’il est habitué à agir en dehors de toute autre légitimation que celle de la pure domination.
Par conséquent, bien qu’il se soit constitué selon des modalités très différentes, l’instauration de formes de Welfare par le haut (intégration sociale) est basée sur la construction d’une souveraineté (apparente !) de l’État-nation axée sur un développementisme purement répressif excluant toute manifestation de volonté politique venues du bas, tout mouvement social d’émancipation, et correspond toujours à un régime de guerre (Warfare) fondé sur la reddition de la vie des indigènes, des esclaves africains et du nouveau métissage, sur sa soumission au souverain politique. C’est pourquoi le national-développementisme, la construction du développement à travers l’État (n’en déplaise à ceux qui espéraient et espèrent encore le réformer) n’est que l’autre visage du racisme, tandis qu’il présente les visages mêmes du fascisme et du nazisme. Le racisme est d’ailleurs l’aspect le plus fort du Warfare dans les États nations « faibles », la guerre en Amérique latine, à quelques rares exceptions près, ayant toujours été une guerre d’extermination des minorités (ou des majorités) ethniques, celles des esclaves d’origine africaine, des indiens, puis des populations métisses. En Amérique Latine – comme, plus tard, dans la postmodernité – l’armée est une police biopolitique.
À cela vient s’ajouter un autre paradoxe. En Amérique latine, la conquête de la modernité (ou, plutôt, la construction de l’État-nation) est profondément liée à une stratification sociale, qui, à partir de l’extermination, se module à l’infini. La variété extrême des modulations et les stratégies de résistance que les Indiens et les descendants d’Africains ont su développer peuvent très bien faire penser à un modèle accompli d’intégration raciale. En réalité, quand celle-ci apparaît, elle se heurte justement d’abord à l’État-nation et à une élite au pouvoir pour qui le métissage est une modulation du biopouvoir, négation de la puissance biopolitique de la diversité par le dominateur blanc. Modulations chromatiques de la domination : on ne domine parce qu’on est blanc, mais ceux qui dominent sont blancs ! Cette dimension est tellement forte qu’elle traverse toutes les périodes historiques avec une remarquable continuité, celle de l’exclusion systématique des « barbares ». Ce n’est qu’en 1985 que les analphabètes, composante pourtant très importante de la population, obtiennent le droit de vote au Brésil. C’est pourquoi la lutte sociale dans ces pays est une lutte biopolitique teintée des mille couleurs et nuances du métissage et du racisme. À la différence de ce qui se passe en Europe, le biopouvoir est coloré en Amérique Latine. Et, à la différence des États-Unis, cette coloration ne se réduit pas à la bipolarité noir / blanc.
Le processus de construction biopolitique de l’État-nation « faible » peut être divisé en deux grandes périodes. La première est celle de « l’accès à la modernité » (de la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale ): elle se caractérise par la construction de l’État, avec une administration centralisée, mais, d’abord et avant tout, par la réaction contre les rébellions qui éclatent çà et là, dans la continuité de l’oligarchie paternaliste-coloniale qui s’hybride désormais, à travers les idéologies du positivisme, avec des éléments technocratiques puis, à travers l’autoritarisme, avec les figures des corporations militaires et de fonctionnaires. Ce qui explique le rôle déterminant joué par les armées tout au long de la constitution des États nations en Amérique latine : la discipline démographique est confiée aux armées et le nation building de la postmodernité est probablement né ici.
