Dans l’entrée de l’appartement où habitent Dominique Malaquais et Bart, son compagnon, le regard est saisi par une grande fresque qui couvre le haut d’un mur.

C’est une œuvre de Mega Mingiedi Tunga, réalisée pour Dominique qui la lui avait commandée en lui donnant carte blanche. Il la lui a offerte en 2021, lors de sa venue à l’exposition « Kinshasa Chroniques » à Paris, où deux de ses fresques figuraient en préface de l’exposition.

Leur première rencontre avait eu lieu en 2007 à la HEAR à Strasbourg. Dominique avait d’emblée repéré le talent de cet artiste, qu’elle a suivi et accompagné dès lors.

En 2008, Dominique fut la première à acheter deux dessins à Mega, ce qui l’a encouragé et aidé à poursuivre. En reconnaissance, Mega a nommé son deuxième enfant Malaquais. Il nous dit : « il y a quelque chose d’un peu similaire entre le dessin qui est chez elle aujourd’hui et ma fille Malaquais qui est chez moi. Quand je vois ma fille, elle relate notre amitié, à Dominique et moi. »

Pour Dominique, l’art et le politique étaient intimement liés et elle n’a cessé d’œuvrer en ce sens, espérant en un monde qui pourrait pour tous devenir plus « respirable ». Je pense aux « cartographies hybrides » ou à « l’art de l’anti-téléologie », selon les formules heureuses qui ont jalonné son chemin et dans lesquelles Mega se reconnaissait. C’est ainsi que l’on peut dire, stricto sensu, que cet artiste est devenu un « compagnon de route ».

Cette fresque-enfant (en quatrième de couverture de ce numéro de Multitudes), ce signe fort de l’amitié entre Dominique et Mega, je la nomme en moi-même : « À quoi rêve un ange ». Elle me raconte Dominique, sa poésie, sa beauté, ses entêtements, ses rêves, et combien elle est éternelle.

Dominique est un ange que Mega visite de sa plume légère et aérienne. Un ange au cerveau tout puissant. Car le cerveau de Dominique est l’élément central du dessin, tout comme il est aussi l’élément central de son destin.

Telle une bibliothèque ouverte où s’écrit un alphabet imaginaire, son cerveau danse devant nos yeux. Les yeux mi-clos, le front ceint d’une boussole, Dominique illumine le monde de sa vie intérieure. Des États-Unis aux Afriques, coiffée de petites perles et gantée de bagues de reine, Dominique voyage, Dominique rêve, Dominique pense, Dominique crée.

De New York à Yaoundé, en passant par Kin ou Paris, Dominique travaille, inspirée par des artistes tels les Kongo Astronauts qui fusent autour d’elle, et entourée de ceux qu’elle aime : Bart qui porte, Naoki qui boule, Elisabeth qui protège. Son père, l’écrivain Jean Malaquais, disait que son intelligence était plus haute que la Tour Eiffel. Cher ange, puisses-tu désormais illuminer de ton sourire les fleuves et les mers…

À toi Mega, je dis fraternellement matondo pour cette œuvre qui sait nous transmettre l’inspiration.

À toi Dominique, qui m’as appris comment vivre, qui m’as appris comment mourir, je te murmure – mais peut-être est-ce toi qui me pousses à murmurer – ces mots de Sony Labou Tansi, Sony avec qui notre histoire à toi et moi a commencé :

« On ne crève pas. […] C’est les cons qui crèvent. Parce qu’ils font le crabe. Nous, on ne crève pas. On s’ajoute à ce qui est. On se verse dans les yeux du chat, dans les branches du sapin. Je ne te l’aurais pas dit s’il en était autrement. […] Nous naissons pour nous concevoir. Pour nous mettre au monde. Et on peut se faire néant ou bien infini. On choisit. […] On se fabrique, ou on s’annule. La vie, il ne faut pas avoir la malhonnêteté de dire ou de se dire qu’on y voit clair, même à travers la science, même à travers les slogans. Il faut aller à la conquête du naturel, de naturel en naturel. Il n’y a pas d’extra. Regarde un peu tes chats. On dirait qu’ils savent. Ils miaulent un peu, puis il la ferment. Évidemment nous pour la fermer, il faut du talent. »

Julie Peghini

La rédaction de Multitudes est aussi attristée par la nouvelle de la disparition de Dominique Malaquais qu’honorée d’avoir pu bénéficier de sa générosité et de son intelligence au cours des dernières années. Son travail au long cours a commencé de transformer la perception des villes africaines contemporaines, comme en témoigne le catalogue et la réception de l’exposition « Kinshasa Chroniques » à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Dominique avait coordonné le dossier Icônes du numéro 77 de Multitudes, fabriqué avec le collectif d’artistes de Kinshasa Kongo Astronautes. Avec Julie Peghini, elle a coordonné le dossier Icônes de ce numéro 85 réalisé avec l’artiste Mega Mingiedi Tunga. Le choix des images et l’entretien réalisé avec lui sont le dernier travail auquel elle ait pu consacrer son exceptionnel talent d’animatrice de créations collectives. Nous remercions Julie Peghini d’avoir mené jusqu’à son terme la réalisation de ce numéro, et nous sommes honoré·es et ému·es de pouvoir continuer à faire vivre l’inépuisable générosité de Dominique, à laquelle nous projetons de consacrer un dossier l’année prochaine.