La stratification sociale qui en résulte est profondément marquée par ces opérations qui produisent une hybridation continue des populations. Il y a continuité de la domination esclavagiste et raciste sur les modulations ethniques de la population : « La civilisation avancera dans les sertões, poussée par cette implacable < force motrice de l'Histoire > », disait Euclydes da Cunha, « dans l’écrasement inévitable des races inférieures par les races fortes »[[Os sertões, 39 édition, ed. Francisco Alves, Rio de Janeiro 1997.. Au Brésil, bien après le racisme de l’époque de la découverte, jusqu’à la fin du XIXe siècle, de nombreux intellectuels embrassaient les idées racistes importées d’Europe (de France, principalement). Pour certains, la politique d’immigration des couches prolétaires européennes correspondait même au projet de « blanchir » la population. L’horizon moderniste, dans cette première phase ne parvient donc pas à s’articuler sur un plan de classe (on ne peut certes pas encore parler ici d’État du Travail) et les stratifications raciales et esclavagistes demeurent fondamentales, surtout sur le plan de la guerre. Après avoir traité de l’armée « carranciste » qui délogera Zapata et Pancho Villa de la capitale, Gilly nous explique ainsi qu’au Mexique, les concessions apparentes de la Ley de Reforma Agraria fonctionnèrent, par le fait même de confier son exécution à l’appareil d’État central, comme le mécanisme central de l’hybridation entre les vieilles et nouvelles oligarchies : « C’est là que naît toute la couche des nouveaux latifundistes et des nouveaux riches < révolutionnaires > qui constitueront, ensuite, les gouvernements de la bourgeoisie mexicaine et qui s’uniront et se mélangeront aux restes de la vieille oligarchie porfirienne détruite pendant la révolution »
La seconde phase de construction biopolitique de l’État apparaît dans les années 30 et marque l’articulation (complémentaire, plutôt que substitutive) de l’oligarchie esclavagiste-paternaliste avec les couches sociales urbaines qui seront intégrées désormais sur la base d’un pacte corporatif. Boris Fausto le souligne : « (…) le nouveau gouvernement (Vargas) représente une transition (très bien affirmée) au sein des classes dominantes, qui préserve l’intangibilité sacrée des relations sociales dans la campagne ». Ce passage implique aussi un changement dans le processus de construction du projet national, au sens où il offre à l’autoritarisme nationaliste des instruments politiques pour une intégration sociale populiste et corporative. Pourtant, pour mettre en œuvre des politiques populistes, il faut se forger une idée de « peuple ». C’est ce qui se passe dans l’histoire récente des pays d’Amérique latine. Déjà, pour Euclydes da Cunha, la guerre contre Canudos (1897) représentait le premier assaut contre la « race faible » pour la construction d’un peuple. Mais ce peuple lui glissait encore entre les doigts. « Nous, fils de cette terre (des sertanejos), qui échappons aux catégories de l’ethnologie, qui n’avons pas de tradition nationale uniforme, qui vivons en parasites au bord de l’Atlantique selon des principes de civilisation élaborés en Europe, et qui sommes armés par l’industrie allemande – nous avons joué le rôle singulier de mercenaires inconscients ». L’armée brésilienne, républicaine et positiviste, qu’Euclydes da Cunha accompagne, est « moderne » ; ajustée au temps de la modernité, dans la tâche délicate que constitue l’édification d’une nation – de la « race supérieure » ou adaptée à elle. Si son projet demeure boiteux, c’est parce que l’idée de race le bloque, même lorsqu’il apparaît clairement que quelque chose peut être construit autour de l’idée du métissage (« dans ce mélange indéfinissable – le brésilien – j’ai trouvé quelque chose de stable, un point de résistance qui fait penser à la molécule des cristallisations initiales. Et il allait de soi que, une fois admise l’hypothèse téméraire que nous serions destinés à l’intégration nationale, je voyais dans ces caboclos rigides le noyau de force de notre constitution future, la roche vive de notre race. » Il faut attendre Gilberto Freyre pour que le nœud de la race commence à se desserrer et que soient jetées les conditions de l’idée de peuple brésilien comme convergence des trois races (blanc, indien, noir). Freyre substitue la culture à la race et, renversant complètement la perception négative du métissage comme « sous-race », jette les bases de la construction du mythe de la démocratie raciale. Mythe qui deviendra par la suite l’idéologie officielle.
Au Brésil, c’est précisément sur la gestion du métissage que, transversal aux clivages politiques traditionnels, se reproduit avec une continuité impressionnante le bloc biopolitique hostile aux mouvements d’affirmative action (réclamant des politiques de discrimination positive en faveur des Noirs et des pauvres, dans l’université et en dehors).
La négation du métissage
Les discours mobilisés pour refuser la politique des quotas sont extrêmement intéressants, car ils permettent de comprendre à quel point sont complices le corporatisme technocratique et les intérêts néo-esclavagistes qui composent le bloc biopolitique du pouvoir. Dans une publication officielle du rectorat – tenu par la gauche nationaliste – de la plus grande université fédérale du Brésil (UFRJ), on peut lire: « (…)dans une démocratie, la loi ouvre les mêmes opportunités à tous les citoyens, égaux par définition ». La mystification universelle et bourgeoise de l’égalité (« la loi est égale pour tous ») ouvre la voie à une autre mystification, propre à la construction nationale de l’idée brésilienne du peuple. Il s’agit du mythe du métissage, au nom duquel le racisme honteux, constitutif de la domination, prétend dénier paradoxalement le rapport existant entre discrimination raciale (sur la base de la couleur) et inégalité (sur la base du revenu). En effet, la nation a besoin d’un peuple et le métissage fonctionne exclusivement comme discours mythique sur l’origine (passée) d’une réalité présente constituée et unitaire, celle du « Povo Brasileiro ».
On voit très bien comment l’oligarchie corporative et nationaliste reconnaît la richesse du processus de métissage tout en la déniant deux fois : négation de la dimension infiniment multiple (couleurs, cultures, langages, etc., etc.) produite par le métissage (qui n’est pas cantonnée au passé, mais actualisée quotidiennement), et négation de son contenu de résistance (constituante) face aux formes les plus perverses de domination (du biopouvoir, du pouvoir sur la vie !) qui caractérisent la formation de l’état esclavagiste au Brésil. À la dynamique – nécessairement multiple – du métissage, on oppose la figure dûment homologuée du métis (comme on l’avait déjà fait en jouant le mulâtre contre le noir). On oppose à la multiplicité du métissage un ensemble gris : il n’y a ni Noirs, ni Blancs, « nous sommes tous pardos », « nous sommes tous gris ». C’est l’argument qu’utilisent systématiquement la droite comme la gauche contre les politiques de quotas. Cette double négation converge vers un consensus grossier parmi les élites de l’État qui affirment : « Au Brésil aujourd’hui, la lutte est sociale, certainement pas raciale. » Comme si le racisme était un phénomène culturel et non la couverture culturelle d’un processus d’infériorisation (discrimination) destiné à alimenter le marché du travail. Refusant la notion générale de « racisme », la gauche nationaliste ferme les yeux devant la modulation qui relie, de toute évidence, condition de classe et conditions de « couleur », et attaque de manière frontale ce qu’Appiah définit comme « racisme intrinsèque », c’est-à-dire le mécanisme identitaire qui permet aux « infériorisés » de résister. L’éditorialiste du rectorat conclut : « Avec le plein emploi, les opportunités s’ouvriront aux Noirs, tout comme aux Blancs pauvres ». La croissance résoudra tous les problèmes et l’université publique ne doit pas accepter les quotas (affirmative action, discrimination positive) susceptibles de rompre ces hiérarchies.
Si l’on rapporte le principe constitutif à sa source et qu’on l’attribue à la figure du souverain (la souveraineté « au nom » du peuple), la liberté du peuple a pour présupposé l’inégalité. La liberté n’est pas l’exercice de la multiplicité, mais sa négation. Pauvres et riches, Noirs et blancs doivent nier leurs conditions spécifiques pour s’insérer dans la condition abstraite et générale de la citoyenneté formelle : en tant que « brésiliens », américains, etc. Comme nous l’avons dit, le métissage forme ainsi un ensemble gris, le peuple métis : « nous sommes tous pardos ». L’opération conservatrice qui a soutenu la construction du mythe des trois races apparaît ainsi dans toute son actualité. Le recteur, élu par la gauche, n’aurait pu être plus clair. Pendant que son éditorialiste exprimait ouvertement une critique aux accents xénophobes (« nous ne sommes pas, contrairement aux États-Unis, un pays multiracial »), le discours d’investiture du recteur faisait un pas de plus : « Un pays multiracial accepte l’existence du préjugé et s’efforce de le compenser par des quotas ethniques, le Brésil est un pays métis (…). L’instauration de quotas raciaux ne résout pas la question de l’étudiant pauvre et elle a de surcroît le défaut de < naturaliser > et encourager le préjugé racial ». On nage en plein Gilberto Freyre. Ce dernier a utilisé explicitement le terme de « démocratie raciale » en 1962 pour soutenir le « colonialisme portugais en Afrique » (et la civilisation hybride « luso-tropicale ») et pour attaquer « l’influence étrangère sur les Noirs brésiliens, et en particulier le concept de < négritude > », qualifié de mythe racial et raciste. Les mêmes arguments ont été utilisés par les théoriciens du nationalisme autoritaire pour la Propagande Nataliste dans les années 1920 et 1930, dans leur lutte supposée contre l’impérialisme des grandes puissances et pour la valorisation du travail « brésilien » contre les migrants internationaux. Le Brésil a un peuple (métis), il lui faut une nation : c’est ce que disaient les réactionnaires des années 1920 et 1930, et que répète le nationaliste de gauche Carlos Lessa en ce début de siècle : « Le Brésil est un pays métis qui considère le préjugé racial comme un crime horrible », pour souligner aussitôt : « comme sentiment d’appartenance à un peuple, le nationalisme (…) ne peut être remplacé par aucun autre discours ». Tel est le tissu du bloc biopolitique dans lequel la gauche nationaliste et développementiste est on ne peut plus proche des nationalistes conservateurs qui « pensaient la modernisation du pays du haut vers le bas, sans tenir compte des mobilisations populaires » et pour qui « l’institution de base destinée à réaliser la transformation (…) ne peut être que l’État autoritaire, centralisateur, doté de pouvoirs élargis ». Ce n’est pas un hasard si, dès 1968, le leader du mouvement noir brésilien (Abdias do Nascimento) entre explicitement en conflit avec la gauche nationaliste et s’en prend violemment à une « démocratie raciale » qu’il perçoit comme un compromis politique, pour affirmer la < négritude > dans un sens multiculturaliste et œcuménique. Démasquer la « démocratie raciale » brésilienne, tel devient l’objectif principal de la résistance noire.
De l’abolition de l’esclavage aux migrations internationales
Il est intéressant de noter (comme l’ont fait les théoriciens du post-colonialisme) que dans les pays ex-coloniaux s’est produite, dans la culture et dans la formation imposées par les puissances centrales, une inversion du rapport peuple-Nation-État, pour permettre à la construction de l’État colonial de devenir (à travers une « nation imaginée ») production du peuple. Ces processus sont probablement aussi à la base des nations européennes stables et bien constituées : peuple et Nation ont été imaginés dans un temps très ancien, mais ce qui est fondamental, c’est que l’État les fixe et les fait exister juridiquement à travers la constitution matérielle, toujours biopolitique, d’un peuple. Et ce qui apparaît clairement ici, c’est la nécessité de dissoudre la notion de peuple autant que celle de nation : en Amérique Latine tout particulièrement, les mouvements indigènes et noirs ont repris ce projet.
Mais revenons à la construction de l’État contemporain, à la condition contemporaine de l’État nation « faible » en Amérique Latine. Encore une fois, le saut vers la croissance a d’autres déterminations, hétéronomes par rapport au projet étatique : les migrations internationales, dans le cas du Brésil et de l’Argentine, l’abolition du régime esclavagiste (qui correspond – nous l’avons déjà dit – à l’ouverture des frontières aux grands flux démographiques externes) et, dans le cas du Mexique, les très puissants flux d’immigration. Les flux migratoires d’origine européenne (d’abord allemande, puis italienne et espagnole) qui vont peupler la région de Buenos Aires en Argentine, les États du Sud et l’État de São Paulo au Brésil, devaient jouer trois rôles : remplacer les esclaves africains affranchis dans les plantations de café de São Paulo, « blanchir » (rendre plus européenne) une population trop sombre ; peupler les grands États (brésiliens ou argentins) qui donnent sur la Plata.
Le saut dans le développement aura en réalité un résultat que les élites au pouvoir n’avaient pas prévu : il s’agit de deux déplacements biopolitiques du côté de la liberté, le premier lié à l’abolition de l’esclavage, l’autre aux migrations internationales (de l’extérieur vers l’intérieur au Brésil et en Argentine, de l’intérieur vers l’extérieur au Mexique). Ils constituent un événement déterminant. Ce n’est pas un hasard si ces deux processus spécifiques de libération se croisent (sans se mêler, au début) dans les régions les plus industrialisées du continent : la grande Buenos Aires, la grande São Paulo, puis les États du sud du Brésil, Santa Catarina, Rio Grande do Sul et Paranà. Au Mexique également, la zone de développement industriel la plus dynamique est dessinée par la route de l’émigration vers le nord, le long de la ligne frontalière. La « révolution » à l’intérieur de l’État oligarchique aura lieu entre ces territoires, dans le Brésil des années 1930. La modernité latino-américaine naît sur la base de l’élan de la libération de l’esclavage et des migrations internationales. Comment réagir à cette modernité ? Comment s’en protéger ? Face à ces déplacements matériels, les admirateurs de Mussolini (Perón, Vargas… mais on peut inclure aussi Obregón au Mexique) vont ainsi jouer la carte du corporatisme, modulée sur les infinies hybridations néo-esclavagistes.
L’importance du poids relatif des migrations internationales sur les populations fera que le péronisme (nous voilà déjà à la fin de la deuxième guerre mondiale) atteindra un fort degré d’intégration nationale, de construction d’une identité nationale forte… enfin fondée sur le travail. Cette intégration sera d’ailleurs favorisée par la période de prospérité économique liée à la transformation (entre les deux guerres) du pays en « grenier » du monde développé. Le corporatisme de Vargas, au contraire, se limitera aux zones urbaines et industrielles du sud-est du Brésil, à travers une alliance avec les vieilles oligarchies d’origine coloniale : grande propriété foncière, « coronelisme », etc. (nord-est et nord). Mais il s’agira de la base institutionnelle de la voie du développement que ce pays continental va suivre jusqu’à la fin du XXe siècle.
Traduit de l’italien par Christophe Degoutin et Giovanna Zapperi, révisé par François Matheron
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